Je venais seulement de réaliser que demain matin, j’allais tout quitter. Ma chambre, ma maison, mes parents, mon quartier, mes amis. Je faisais partie de ceux qui avaient la chance de partir. Tous les jeunes de mon âge rêvaient de la même chose : quitter le pays. Aller en France. Je regardais ma valise, qui débordait des provisions que ma mère avait insisté pour que j’emporte. Ma tenue pour le voyage était suspendue à un cintre. Des habits neufs, que j’avais choisis avec mon meilleur ami, Mohamed, qui lui, resterait ici. Un jean et un sweat à capuche bleu et blanc. Mon oncle m’avait offert une paire de baskets neuves. J’aurai fière allure.
Je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre. Je n’arrive pas à imaginer ma future école, comment se passera ma vie là-bas. Je n’arriverai jamais à dormir cette nuit, j’en suis sûr. De toute façon, avec Mohamed, on a prévu de passer la nuit dehors, avec les copains du quartier, pour une dernière soirée, à refaire le monde. Je la vois bien dans leurs yeux, l’envie. Pas de jalousie : on a été élevés ensemble, dans le respect et le partage. J’ai simplement eu plus de chance qu’eux : j’ai pu bénéficier d’une bourse pour poursuivre mes études, alors que mes camarades de classe ont dû arrêter les leur après le baccalauréat.
J’ai toujours été un bon élève. “Promis à un brillant avenir”, comme aime le répéter mon père à tout le quartier. La famille compte déjà sur moi. Je vais réussir, devenir quelqu’un. Grâce à moi, le sort de tout le monde va s’en trouver améliorer. Je n’ai pas le droit à l’erreur, ni à l’échec. La France m’ouvre les bras pour trois années, durant lesquelles je vais travailler dur et revenir avec un diplôme d’ingénieur. Il y a tant à faire pour développer notre pays. Je serais l’un des pionniers de la transformation numérique ou des innovations technologiques.
Pour le moment, je dois finir de préparer mon bagage cabine. Je n’ai jamais pris l’avion, je suis survolté rien qu’à cette idée. Je dois retrouver mes camarades de prépa à l’aéroport à huit heures du matin. Nous partons tous ensemble, c’est bien plus rassurant pour nous et pour nos parents. Beaucoup ont déjà pris l’avion, je sais que je n’aurais qu’à faire comme eux pour ne pas avoir l’air d’un nigaud. J’imagine déjà ma mère en train de pleurer dans le hall de l’aéroport et mon père, droit comme un I, le regard fier. Dix heures de vol, ça va être drôlement long. Je compte bien dormir pendant le voyage. Puisque je n’aurais pas dormi de la nuit, ça me fera passer le temps. J’ai hâte de voir ma ville depuis le ciel. Je me demande si je pourrais reconnaître mon quartier, ma maison ?
Mon passeport est posé sur le bureau, avec mon billet d’avion glissé à l’intérieur. Il y a également la pochette qui contient mon extrait d’acte de naissance, mon attestation de bourse, l’attribution de mon logement en résidence universitaire, et cinq cent euros en liquide. Une fortune. Je pressens que je vais vérifier des centaines de fois pendant le trajet que je ne les ai pas perdus. Il les faut pour régler le premier mois de loyer et la caution de ma chambre à l’arrivée. Je vais habiter résidence Marcel Aymé, bâtiment B, chambre cinquante-quatre. J’ai vu les photos sur le site internet. J’aurais ma propre chambre, ma salle de bains et ma cuisine. Moi qui ai toujours dû tout partager avec mes deux frères, je n’arrive pas à imaginer comment ce sera d’être seul.
Je relis la liste déjà gribouillée et raturée en tous sens. Est-ce que j’ai oublié quelque chose ? Un ancien élève de la prépa est venu nous parler en classe pour nous donner quelques conseils avant notre départ. Il a dit qu’en arrivant, ce serait difficile, car tout serait différent. Il faudra s’adapter, se serrer les coudes. Le premier choc, ce sera le climat. Nos corps devront s’adapter. Mais quel temps fait-il réellement en France ? Je suis curieux. Quand on croise des blancs en ville, ils sont toujours tout dégoulinants, comme si la chaleur les rendait malades. J’espère ne pas avoir l’air aussi bizarre qu’eux en étant confronté à leur climat.
Il nous a dit également que tout le monde ne serait pas toujours bienveillant comme nous y sommes habitués ici. Qu’il faudrait se méfier avant d’accorder sa confiance et son amitié, mais que si l’on allait bien à l’église tous les dimanches, notre pasteur saurait nous guider et nous conseiller. J’ai confiance. J’ai toujours été optimiste et courageux.
Je ne reviendrais pas dans cette chambre avant des années. Mes parents sont bien incapables de me payer un billet d’avion pour rentrer l’été. De toute façon, je compte bien travailler durant les congés, acquérir de l’expérience, amasser un petit pécule. Je sais que j’aurais des stages à faire également. Je me vois déjà en costume, bien sapé, en train de discuter avec mes collègues dans un bureau gigantesque. La tête des copains quand je reviendrai dans trois ans, avec plein d’histoires à raconter. Il ne faudra pas trop frimer tout de même, ce ne serait pas convenable.
Comme j’ai hâte de voir Paris ! La Tour Eiffel, les Champs Elysées... Je vois déjà d’ici les stories que je vais faire sur les réseaux… Dès que j’aurais un week-end de libre, j’irais visiter la capitale. Je vais aller au Louvre, à Versailles… C’est comme si j’allais entrer dans mon livre d’histoire de l’élémentaire [1], marcher aux côtés des sans-culottes lors de la prise de la Bastille ; dans les pas d’Emile Zola au Bon Marché ; flâner dans le quartier latin comme le fit Aimé Césaire. Je suis à l’aube de ma vie, je le sais. Encore une seule soirée, une toute petite nuit et je serais en route pour devenir quelqu’un.
[1] C’est ainsi que l’on nomme l’école primaire dans certains pays d’Afrique.
J'ai juste deux ou trois remarques/questions à faire :
Dans le premier paragraphe "je regardais la ma valise", j'aurais retiré le "s" parce que c'est du passé simple (sauf s'il regardait la valise depuis longtemps, auquel cas, pas besoin de modification puisque c'est de l'imparfait).
"500 euros ; "2 frères" ; "chambre 54", n'aurait-il pas été préférable de les écrire en lettres ? Cela ne me dérange pas dans la lecture du texte, mais généralement (sauf pour les dates), les nombres sont écrits en lettres. Après, chaque auteur fait comme il veut !
Enfin, est-ce volontaire que les temps principaux pour Alouine soient le présent et le passé composé et pour Daphnée l'imparfait et le passé simple ?
Mises à part ces remarques (faites par une simple lycéenne), j'ai trouvé ce début vraiment sympa et je file lire la suite !
Quant à la concordance des temps, je me pose moi même la question !
J'espère que tu vas poursuivre la lecture et continuer à me faire des retours !
Au niveau de la forme je te propose quelques petites suggestions :
« Des habits neufs, que j’avais choisis avec mon meilleur ami, Mohamed, qui lui, resterait ici. » Il y a peut être un peu trop de virgules, je laisserais uniquement les deux qui encadrent Mohamed.
Même remarque je mettrais plutôt : « De toute façon, avec Mohamed on a prévu de passer la nuit dehors avec les autres copains du quartier, pour une dernière soirée à refaire le monde »
Dans « La tête des copains quand je reviendrais dans trois ans » je mettrais « je reviendrai » car il me semble que c’est du futur
Pareil ici « Dès que j’aurais un week-end de libre, j’irai visiter la capitale » avec « j’aurai »
Et ici « je serais en route pour devenir quelqu’un » avec « serai »
N’hésite pas à me dire si ce genre de retour t’intéresse ou si tu préfères que je me concentre uniquement sur le fond 😊
Très prometteur en tout cas !
J'aime beaucoup ce personnage, et ai hâte de passer au chapitre suivant.
L'école élémentaire se dit aussi en France (CP au CM2), l'école primaire est en réalité le rassemblement de la maternelle et de l'élémentaire (qui l'eut cru ? :p).
Pour info : le futur à la première personne se termine par -ai.
Bonne continuation, hâte de lire la suite :D