Acte V

Aucun mort. Juste le regard sévère du prêtre. Face à moi. Attachée sur un lit, je ne peux plus m'échapper. Je sens les larmes couler sur mes joues. Elle se moque de moi. De lui. Je l'entends annoncer sa mort prochaine. Elle me décrit les détails de ce second meurtre. Elle me laisse entrevoir le spectacle immonde auquel elle me prépare. Je ne peux rien faire. Je ne suis qu'une marionnette. Je n'ai plus le contrôle des ficelles. J'ai perdu la bataille...peut-être même la guerre.

Poupée de cire. Poupée de chiffon.

Je m'effondre. Je veux sombrer dans le tour noir. Prends-moi Morphée.

Enlève-moi. Envole-moi.

Ne me laisse pas.

Tire-moi de là.

Je ne veux pas finir comme ça.

Je ne veux pas voir mes mains souillées par le sang d'un innocent. Innocent ? Assassin. Meurtrier. Il ne mérite pas de vivre. Mensonges. Pauvre humaine. Pauvre petite folle. Trop crédule pour comprendre l'honneur que je te fais. Tu ne vois que le mal. Je t'offre un monde de libertés... Tais-toi ! Mes mains bougent. J'oublie les liens. Je lutte quelques secondes. Puis j'implore pour le salut de mon âme. Il ne m'écoute déjà plus. Il n'est pas dupe de mes larmes. Il n'y croit pas. Pour lui, le démon a déjà une emprise totale. Il n'a pas tort. Si je ne puis me faire confiance, comment lui le pourrait ? Personne. Je suis condamnée d'avance. Je survivrai peut-être. Je mourrai sans doute. Je n'ai plus d'alternative. Plus de choix. J'ai agi. Il me faut assumer. Tel est l'avenir que je me suis choisie. Je dois regarder ma mort en face. Je le dois. Ma tête se vrille. Les hurlements reprennent. Je convulse à nouveau. Ma mémoire flanche. Ma conscience aussi. Je me vois voler. Je me vois m'éloigner. Je m'approche de quelque chose. Lumière ou trou noir ? Peu importe, c'est la fin des tourments.

***

Dans l'église lointaine, On entend la folle,

De sa voix la plus stridente, Elle crie au seigneur,

Sauvez mon âme

Sauvez mon âme. Sauvez, Sauvez, Sauvez Sauvez mon âme Sauvez mon âme.

Mon esprit fermé, je m'obstine à penser à des forêts enchantées. Je ne veux pas voir la réalité. Je ne veux plus la subir. Pourtant, je la sens, je la vois... Un cri strident. Des liens arrachés. L'exorcisme a échoué. Le prêtre va payer. Le premier coup tombe. Il trébuche. Ses pieds se prennent dans sa tenue. Il tombe. A moitié assommé. La peur se lit dans ses yeux. Elle l'excite. Sa langue passe sur mes lèvres. Il était une fois une princesse. Il était une fois une princesse dans un pays enchanté. Il était une fois... Une lame. Du sang. Des cris. Il était une fois une princesse...il était une fois... Des suppliques. Des larmes. Puis un râle. Mes yeux s'ouvrent alors contre mon gré. Je vois la mort en face. Je la vomis. A genoux, sur le sol, je me mets à psalmodier. Un, deux...plus qu'un. Il n'en reste qu'un. Je ne peux plus être sauvée. Enfermez-moi. Je suis folle. Folle à lier. Ce n'est pas un démon qui m'habite, mais la folie... La pure folie. Je suis folle. Je pleure. Je crie. Je ris. Je suis perdue. Je m'effondre à nouveau... Dans une mare de sang.

***

Dis moi petite folle

Quelle est cette larme qui brille

Sur cette joue ensanglantée

Qu'elle semble si humaine...

- Tais-toi...

Dis moi petit folle

Quelle est cette lame qui scintille

Entre ces mains ensanglantées

Qu'elle semble si tranchante.

Assez... Il n'y aura pas de troisième meurtre. Il n'y en aura pas d'autre. Tu ne gagneras pas. Des murmures dont elle se moque. Elle continue de chanter dans ma tête. De rire de temps en temps... Et moi, je vois toujours ce prêtre. Je vois ses entrailles hors de son corps. Je vois son cœur arraché. Je vois son visage marqué à jamais par l'effroi, sa main serrée sur son chapelet. Sa dernière prière n'a pas été exaucée. Il n'a pu être sauvé... Ma lâcheté l'a tué. J'ai perdu la bataille. J'ai fui. Je l'ai abandonné à son triste sort. J'ai fermé les yeux. Je suis abjecte. Ma culpabilité me ronge. Je me déteste. Je me maudis. Je n'ai rien fait. J'aurais pu. Mais je n'ai rien fait. Passive. Passive. Passive. Inactive. Abjecte lâcheté. Ma mort sera la sentence pour ce crime. Un sacrifice trop tardif. Mes doigts se serrent. Je me lève. Mes yeux fixent le Christ dans une lueur démente.

Pardonnez nos offenses. Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé.

Un sourire traverse mes lèvres. La lame en fait de même avec mon coeur. J'éclate de rire. Elle hurle d'effroi. Encore quelques battements, une éternité. Elle a ri de moi. Je ris d'elle. Rendez-vous en Enfer.

Amen.