Acte 2. Enterrement (de vie) de jeune fille. Part 2.

Par Davils

Sarah avance dans les ténèbres d'une usine abandonnée. Terrorisée, une bretelle de sa salopette-short arrachée, son tee-shirt tâché de sang, du même sang rouge vif qui lui recouvre le visage.

Elle tente de se calmer en se répétant les mêmes mots à voix basse, tel un mantra.

— Réfléchis... Réfléchis Sarah... Réfléchis vite !!

Sa progression est trop rapide, trop nerveuse. Alors qu'elle jette un regard furtif en arrière, elle se prend les pieds dans une barre de fer. Le bruit métallique résonne dans toute l'usine.

— On va t'trouver ! Tôt ou tard !! Et tu vas payer pour c'que t'as fait ! Tu m'entends ?! Tu vas payer, et avec des intérêts !!

Sarah s'immobilise, guettant le moindre son autour d'elle, cherchant du regard un moyen de fuir l'enfer dans lequel elle est tombée.

Rien. Elle se baisse, ramasse la barre de fer, et reprend sa progression.

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Un bruit sourd et répétitif résonne dans le petit taxi rouge, avant de s'interrompre.

Sarah ouvre les yeux. Elle revient à elle, doucement, douloureusement. Un gémissement lui échappe tandis qu'elle tente de bouger, ses mains cherchant instinctivement son flanc gauche, encore brûlant de la décharge du taser.

Toujours assise sur le siège passager, elle pousse un cri étouffé, un cri de surprise et d'impuissance mêlé. Sa tête refuse de bouger. Ce n'est pas la douleur, mais une contrainte plus insidieuse: ses cheveux sont noués, solidement attachés à l'appui-tête, la maintenant prisonnière.

Les coups reprennent, un peu plus fort que la fois précédente, mais cette fois ils ne cessent pas.

Tandis qu'elle étire son bras droit aussi loin que possible derrière elle, cherchant à tâtons l'endroit où ses cheveux sont retenus, Sarah tente de comprendre où elle se trouve.

À travers le pare-brise, elle aperçoit trois silhouette que la lumière des phares de la petite 206 éclaire. Ses kidnappeurs sont assis sur des palettes en bois empilées à la va-vite.

Le taxi est garé à l'intérieur d'un immense hangar délabré, probablement une ancienne usine, dont les piliers rouillées se perdent dans l'obscurité.

Youssef se lève et avance droit sur Mounir, menaçant. Ce dernier garde la tête basse; il fait penser à un chiot qui se met sur le dos, offrant son ventre au mal dominant en signe de soumission.

Les coups résonnant à l'arrière du taxi - qui empêchent Sarah d'entendre ce qu'ils se disent - agacent visiblement Youssef. D'un geste sec, il fait signe à Hamza, qui se lève brusquement et s'avance d'un pas rapide vers le véhicule, droit dans l'axe des phares.

Sarah referme les yeux. Un réflexe. Une brochure des parcs nationaux Canadiens lui revient en mémoire. Que faire en cas de rencontre avec un ours agité ou menaçant ?

En cas d'attaque "défensive" - la plus courante - il faut:

1/ Rester calme et non menaçant (raté).

2/ Parler d'une voix calme (raté).

3/ Reculer lentement si l'ours cesse d'avancer (encore raté).

4/ S'il continue d'avancer, tenez lui tête, et servez vous de votre spray au poivre (pas de spray).

5/ Si l'ours vous touche, jetez-vous par terre et faites le mort.

Faire la morte lui parait une bonne option pour l'instant.

Les coups, étouffés mais de plus en plus puissants, s'intensifient. Ils proviennent clairement du coffre.

Hamza s'approche de la voiture, nerveux. Chemin faisant, il sort son téléphone de sa poche, et actionne la fonction lampe-torche. D'un geste brusque, il ouvre le coffre, et éclaire ce qui s'y cache à l'aide de la lumière crue de ce couteau Suisse du 21è siècle.

— Hé !! C'est quoi ce bordel ?! Un conseil, fais semblant de dormir si tu veux pas que je t'endorme moi même, et pour plus longtemps cette fois... C'est compris ?

Hamza s'adresse au véritable chauffeur de taxi, recroquevillé, collé contre le fond du coffre, coincé entre les dos des sièges arrière, une caisse en plastique remplie à craquer de différents bidons - huile de moteur, liquide de refroidissement, lave-glace - et autres cordes ou câbles électriques mal enroulés, et une roue de secours dont l'ironie du nom le ferait sourire s'il avait la liberté d'esprit d'y penser. Son visage porte les stigmates des coups reçus, témoins de la violence de l'agression qui l'a amené à se retrouver prisonnier de son outil de travail.

— J'ai dit, c'est compris ?! Le relance Hamza.

Ses poignets et ses chevilles sont solidement ligotés avec des cordelettes, tandis qu'un chèche sahraoui, d'un magnifique bleu indigo, mais tâché de sang séché, lui bâillonne la bouche, étouffant ses gémissements. Les yeux écarquillés de terreur, il tente d'apercevoir le visage de son agresseur, afin de le supplier en plongeant son regard dans les siens, mais il ne voit qu'une lumière blanche et aveuglante, lui forçant à fermer les yeux.

Il acquiesce d''un mouvement de tête, résigné.

— Putain les gars, ça va mal finir tout ça... S'inquiète Mounir, toujours assis face à Youssef, alors qu'il observe Hamza. D'abord le chauffeur de taxi, et maintenant elle...

— Hé, t'étais d'accord j'te rappelle !

— J'étais d'accord pour faire de l'argent avec le taxi, pas pour ça.

— T'sais quoi Mounir ? Si t'es là, c'est parce que ton cousin m'a dit qu't'avais besoin de d'venir un homme. Alors, où tu la fermes, où j't'éduque autrement.

Youssef ponctue sa menace d'un regard sombre, avant d'aller rejoindre Hamza.

Toujours bloquée sur le siège passager avant, Sarah s'efforce de se libérer sans éveiller les soupçons de ses ravisseurs. Sa main gauche rejoint la droite, derrière l'appui-tête, à la recherche d'une solution pour se libérer. Ses doigts tremblants cherchent désespérément à dénouer sa chevelure, mais ses efforts restent vains. Les nœuds sont difficilement accessibles et surtout, chaque mouvement ne fait que les resserrer.

La portière arrière du taxi s'ouvre brutalement. Youssef agrippe violemment les cheveux de Sarah, la plaquant encore plus contre l'appui-tête, annulant totalement les quelques centimètres de liberté obtenus dans la douleur.

La surprise arrache un gémissement étouffé à Sarah. Ses bras retombent, ses mains appuient sur l'assise du siège, aidant son corps à trouver une position soulageant la tension dans sa nuque.

— Alors ma belle, tu t'es bien r'posée ? Lui demande un Youssef dont le sourire libidineux - qui s'entend dans sa voix - en dit long. Sa colère envers Mounir n'était peut-être qu'une frustration sexuelle dont il aperçoit la fin.

Le coffre du taxi se referme avec fracas. Hamza rejoint aussitôt Youssef, tout en sortant un couteau à lame pliable de sa poche.

— Tu vois, elle va trèèès bien, surjoue Youssef à l'adresse de Mounir. C'était vraiment pas la peine de t'inquiéter comme ça.

— Tire encore un peu, lui demande Hamza, tout en ouvrant son couteau. Ça serait dommage que je te coupe un doigt dans l'histoire.

Hamza tranche brusquement les cheveux de Sarah d'un coup sec.

— Surtout qu'avec elle, mes doigts y vont pas avoir l'temps d's'ennuyer.

Libérée de sa contrainte, Sarah bascule en avant, tremblante, des larmes brouillant sa vue. Elle reste penchée, recroquevillée sur elle-même, le souffle court, essayant désespérément de reprendre ses esprits, de réfléchir à une solution pour se réveiller de ce cauchemar.

Mais Youssef ne lui en laisse pas le temps, ouvrant sèchement sa portière, tout en s'adressant à Hamza.

— Allez, sors la d'là... Si c'est moi qui l'fais, j'risque d'l'abîmer.

— S'il vous plait, laissez moi. Je ne vous ai rien fait. L'implore Sarah. S'il vous plait... Je vais me marier.

— Ouais, tu vas t'marier, j'avais compris... Et tu vas t'marier avec un étranger, parce que les gawri y sont mieux qu'nous, c'est ça ? Z'êtes toutes les mêmes.

— Pourquoi tu dis ça ? Tu... Tu ne me connais même pas.

— J'te connais très bien... Et des comme lui j'en vois toute la journée. Y t'montre son argent, y t'parle doucement, et l'soir c'est gagné, tu t'mets à genoux, ou à quatt' pattes. Comme il préfère. Tu vois, j'vous connais très bien.

À mesure de son monologue, Youssef devient de plus en plus agité, ses gestes trahissant sa nervosité tandis qu'il réduit la distance qui le sépare de Sarah.

Voyant la tension monter, Hamza s'interpose discrètement, obligeant Youssef à reculer sans en avoir l'air.

— Calma, calma... Sinon tu vas finir par l'abîmer. Et cette fois c'est à moi de passer en premier.

— Cette fois ?! Comment ça "cette fois" !? Intervient Mounir qui s'est approché. Ça veut dire quoi !?... Vous savez combien de temps on va rester en taule pour vos conner...

Youssef interrompt Mounir en le repoussant en arrière, avant de le gifler violemment.

— J't'avais prévenu Mounir ! Tu la fermes !! Si tu veux rester puceau c'ton problème, mais tu la fermes !

La gifle résonne encore dans la tête de Mounir. Il recule lentement, retourne s'installer sur les palettes, mais sans jamais baisser le regard cette fois. Sa joue en feu l'obligeant à considérer la réalité de la menace.

Pendant ce temps là, Hamza attrape le sac à main de Sarah, qui ne tente même pas de l'en empêcher, et le tend à Youssef, l'obligeant à porter son attention sur autre chose.

Youssef, encore bouillonnant de colère, arrache le sac des mains de Hamza et en vide le contenu sur le sol, dans le faisceau de lumière des phares. Le téléphone portable est le premier à attirer son attention. Il s'accroupit, s'en saisit d'un geste sec, avant d'ouvrir le portefeuille, et de le fouiller. Il empoche rapidement les quelques billets, ses yeux brillants d'un début de satisfaction, avant de s'attarder sur les cartes bancaires, puis sur un tas de cartes de visites identiques. Il en lit une avec attention, la tournant et la retournant entre ses doigts, comme s'il y cherchait un indice précis, une réponse à un problème qu'il doit résoudre. Son regard s'assombrit peu à peu...

— Sarah. Mécanicienne.

... Avant qu'un sourire d'auto-satisfaction n'éclaire son visage.

— Alors comme ça t'aime les gros outils ?

Dans le même temps Hamza s'est emparé de la robe sortant du pressing, qu'il tend à Youssef sans lâcher Sarah du regard.

— Mécanicienne hein ? Ça t'empêche pas d'aimer les tenues de putes, rebondit Hamza.

Youssef interrompt sa fouille du sac de Sarah. Il se redresse, récupère la robe des mains d'Hamza, et la place devant lui, comme pour vérifier si elle est à sa taille.

— C'est marrant, j'aurais parié qu'tu préférais les jupes plus courtes.

— C'est pas grave, de toute façon elle sera mieux sans rien. Intervient Hamza. Bon, on fait comment cette fois ? Et me parle pas de chifoumi, ou de pile ou face, je sais que tu m'arnaques à chaque fois.

— J'en sais rien... Youssef réfléchit, avant de reprendre. T'sais quoi, j'te laisse décider.

— Bah puisque cette robe a l'air de te plaire, si tu réussi à l'enfiler, t'auras le droit de l'enfiler elle aussi. Hamza ponctue sa blague d'un rire bien gras et bien bruyant. Une sorte de remake de Cendrillon, si tu vois c'que j'veux dire ?

— J'te l'ai d'jà dit, on voit toujours c'que tu veux dire, répond un Youssef pensif.

Il ne lui faut pas plus de quelques secondes pour se décider, un nouveau rictus explicite sur le visage.

— Pas d'problème. Pour celle-là je f'rais n'importe quoi.

Youssef s'écarte de la voiture en direction des palettes en bois. Il y échange un regard noir, un regard de défi, avec Mounir, avant de commence à se déshabiller. Sa manière de plier ses vêtements avec précision tranche non seulement avec l'idée que l'on se fait du personnage, mais le temps qu'il prend est en opposition totale avec son envie plus que pressante de posséder Sarah.

— Et merde, je me suis encore fait avoir, ronchonne Hamza, autant à lui-même, qu'à Sarah à qui il tend la main pour l'inviter à sortir de la voiture. Allez, sors de là, sinon il va falloir que je t'aide.

Sarah se recroqueville, refusant la main tendue.

Devant son refus, Hamza passe à l'action. Il attrape Sarah violemment par le reste de ses cheveux, et la tire sans ménagement hors de la voiture. Sarah hurle et se débat de toutes ses forces, mais Hamza est trop fort.

Elle s'effondre à genoux sur le béton froid, s'agrippe désespérément à ce qu'elle peut, éjectant son sac de courses de la voiture au passage, avant d'attraper la poignée de la portière dans un ultime réflexe, s'y accrochant comme elle s'accrocherait à une bouée de sauvetage pour ne pas être aspirée vers les abysses.

Après l'avoir extrait de la petite 206, Hamza tente de la traîner sur le sol râpeux et sale. Mais devant sa résistance, il abandonne. Il l'a sortie, c'est déjà pas mal.

Un Youssef en caleçon, observe la scène hilare, tout en commençant à enfiler la robe de Sarah, comme il enfilerait un tee-shirt.

Les achats du jour de Sarah sont étalés au sol: des outils, tels une clé anglaise, une clé de serrage et ses têtes adaptables dans sa boite, et plusieurs petits tournevis vendus à l'unité.

Son regard se fige sur ces objets. Une idée germe dans son esprit. La brochure Canadienne avait une suite. En cas d'attaque "prédatrice" - très rare - il faut:

1/ Se réfugier dans un bâtiment, ou une voiture, ou grimper à un arbre (raté).

2/ Vaporiser votre spray poivré, si vous n'avez aucun refuge (toujours pas de putain de spray).

3/...

— Vas-y, continue d'la fatiguer, lance Youssef, interrompant la pensée de Sarah. Ça m'arrange.

Hamza se jette d'un pas rapide entre elle et le petit taxi.

Agenouillée, une main toujours accrochée à la portière, l'autre au sol, Sarah se protège d'un éventuel coup lorsqu'il se penche vers elle. Hamza ramasse au plus vite l'imposante clé anglaise, avant de se redresser en la brandissant, comme victorieux.

— Tu crois que j't'ai pas vu venir avec ta "clef-monette", madame la garagiste ?

Puis il se tourne vers Youssef, fier et arrogant.

— T'inquiète pas mon pote, j'ai ce qui faut pour lui serrer la vis ! Ahahah, t'as compris ou pas ?

— Y'a rien à comprendre, tu vas serrer aucune vis avec ton truc, c'pas un tournevis.

3/ SE DÉFENDRE ! Intimidez l'ours : criez, frappez-le à coups de branche ou de roches, faites tout ce que vous pouvez pour lui montrer que vous n'êtes pas une proie facile (check).

— Ouais bah, tournevis ou pas, elle est déjà à genoux, alors si tu rentres pas dans ta tenue de princesse tout de suite, je pense que je vais commencer par une petite gât... Aaahhhhhhhhh !!!

Hamza n'a pas le temps de finir sa phrase. Un hurlement déchirant résonne dans ce hangar, témoignage d'une époque industrielle florissante, devenu symbole de la décadence des hommes, et refuge de leurs instincts primaires. 

Du sang gicle, recouvrant le visage de Sarah, sans qu'elle réagisse, totalement obnubilée, comme hypnotisée, les yeux dans les yeux avec son agresseur devenu sa victime.

— C'est ça, un tournevis ! Se surprend à dire Sarah, froidement.

Ilias serait fier d'elle. Sa réplique, autant cynique que décalée, aurait largement sa place dans le panthéon des répliques cultes des films de Schwarzy des 80's, juste entre "aiguise-moi ça" de Predator, et "I'll be back" de Terminator. Sans lui, elle ne les aurait jamais vu. D'ailleurs il faudra qu'elle lui redemande pourquoi il y'en a certains qu'il regarde en VO, et d'autres en français.

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