L’ordinateur émet un tintement mental, signe que les commandes s’accumulent, et la journée vient à peine de commencer… Il se redresse, allume pensivement la machine, encore plongé dans le sommeil brumeux qui l’a saisi hier soir. Il lui semble que ses journées sont vides de tout, et pourtant, il passe des nuits comateuses. Ses rêves ne l’intéressent pas, il sait ce qu’il va y trouver et ne veut pas y faire face, mais ce matin, il a du mal à s’en détacher, comme si c’était important…
Il secoue la tête, sachant parfaitement qu’il cherche des excuses pour ne pas se mettre au boulot. Il y a de nouveaux programmes à établir. Certains sont tellement simples pour un brillant de son niveau qu’il les réalise en un clignement de paupière. D’autres lui prennent quelques minutes. Puis le ménage est fait, et il ne reste que ceux qui l’embêtent pour une raison ou pour une autre. Il est exaspéré : il n’est pas le seul planifieur ! Mais tous ses clients savent pertinemment, hélas pour lui, qu’il est le meilleur.
Il médite quelques instants, les sourcils froncés. Brusquement, son ordinateur s’éteint et il bondit littéralement de son lit. Le parquet élastique le réceptionne sans douleur.
Aujourd’hui, journée de congé ! Comme à la bonne vieille époque des usines et des contrats ! Qu’y a-t-il de mal à ça ? Il n’a aucun patron à qui rendre des comptes. La décision est prise, et il frétille déjà d’impatience. Que faire ? Il a envie de tout ! Son robot s’extirpe de sa borne de recharge et lui prépare un somptueux petit-déjeuner. Commencer par là, oui. Et après ? Se promener sur le balcon ? Mais le jour, on ne voit pas les étoiles. Améliorer son robot ? Non, il le fait tous les jours, en même temps que son travail (c’est le meilleur, on vous dit…). Aller au centre commercial d’en bas ? Non. Ça grouille de monde. Il veut être seul aujourd’hui, tout seul.
Mais il y a déjà dans sa tête ces milliards de personnes qui pensent, qui s’agitent, qui commentent tout sans la moindre pudeur. Que faire de ces gens, où ranger tous ces enquiquineurs ?
L’idée lui vient, le frappe comme une décharge pensive, comme une tique géante qui plongerait sur son corps et s’y agripperait sans plus jamais lâcher prise. Tout s’assemble à toute vitesse dans son cerveau surhumain. Son robot oscille, déséquilibré par le flot de pensées, et en bas, les ondes pensives frappent violemment les toiliens venus faire leurs courses. Le commerçant qui le connaît le mieux, qu’on pourrait appeler « Le Boulanger » si son pseudo n’était pas Homo.Esq, sourit en voyant tous ces étrangers déstabilisés. Il a l’habitude, lui ! Lorsque ce brillant planifieur utilise toutes ses capacités pour concevoir un programme qui lui tient vraiment à cœur, les gens autour de lui en sont affectés, la toile se déforme légèrement, tellement sa puissance pensive est importante. C’est pour cela qu’il vit en haut d’une tour.
Quand il est dans cet état, dans cette transe, nul besoin d’ordinateur pour tracer ses plans. Tout s’organise impeccablement dans sa tête. Il n’a pas été aussi motivé depuis très longtemps, au moins depuis qu’il a travaillé sur le caractère de son robot, et il lui semble que c’était il y a de longs siècles d’ennui… Les toiliens se déchaînent lorsqu’ils s’aperçoivent de ce qu’il est en train de créer. En un instant, toute la toile s’y met.
Arrêtez-le !
Ce n’est pas possible de réaliser un truc pareil, c’est inutile de continuer.
Si tu réussis, ça va tout changer !
Un candidat de plus pour l’asile !
Tu crois que c’est réalisable ? Vas-y, ne lâche pas !
Pourquoi la police pensive n’intervient pas ?!
Il n’enfreint aucune loi ! Il crée quelque chose d’extraordinaire, laissez-le faire !
Il fait abstraction de tout. Parce que ce qu’il est en train de créer est justement un logiciel d’abstraction. Il fouille la toile, traque la moindre pensée qui pourrait lui être utile, la moindre information. Le plan prend forme. Il va lui falloir énormément de moyens… Il continue, les yeux fermés pour mieux se concentrer sur son projet irrationnel.
Et soudain au détour d’une pensée, il la découvre. Elle, encore endormie, son histoire, son Robert, ses pensées les plus profondes, le moindre de ses rêves, toutes ses inventions. Elle est déjà parvenue à installer un barrage ! Elle est pourtant mate, purement mate, tellement mate qu’elle devrait être fondue dans la masse dont il est lui-même prisonnier. Mais elle n’a jamais fait partie de la masse, elle a toujours été à part, elle seule dans l’infinitésimal monde de la pensée… Ce monde absurde et aussi irrationnel que l’abstraction, insupportablement équitable, où chacun connaît les autres aussi bien que lui-même, ce monde qui ne suffit pas, qu’il déteste plus qu’il ne l’a jamais fait, puisque dans ce monde où tout est censé être su par tous, deux personnes se sont cherchées des années durant sans aucun espoir de se trouver, alors qu’elles sont là, que ces deux personnes existent, reliées par la même toile.
Tout se passe tellement vite que même les toiliens passionnés qui suivent l’événement n’ont pas le temps de saisir le plus important. Il examine les plans et les idées d’Elle, les analyse et les améliore, les reproduit sur son propre plan qui avance à pas de géant, tout ça en une seule seconde.
Il ne s’est écoulé que quelques instants depuis le début de sa démarche. Personne n’a pu suivre exactement ce qui s’est passé. Mais tout le monde a le résultat en tête : ce programme permet de sortir de la toile. Il est installable sur un robot, auquel son modifieur peut se connecter pour faire délicieusement abstraction.
Il inspire à pleins poumons, il a la tête qui tourne et les oreilles qui sifflent, et son robot s’est figé, en plein bug, mais il est absolument ravi. Parce qu’une fois qu’il aura rassemblé tout ce qu’il lui faut, il installera son programme sur son robot, et il sera libre, il pourra contempler les étoiles sans entendre les milliards de commentaires des milliards de toiliens…
Il a toujours la tête qui tourne, mais il s’interdit de réfléchir, de reprendre conscience. Patience. Quand ce fameux moment arrivera, quand il sera enfin libre, il pensera à tout ça, tout ce qui lui a traversé l’esprit pendant cet instant impensable où il s’est plongé dans l’esprit d’Elle, mais pas maintenant, pas au milieu de cette foule pensive, surtout pas maintenant !
Son effort mental a été si important qu’il vacille, prêt à s’évanouir. Il accueille avec soulagement la perte de conscience qui lui permet d’échapper aux investigations trop poussées et aux questions pressantes. Il tombe lourdement sur le sol mou qui le recueille tendrement et s’y pelotonne avant de sombrer.
On s'attache très vite à Elle et Lui et à leurs deux robots. D'ailleurs ce choix de pseudonyme, "Elle", je trouve ça tellement approprié <3 J'ai couiné quand Lui a enfin trouvée Elle sur la toile. C'est qu'ils sont faits pour se rencontrer, ces deux-là ! Je suis très curieuse de voir quelle direction va prendre le reste de l'histoire.
Bon en route pour le chapitre suivant.
Enfin, après cette introduction que tu as le droit de sauter :p je tenais quand même à te laisser un petit mot pour d'indiquer que je reprenais (lentement mais sûrement) ma lecture de l'Abstraction. Parce que zut, cette histoire me plaît trop, et puis les chapitres sont courts et faciles à glisser entre deux maquettes ou deux enregistrements de Photoshop. Ca me change délicieusement les idées <3
Effectivement, c'est un sacré tournant auquel on assiste dans ce chapitre ! Bon, je peux pas dire que j'aie été totalement surprise, je me doutais bien qu'avec l'omniprésence de la Toile, l'enjeu serait de réussir à la quitter (je suis un peu le Sherlock Holmes d'Hobbitbourg, que veux-tu). Il n'empêche que ça me rend très très curieuse, car si je pense deviner que nos deux héros vont se rencontrer, j'ai hâte de découvrir la manière dont tu a mené ça.
Et, j'avoue, l'idée que l'histoire ait une fin me motive grandement, car on sent que tu sais où tu vas, et je suis impatiente d'y arriver !
Je peux pas promettre de revenir fréquemment. Je pourrais re-disparaître pendant deux mois comme revenir dans deux heures, tu es prévenue !
Zibous, Ery ! <3
Well done, Sherlockette ! Meuh oui c'est sans doute pas le rebondissement le plus trépidant qu'on ait jamais vu. Quant à la rencontre, héhé, ne crie pas victoire trop vite ! (Quoi, quoi, comment ça je suis nulle pour créer du suspens ?)
Merci beaucoup pour ce commentaire gentil et rafraîchissant Danette, j'espère que la suite continuera de te plaire ! Zibouilles et à bientouille <3
Pour ta note de début de chapitre, je trouve au contraire que ce chapitre ne dépare pas du tout avec le reste de l'histoire. On sent que les choses doivent s'accélérer avec ton personnage masculin, il a besoin que tout aille à toute allure et tu le décris très bien tout le long du texte. C'est très bien joué ça, de parvenir à faire comprendre au lecteur que les actions qui se déroulent sur des centaines de mots, ne concernent dans ton histoire que quelques millièmes de seconde. Je vais me répéter, mais je trouve ta façon d'écrire... parfaite !
Je suis bien contente que la "vitesse" de ce chapitre soit compréhensible à la lecture, c'était un des points que je craignais le plus. Je m'étais même demandé s'il n'était pas préférable de ne pas faire de longues descriptions, juste quelques petites phrases, pour qu'on saisisse bien que tout se passe très vite... Mais c'était pas la peine on dirait, les plumes sont des lecteurs très perspicaces ;P
C'est trop gentil, d'autant plus venant de toi dont j'admire beaucoup l'écriture, merciiii <3
Je trouve qu'on perçoit aussi très bien une action / une activité beaucoup plus présente. Lui se lève avec un entrain qu'on ne lui connait pas. Puis tout s'enchaîne très rapidement : l'idée de créer un logiciel d'abstraction lui vient, il commence à le créer, ses capacités mentales se dévoilent dans toute leur puissance et il en vient finalement à rencontrer Elle qui lui permet d'acquérir les éléments nécessaires à la finalisation de ce logiciel hors du commun.
Tu nous offres donc là une ascension émotionnelle très forte et magnifiquement mise en place, chapeau bas !
J'aime bcp ton chapitre, sa structure et sa chute : il bouleverse le monde et part dans celui des rêves...
Merci beaucoup ;D
J'ai lu ce nouveau chapitre d'une seule traite. Je trouve que le malaise du personnage est palpable à son réveil. Quand il prend la décision de s'offrir une journée de congé, l'étouffement diminue d'un bon cran. Je me suis ensuite laissée porter par son élan créatif, une frénésie que l'on peut comprendre quand une nouvelle idée nous parvient et que l'envie de la transposer s'empare de nous. J'aime la réaction face à Elle, face à cette mate, qui a réussi à créer un barrage et qui n'est pas un simple mouton. J'apprécie les réactions qui déferlent, cette polémique qui naît et tout à fait logique. La question est de savoir comment ce sera après ça... si cette création réussira à révolutionner le monde ou s'il n'en sera rien.
Mais pour le découvrir il va falloir lire la suite vu que notre ami s'évanouit à la fin du chapitre. D'une certaine façon, ce n'est pas plus mal. C'est un répit avant les conséquences sans doute inévitables.
Joli chapitre en tout cas :)
Très bonne question :) Forcément, le monde ne pourra plus être le même après ça. J'y réfléchi beaucoup ! Il doit forcément y avoir une sute à cette histoire, parce que ce changement est un des aspects que je ne développe pas dans ce que j'ai écrit pour le moment. Enfin, tu comprendras pourquoi en le lisant, j'espère ^^'
Merci beaucoup :)
Et du coup, j'ai trouvé qu'il avait créé son programme super facilement, lalala. Bon, d'accord, je connais rien de la technologie de ce monde et quand on code par la pensée, on va sûrement plus vite qu'en se bousillant les doigts sur un clavier. Mais je sors en fait de trois heures de recherche de bug sur un méchant site et je suis jalouse face à sa rapidité alors que moi, pauvre malheureuse, j'ai perdu la quasi-totalité de mes neurones atrophiés :P
Tu m'as d'ailleurs filé des angoisses en racontant son réveil et les programmes à faire en attente. Je me suis vue devant l'écran à tenter de réinventer la roue pour chaque gus. Mais ça va, je me soigne.
Bref, tout ça pour dire que c'est quand même classe, ce programme qu'il vient de créer. Ca va ouvrir plein plein de nouveaux horizons. Par contre, j'ai peur que maintenant, cette pauvre Elle qu'il a croisée au détour d'une pensée, bah il va pas réussir à la retrouver parce qu'elle va se débrancher vite fait bien fait de la toile. Dis moi que ça va pas être le cas et qu'ils vont vivre heureux, toussa, toussa :')
Tu peux le dire, plein d'horizons dans tous les sens :D Ouh là, ce serait vraiment du maltraitage très très violent de personnages, et ça c'est pas ma spécialité :P J'dis pas non plus qu'ils vont vivre heureux mais... Oh et puis zut, bien sûr que si, même qu'elle va perdre sa pantoufle de verre et se faire recueillir par sept nains qui tomberont dans un sommeil magique qui durera... Euh, bref, ça devrait pouvoir s'arranger.