Adwa – Partie XII

Par Luvi

La lumière. Ce murmure lumineux traversant la moindre particule de mon être énergétique est un voile irisé qui glisse entre mes pensées. Elle est un frisson d’énergie aux teintes célestes qui se fait onde sur ma peau. Une caresse serpentine d’éclats invisibles, une vibration de mon essence. Elle est mon souffle vital irradiant de sa clarté toute chose dans l’univers. Cette puissance qui m’est naturelle, m’entoure, réharmonise mes fréquences énergétiques internes. Elle rétablit l’équilibre entre ombre et lueur au sein de mon être.

De sa force naît une métamorphose. Sous mon regard, un camaïeu de teinte éclate en symphonie visuelle. Comme battu par une rythmique divine, les pigments traversés par la lumière, deviennent le prisme de son éclat. Tout se fusionne, se fond et renaît en nature. Du rouge profond aux effluves tendres d’un printemps juvénile, une multitude de touches colorées s’emparent de l’espace. Elles s’enracinent, s’ancrent, oscillant entre frémissement et quiétude. Tel un paysage naissant sous les gestes inspirés d’un peintre, les hauts jardins du temple d’Alfheim prennent vie.

Et me voilà assise sur ce même banc de pierre blanchâtre que j’ai si longtemps usé. Ces mêmes bassins en palier d’où s’écoule une eau fraîche et pure s’étendent face à moi. Ce flot qui a si souvent étancher ma soif ainsi que celle des ornements floraux qui imposent leur beauté. Les notes mélodieuses des oiseaux créent une sonate délicate, sous l’ombre bienfaisant de palmiers qui en leur creux, accueille les rêves et les espoirs des rêveurs.

Mais nul rêve en mon esprit, nul espoir en mon cœur, juste cette inlassable attente. Je le sais, je le sens, je ne suis qu’une flamme dans le vent qui s’amenuise mais qui ne s’éteint jamais complètement. Ma lueur est infime, mais tenace. Et pourtant, mon âme est fébrile. Elle s’emplit d’une onde d’excitation bien vite remplacée par de funestes sentiments. Cette lumière, au lieu de me nourrir, devient un cruel miroir. Elle révèle les zones ternies par ma tristesse et mes splendeurs éteintes. Elle ne me guérit pas, elle expose ma faiblesse.

Et cette faiblesse ne se complaît que dans son absence. Car j’attends ce jour avec impatience. Celui ou le seigneur Judal tiendra sa promesse faite sous le grand saule de mon sanctuaire. Celui ou le jour de son intronisation marquera enfin ma vie de liberté. Viendra-t-il ce jour bénit ou de ma renaissance je me ferais le phénix ?

Je sursaute subitement. Je me suis laissé emporter dans un souvenir afin de fuir une nouvelle fois  l’instant présent. Je ne sais pourquoi cette réminiscence de mon passé s’impose avec fracas dans mon esprit. C’est lorsque je ressens l’affolement des servantes et le tumulte de leurs gestes, que j’entends l’écho de leurs voix qui résonnent comme les cloches du grand palais que j’en comprends toutes les subtilités. Le souvenir s’est faufilé dans mes veines, comme une encre noire venue souiller l’eau claire de mon esprit. Pourquoi cela me hante-t-il ?

Le sol vibre soudainement sous mes pieds. Les servantes murmurent des mots que je n’entends pas, mais que je devine : elle arrive. Héséret, future reine d’Alfheim, promise du prince Calion. Celle dont le nom et la trahison sont devenus mon seul cauchemar dans la nuit.

Sainte Lumière ! Cette obsession de changer de peau frôle l’absurde. La voilà, drapée dans une carnation profonde évoquant la robe d’une indomptable grand fauve. Ses yeux, d’un jaune agressif, transpercent l’espace. Elle s’est engoncée d’une tenue bien trop somptueuse pour sa personne : un voile ocre aux tons rosés, semi-transparent qui laisse apparaître toute la finesse de son corps. Le tissu est retenu à la base de son cou par une fine cordelette d’or. Encore un caprice arraché aux mains de Calion, un bijou de mode détourné sans vergogne par sa jalousie.

Depuis les confins de ma mémoire, pas un jour ne s’est écoulé sur ce monde sans que sa véritable apparence ne se dévoile à moi. Un change peau, voici ce qu’est cet être détestable dont le ressentiment néfaste suinte aux travers de ses métamorphoses.

Son animosité envers moi et aussi insidieuse que corrosive. Cette garce s’impose comme une brume noire dans les moindres interstices de mon quotidien. Elle ne se contente pas de changer d’apparence pour me tourmenter, elle altère ma vie, distord la réalité de Calion, sa haine ayant le pouvoir de façonner son propre monde pour sa seule gloire.

Et ses manies. Hautaine, capricieuse et jalouse. Elle incarne toute la noirceur de son cœur incroyant. Loin d’être une prétendante crédible au trône, ou à quelque titre pompeux et soporifique. Dans sa haine à mon égard, elle n’en reste néanmoins la future monarque d’Alfheim.

La voilà, parée de tout son apparat. Elle s’avance vers moi, l’esprit en furie, le regard noir. Sa rancœur, dénuée de toute logique, me provoque une fois encore. Par pure folie, par jalousie maladive, ma présence sur son monde l’enferme dans la peur. Peur de perdre son bien-aimé, son titre de reine.

Elle fut l’une des toutes premières créatures humanoïdes à oser lever la main sur une entité divine.

La douleur sur mon visage me fait une nouvelle fois perdre pied. Bien qu’aujourd’hui j’en ressente encore une honte profonde, cette époque de ma vie ne se prêtait ni aux scandales, ni aux représailles. Je n’étais qu’une enfant, figée sous les palmiers, les mains tremblantes, le regard tourné vers un avenir incertain.

Ce souvenir s’estompe. Il distille en moi la compréhension sur ma situation actuelle. Je ne suis plus une enfant. Je suis l’Isis des Neuf Royaumes. La lumière divine qui se meut sous les cieux. Je suis la maîtresse des étoiles. Et même si mon être peut se parer de ténèbres, mes mains sont assurées et mon regard est ancré dans le présent que je façonne. Et ce présent ne sera pas celui dicté par Khaor.

Je redresse la tête, et capture son regard avec toute ma supériorité. Il vacille. Il recule. Je ne suis plus l’enfant soumise, mais l’orage qui s’annonce.

A suivre

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