Addenda : Pourquoi pleurent les saules

Par Quine
Notes de l’auteur : Très inattendu et inspiré des saules bosniaques sous lesquels on reçoit de petites gouttes, ce morceau vient ponctuer le récit en apportant un point de vue un peu différent - et une autre occurence du mélange entre narration et poésie. En espérant que ça vous plaise !
 

 

 

Depuis l’éclat sur le velours rouge, depuis l’éclair et le tonnerre dans la salle de spectacle, Arsène devenue lumière ravivait de sa foudre toutes les créations.

 

A la fin de l’hiver, quand la neige ne blanchit que les sommets et quand, sous les rayons du soleil devenu doré éclosent les premières fleurs, elle fait perler les frondaisons.

Substance, elle s’enroule autour des branches nues ; elle les berce en leur murmurant des mélodies oubliées. Alors le bois s’agite. Sa sève tiédit, et des racines aux cimes, son rythme s’accélère. Puis, comme dans un soupir, la matière tendre des branches se trouve poussée, écartée par une minuscule pointe à la force miraculeuse. Un bourgeon jaillit – d’autres suivent. Ils ponctuent le lyrisme alangui des branches nues.

 

L’arbre, auparavant nu, se pare de paumes qui caressent, de paupières qui se closent, de bouches qui chantent. Tous s’ornent comme dans une déferlante. Et Arsène cherchant les mains, les cils, les froissements, passe des heures infinies dans la forêt qui par elle s’est formée.

 

Aujourd’hui, c’est entre les feuilles d’un saule en bordure de rivière qu’elle a choisi de s’allonger. Arsène, endormie par l’envoûtant clapotis de l’onde tranquille, fut quelque peu réveillée par l’étonnement d’une voix enfantine. Une petite fille passait par là, toute de jaune vêtue, fredonnant et caressant les brins d’herbes. Emerveillée par les verts et ors que révélait le soleil sur les nageoires des poissons, l’endroit lui avait paru propice à la contemplation.

Combien la surprise la frappa de sentir de fines gouttelettes arriver,

 

de

 

temps                                                                        à

 

autre,

 

 

 

tâcher                                     ses                                                       bras

 

 

d’une

rosée

fragmentée                                      ?

 

 

Elle plissa les yeux et scruta la surface de l’eau, mais rien ne la troublait. Les poissons traçaient inlassablement leurs courbes et venaient parfois ouvrir la bouche à la surface de l’eau – rien de plus. Elle leva la tête, protégea ses yeux éblouis de sa main en casquette et scruta le ciel, mais rien ne l’ombrageait. Les nuages poursuivaient inlassablement leur cours, et venaient parfois s’agglutiner dans un coin du ciel – rien de plus.

Les petites feuilles allongées du saule frémirent, comme si l’arbre rappelait à l’enfant son existence.

Elle plissa les yeux, scruta l’écorce, scruta les branches, les feuilles, de sa base à son sommet, elle se pencha pour chercher plus loin dans le dédale végétal, mais rien. Rien de plus. Comme pour confirmer son enquête, elle reçut à nouveau quelques gouttes.

Les yeux écarquillés de curiosité, elle se demande « Saule, pourquoi pleures-tu ? ».

Se pouvait-il que le saule se désole de sa solitude, tandis que les poissons nageaient en banc et les nuages s’effilochaient en bande ? Se pouvait-il que le saule ait bu trop d’eau de pluie et qu’il la suait désormais à la surface de ses feuilles ?

 

 

 

 ‘          S          a          u          l           e            ,

 

 

    P         o       u          r           q          u          o          i

 

 

                         P         l          e          u          r           e          s          -           

                                                                                                                      t           u          ?

                                              

‘                                                                                        

      

        ’

‘                                              ‘

‘                                   ’

‘                                    ’

‘                       

                                               ‘          

 

 

Arsène, réveillée par l’étonnement de cette voix enfantine, lui révéla pourquoi pleurent les saules. Sorties de sa gorge, ses paroles prirent la forme du monde. Les mots se glissèrent dans chaque trait, les vibrations animèrent chaque chair et le sens s’incarna dans chaque cellule.

C’était tout autant la foudre de la genèse que l’œuvre accomplie qui répondaient, l’une dans l’autre et l’autre dans l’une.

 

 

Les larmes qui creusent des sillons sur les joues

Argentés

Creusent des sillons sur la terre.

Aux pieds des arbres

Les racines ondulent dans le sol

Et boivent par petites gorgées,

Les pâles joyaux des gorges nouées.

 

Les larmes qui creusent des sillons sur les joues

Aussi

Nacrent les ondes des eaux.

Les feuilles des saules parfois effleurent

L’écume des rivières.

Alors, ils grandissent de sanglots et

Leurs bourgeons sont comme des gouttelettes.

 

Argentées, les larmes se mêlent à la sève

Dorée,

Et l’écorce et les branches et les feuilles

S’étirent dans un long soupir, écouté des rêveurs.

 

Pourquoi pleurent les saules

Argentés ?

Les larmes qui creusent la chair ils recueillent

Et transforment.

Le désarroi sculpte les écorces

Et ondule les feuilles – et de là-haut,

Ils ponctuent ces mêmes chairs, soûles de s’être lamentées.

 

Le distillat de ces soupirs,

Berce le dormeur et lui apporte la fraîcheur,

Le souvenir d’une caresse,

Et d’une main de vives étincelles, dote les rêveurs.

 

 

 

 

 

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Alice_Lath
Posté le 17/11/2020
Hahaha, j'ai débarqué là pour les HO et je dois dire que je ne suis pas déçue du tout ! Tu as un verbe extrêmement riche, hyper travaillé et je dois dire que je suis très admirative de ta magnifique mise en page, vraiment.
J'ai lu cette histoire comme on savourerait une sucrerie raffinée dans un petit café caché à Paris haha et c'était hyper agréable. J'ai bien sûr mes hypothèses quant à l'histoire haha, mais l'histoire m'apparaissait si secondaire à côté de la forme que tu déploies. Arsène est masquée derrière tout ce que tu déploies pour enrichir la poésie, et je reviendrai un jour avec plaisir découvrir ta poésie si tu en écris hahaha
Sorryf
Posté le 18/09/2019
Et bah voila, la journée a à peine commencé que j'ai déjà tout lu !
Mais est-ce que c'est vraiment fini ? Je vois que la première version était beaucoup plus longue, que s'est-il passé ?

En tout cas tu as une vraiment belle écriture, j'ai adoré ce texte ! les derniers chapitres je les ais lus sur mon téléphone, la mise en page était un petit peu moins agréable, mais ça restait très joli, poétique !
dans cet addenda, les virgules qui gouttent comme le saule qui pleure... woaaaa <3<3

J'ai envie de te partager mon interprétation personnelle... pardon d'avance si elle est complètement a côté :p

A mon avis, Arsène s'est débarassée de Rhos de manière pas très légale. Quand elle la fait voler en éclat avec son cri, j'ai eu l'impression qu'elle la tuait (comment ? après tout elle est machiniste elle aurait pu lui faire tomber un piano a queue sur la tête pour ce qu'on en sait)(regarde moi qui mets mes gros sabots dans ton texte si poétique et aérien... pardon :x)
ensuite, les masques de l'hypocrisie sont la pour lui rappeler son crime, sa culpabilité.
Et la foudre qui s'abat dans le dernier chapitre : la punition, le revers de la médaille. la conséquence.

Encore une fois pardon si je dis n'importe quoi :D j'ai tellement aimé ton texte j'ai pas pu m'empêcher d'extrapoler !
Quine
Posté le 19/09/2019
Alors ça, je ne m'attendais pas à ce que tu lises tout d'une traite ! Eeeeh oui, j'ai le regret de t'annoncer que c'est bien fini. L'ancienne version est très très différente et a été largement écumée, pour le mieux je pense x).

Je suis absolument comblée par tes retours (et je rougis devant tant de compliments) !

Ton interprétation est formidable, ne t'en excuse pas du tout, elles sont toutes bienvenues :D Et même si je n'y avais pas pensé moi-même, la tienne se tient très bien !

Encore merci <3
Liné
Posté le 31/08/2019
Bon. C'est fini. Et il y a quoi, ensuite ? Comment je vais faire pour me nourrir, moi ? :-o

Cet addenda était particulièrement beau. Plein d'images colorées, et ces virgules qui tombent, ha... Merci !
Quine
Posté le 19/09/2019
(mmmh, il faudrait que je songe à reprendre TEP afin que tu ne meures pas d'inanition XD)

Encore merci à toi d'avoir tout lu et commenté si assidument, c'était un véritable plaisir de lire tes retours qui m'encouragent énormément <3
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