Voici que mon corps se drape de ténèbres, tandis que mes chaires s’unissent à l’une de mes toutes premières armures. Je ressens le froid du métal imprégné ma peau, caressé mes membres… C’est une étreinte qui me semble à la fois familière et cruelle. Chaque plaque, chaque rivet enserre mon enveloppe charnelle. Les vibrations qui se dégagent de ma parure sont une chrysalide ou murmure l’écho d’anciens combattants, les cris étouffés de leurs ennemis et les serments que j’avais brisés. Sa magie m’enferme dans une puissance délitée que je ne devrais ressentir.
Faveur du grand Seigneur Alkan, elle fut forgée sur ordre par l’un de ses favoris, un mage noir ayant reçu de ses divines mains la jouissance de vivre des siècles entiers, avant que la mort ne vienne reprendre son dû.
Ce don est d’un cruel. Mais pour lui, cette offrande aura une fin, pour moi, il en est tout autre. Je demeurerai, tel un témoin silencieux des millénaires qui s’effacent. Des empires qui s’écroulent. Des visages qui se fanent et s’oublient. Lui, il s’éteindra un jour bercé par le souffle apaisant de la fin.
Moi je resterai. Non pas vivante, mais présente. Présente dans des mondes ne m’appartenant plus, figé dans une éternité qui ne pardonne rien. Chaque aurore me rappellera ce que l’on m’a injustement arraché : le droit d’être éphémère.
Cela me peine et m’apporte un sentiment que je ne pensais jamais connaître : la jalousie. Jalousie de voir cet être, marqué par le fil des ans, trouver un jour ce repos éternel que j’appelle de toutes mes forces.
Ces sous ses injustes sentiments qui m’assaillent, que je contemple mon présent. Cette carapace, sombre barrière née des entrailles d’un antique volcan, est un feu éternel. Elle plie à sa volonté les ténèbres qui grognent en moi. Je caresse du bout des doigts le métal sombre qui la compose. Cette matière absorbe toute lumière, comme si elle se nourrissait des ombres autour de moi. Abrupte et rugueuse, je la regarde émerveillée, se parer de reflets rougeoyant, semblable à des braises sous la cendre.
Selon mon mentor, la terre volcanique gorgée du sacrifice d’anciens guerriers lui à donner cette teinte rougeâtre qui rappelle sans nul doute le flot sanguin qui arpente tout un chacun. Nulle fioriture ne vient en trouble la silhouette. Chaque élément est brut, sauvage, presque vivant. J’en ressentirais presque le battement vital de ses milliers d’âmes errantes sur les pentes de cette montagne de feu.
Me perdant dans la contemplation de cet équipement, j’aperçois du coin de l’œil Khaor. Je le vois détaler comme une proie face à son prédateur. Pourquoi fuit-il ? Il vient pourtant de déclencher la colère divine ! Est-ce parce que cette colère pulse d’un orgueil sacré qui ferait frémir les cieux eux-mêmes ? Peu m’importent les couardises de cette humanoïde, son geste à libérer la haine que je couve à l’égard de l’injustice qui parcoure l’univers. Mon sourire devient carnassier et mon cœur s’emballe. Une chasse à l’homme débute et son charme fugace vient égayer ma pensée.
Loin de moi l’idée de passer pour un monstre, mais d’autres sont morts pour bien moins que l’affront qu’il vient de me faire. Même si nous sommes loin du crime de lèse-majesté que les royautés humanoïdes affectionnent tant, je suis le divin ! Et le divin ne souffre d’aucune intrusion sur sa personne.
Quelle créature humanoïde aurait l’idée stupide de s’en pendre physiquement à un dieu qu’il soit Dimiour ou Katastrep ? Khaor, peu importe ce que ses actes dissimulent, ne semble pas s’en accommoder. Alors je vais lui enseigner ce qu’il en coûte de toucher la lumière divine.
J’entame ma marche, sereine, chaque pas guidé par la concentration de mon pouvoir sur son énergie. Une émanation ténue, pareille à un fil de soie serpente sous mes pieds.
Cette manifestation subtile de sa peur est pour moi une vérité invisible qui tisse sa toile dans l’atmosphère.
Cette sensation m’envahi, tandis que je remonte la pente vers les cachots. Je sens son énergie troublée, s’enfuir face à ma magie qui bouillonne autour de moi. Cela me rappelle l’une des toutes premières chasses, contrainte certes, du Seigneur Alkan. La grande forêt du royaume de Ayasha et ce groupe d’humain du clan des ombres que mon mentor m’avait offert pour mon anniversaire. Mon hésitation avait mené la danse. Les menaces avaient lancé les hostilités. Le plaisir que j’avais tiré du premier sang versé revenait ma hanter. L’enivrement de mon esprit dans cette euphorie malsaine avait vacillé entre extase et démence.
Et maintenant, un nouveau camarade de jeu entrait dans le bal.
A suivre