Boum.

Par Quine

– Chapitre VI –

Ce soir là la salle était comble. Des rangs de souffles ondulants, emmêlés, venaient voir Arsène respirer. Mais respirer avec une amplitude qui lui était propre ; des bouffées de ciel.

Les yeux grands ouverts, brillants comme des billes peintes d'argent, mais vivants, vivants, ils avaient l'impression d'exister à travers le monde infini qu'elle apportait sur scène. Iode ou ambre sur les lèvres, un goût d'espace et d'intimité.

*

Arsène tendit son cou vers le plafond, baigna son visage de lumière des projecteurs. Ses yeux se perdaient dans ce halo, et lui revinrent des fragments. La chaleur brûlante, un désir plein et entier, gorgé d'un jus suave. La force aussi, elle qui portait si loin. Des bras d'une ambition d'or, parés de leurs plus belles plumes. Elles avaient des couleurs dont la chamarre faisait tanguer le cœur, le faisait battre à la chamade tant elles vibraient. Arsène se rappela des gouttes cireuses qui pleuvaient sur la terre, qui emprisonnaient les fleurs dans un nacre et en faisaient comme des perles. Un nacre d'échec. Oui, ce soir là elle ressentit par fragments la morsure chauffée à blanc de l'échec. Une étreinte calcinante d'un ego embrasé qui débordait en larmes de cire glissant des plumes. Plic ploc sur le grès tout bas.

Oui, ce soir là Arsène ressentit Icare par fragments. Ceux-ci avaient la forme d'éclats de miroir tranchants.

Les figures qui voyageaient habituellement son esprit s'étaient résumées à l'état de spectre, mais Icare venait bruyamment tambouriner à sa porte. Il ne hurlait pas mais cognait fort ses bras de charbon. L'odeur de chair brûlée la terrifia.

Ce soir là alors que son visage était nimbé d'un soleil aux évocations de boîte à bijoux, Arsène ressentit un éclat de peur. C'était comme un instant de doute, une respiration hâtive, un vacillement de flamme qui endure un coup de vent.

Au placard Icare, Arsène se rafraîchit les idées, assura à nouveau sa prise sur les mots. Les pas martelaient le sol, et les trois boulons qu'elle avait gardés machinalement dans sa poche tintaient. Motif de corps sur bois, bas-relief lexicalisé.

*

Alors que la pièce s'effilait vers son dénouement, une étrange sensation grondait dans le ventre d'Arsène. Quelque chose d'inhabituel, de nouveau se profilait. Une enivrante impression de soudainement décoller la saisissait ; un sentiment de mille bourgeons qui grandissent et fleurissent en accéléré. Tout plus vite et les couleurs plus intenses. Veines torrents. Auras explosées, diffusées.

Arsène tout entière galvanisée par une transe extatique de l'état de grâce. Et le jeu battait si fort, comme en roue libre. Arsène semblait détachée d'elle-même, de sa bouche qui déclamait.

On entendit d'abord comme un crissement. Puis retentit un grand fracas sourd, un immense frémissement ; un orage à l'intérieur de la salle. Un éclair hachura l'espace, accompagné d'un bruit de corps qui s'écroule.

Arsène, quelques instants couleur marée après ses derniers mots, fut frappée en pleine poitrine.

FOUDROYÉE

Des secondes s'écoulèrent, marquées par l'immobilité, en un flottement de sidération. Les regards, sur scène comme dans le public en cherchèrent d'autres et se questionnèrent. On crut même entendre un cri.

Les yeux se posèrent sur le corps inerte. Ils discernèrent une ondulation, une ombre qui s'extrayait et s'élevait dans les airs. Plutôt qu'une ombre, il s'agissait d'un détachement, une variation dans la texture de l'air qui prenait la forme d'une silhouette, une forme légère et dansante.

*

Arsène fusillée en plein plexus, s'effondre en un bruit mat. Après le coup de tonnerre il fit très sombre. Mais pas de froid glacial comme sous une plaque d'ornement.

D'abord dans la pulpe de ses doigts elle sentit un fourmillement. Il se propagea, remonta le long de ses os. Des frissons parcoururent la peau. Comme un grand tourbillon ils montaient crescendo.

Il était étonnant de ne plus respirer – c'était calme – mais encore plus de sentir toute cette force qui se déployait. Elle avait l'impression d'être aimantée à un point très haut, de s'accroître dans un étrange phénomène de sublimation.

Ce fut la vue qui revint la première, mais pas comme avant ; Arsène voyait d'en haut le sol qu'elle ne touchait plus mais aussi l'éclat de tous les regards braqués. Arsène pouvait voir à des lieues, elle pouvait voir derrière les montagnes, et si elle tendait le cou la ligne d'horizon incurvée roulait, roulait, ne cessait de rouler avant de se retrouver au point de départ. Omnisciente, il lui semblait avoir dans les mains un planisphère géant aux détails digne d'une œuvre d'orfèvre.

*

Arsène, par la foudre étendue, transformée en une forme immense, pleine, totale – peut-être avec un chapeau haut-de-forme ?

Arsène goûte l'espace, danse pieds nus sur les étoiles. Se souvient mais surtout, crée de ses mains dextres et grandioses.

Arsène par la foudre devenue Dieu.

Dieu issu de la machine.

RIDEAU

 

 

 

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Liné
Posté le 23/08/2019
Ow. Et bien pour moi, Arsene n'est pas morte mais s'est sublimée (mais j'imagine que toutes les interprétations concrètes sont les bienvenues ?).

C'est beau, je me répète ! Et reviens très vite pour lire l'addenda ;-)

Liné
Quine
Posté le 19/09/2019
Touuuutes les interprétations sont absolument bienvenues, et je valide la tienne hehehe <3
Slyth
Posté le 23/02/2019
Coucou ! ^^
 
Je me rappelle que j'avais commencé à lire la première version de ce texte (il y a un certain temps déjà), mais celle-ci me semble radicalement différente de ce dont je me souviens !
Je me suis laissée embarquer par les émotions et la passion dévorante d'Arsène. A travers ces différents chapitres, le rêve et la vérité se confondent. On en vient à ne plus trop distinguer la symbolique de la réalité. C'est un peu perturbant mais surtout tellement beau et poétique ! C'était vraiment savoureux, d'un bout à l'autre.
 
Bravo et merci !  
Quine
Posté le 23/02/2019
Coucou Slyth !
Je suis tellement heureuse de te voir par ici, et encore plus de savoir que tu aimes cette nouvelle version <3
Merci à toi ! 
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