Ambition

Par Sebours
Notes de l’auteur : Voici le premier chapitre de l'arc racontant l'histoire des ancêtres de Ome. Ceci est mon premier ajout de la phase de réécriture. Il devrait y avoir une dizaine de chapitres sur cet arc. L'histoire peut fonctionner sans, mais cela apporte un équilibre entre les derniers nés de Nunn et les autres peuples je trouve.

La concurrence entre membres de la sixième caste est âpre. Pour réguler et contrôler le marché les gens de la manufacture se sont organisés en guilde pour chaque corps de métier. Les artisans protègent farouchement leur pré carré. Il n’existe ainsi que deux manière d’entrer dans la sixième caste et dans une guilde précise. La première, la plus fréquente est la transmission du privilège par hérédité. La seconde passe par l’achat d’une charge. Cependant, le prix s’avère exorbitant et les primo-accédants à la sixième caste sont rares.

« La sixième caste »

extrait du Traité sur les sociétés du bouclier-monde

du maître architecte Vinci

Comme chaque matin, Ame se leva aux premières lueurs de l’aube. C’était lui qui était chargé de démarrer la forge, il réalisait toujours cette tâche avant tout autre chose pour ne pas l’oublier. L’adolescent avait bien trop peur des conséquences que cela engendrerait. Un jour, alors qu’il avait six ans, il s’était rendormi sans allumer le feu. Maître Ampèle, son père adoptif lui avait alors administré une peignée dont il se souvenait encore du haut de ses quinze ans.

Le couple d’elfes auquel il avait été confié l’élevait à coups de trique, mais Ame savait la chance qu’il avait d’avoir atterri au sein d’un ménage aisé. Rares étaient les derniers nés de Nunn dont la charge avait été attribuée à des gens huppés. La plupart avaient été réparties entre les trois dernières castes, celles qui demandaient le plus de mains et qui étaient les plus pauvres.

Ame descendit donc de sa mansarde en faisant attention de ne pas faire grincer l’escalier de bois en passant devant la chambre de ses parents adoptifs. Une fois dans le séjour, il déposa une bûche et tisonna les braises mourantes de la cheminée pour raviver le feu. Le temps que l’opération prenne, le garçon vida les cendres du four de l’atelier et prépara son montage. A la première flamme, il utilisa une brindille pour la transférer à la forge et commencer la montée en température.

Am appréhendait toujours la suite en cette période hivernale. Il serait bien resté au chaud à profiter de la douceur du foyer renaissant, mais il avait ses corvées à accomplir. Il enfila son poncho de laine mité et miteux puis sorti. Bien vite il se souffla dans les mains et une fumée de vapeur s’envola de sa bouche. L’apprenti forgeron plaça une bûche sur le fendoir et commença à dégrossir la pile de bois livrée la veille. Si seulement je n’avais que le bois de la forge à fendre, mais mon salut passe par ces efforts ! pensa le jeune garçon déjà transi de froid. Ame respectait donc un ordre bien précis. La première charrette allait aux boulangers pour leur four. La deuxième aux tavernes. La troisième aux savonniers et aux tanneurs. Et les autres artisans envoyaient dans la journée leurs apprentis récupérer le bois nécessaire à leur journée de labeur. Et entre chaque livraison, le frêle garçon devait alimenter la forge et attiser le foyer avec le soufflet.

Après deux heures d’alternance entre le froid glacial de la cour et de l’étuve étouffante de l’atelier, Ame rentra pour déjeuner avec maître Ampèle et maîtresse Olympe. Une fois, il s’était risqué à ne pas utiliser leur titre. Le couple d’elfes l’avait sévèrement recadré, le menaçant de l’abandonner. L’adolescent se savait en sursis. C’était pourquoi il s’infligeait cette difficile tâche de fendre du bois pour tous les commerces du quartier. Ainsi, il amassait progressivement un petit pécule dans l’espoir d’un jour s’établir à son propre compte. Malheureusement, le droit d’entrée dans la guilde des forgerons s’avérait exorbitant. A ce rythme, il faudrait au moins mille ans à Ame pour économiser suffisamment. En qualité de dernier né de Nunn, il avait la chance d’avoir une croissance rapide comparé aux elfes. A quinze ans, il présentait la maturité physique d’une créature d’un siècle ! Grâce à cette différence physiologique, il avait gagné un temps précieux pour son projet. Pourtant, le trajet lui semblait encore long pour l’adolescent. Peut-être qu’il se moquerait de lui-même lorsqu’il aurait l’âge de maître Ampèle. On ne jugeait pas le temps qui passe de la même manière à quinze ans ou après quinze millénaires d’existence.

Comme tous les matins, sur leurs bancs, autour de la table rustique, le couple d’elfes et le dernier né de Nunn listaient les tâches effectuer au cours de la journée. La collation ne déviait jamais des ingrédients quotidiens, à savoir, le pain ramené par Ame de chez le boulanger, le lait du laitier et le reste de gruau qui chauffait depuis le levé de l’apprenti. Un repas frugal mais sain et abordable qui permettait à maître Ampèle de faire des économies. Lui aussi économisait pour s’acquitter des droits d’entrée dans le corps des maréchaux-ferrant de sa guilde.

Alors que le forgeron cherchait une certaine ascension sociale, il rechignait à former correctement Ame à l’art de la métallurgie. Bien souvent, l’apprenti n’était cantonné qu’aux tâches subalternes en tête desquelles trônait le feu et son alimentation. L’adolescent ne perdait pas un geste, pas un son, pas une odeur de ce qui se passait dans la forge. Il connaissait par cœur les procédures du travail du fer. Cependant la théorie ne valait pas la pratique. Ame n’avait encore jamais manipulé un marteau, frapper sur l’enclume ou effectuer une trempe. Comment pouvait-il demander sin entrée dans la guilde avec un si piètre bagage technique ? Pour l’instant, il était plus compétent en matière de bûcheronnage qu’autre chose.

Stévenin, le commis de marmiton de la maison du grand chambellan arriva pour récupérer sa commande de bois quotidienne. C’était le signe pour Ame que son déjeuner prenait fin. Le garçon s’était demandé pourquoi un commis de cuisine du palais royal venait se ravitailler directement dans le quartier de la sixième caste. Et c’est là qu’il avait commencé à saisir toutes les subtilités de la société elfe. Chaque caste remplissait un rôle. Les artisans produisaient, les marchands vendaient et les nobles consommaient. Stévenin, membre de la neuvième caste des serviteurs se trouvait au plus bas de l’échelle sociale. Seuls les proscrits de la dixième caste se situaient plus bas encore. Il avait expliqué à Ame son intention de ne pas végéter dans cette condition. Pour parvenir à ses fins, le grouillot s’affranchissait de certains intermédiaires et récupérait les commissions au passage. Ainsi, il comptait acheter une charge de chef cuisinier du palais. Au fil du temps, Stévenin était devenu un ami et il avait motivé l’apprenti forgeron à creuser son propre sillon vers la réussite sociale. « Je te vois ce soir pour boire une bière au lutin siffleur ! » lui glissa l’espiègle elfe juste avant de partir. La bonne bière du soir était la seule chose réconfortante de la journée de Ame. Le reste n’était que labeur et sueur. Il se prit à rêvasser sur son avenir, une fois qu’il serait forgeron. « Tu crois que la forge va s’alimenter toute seule ! » lui cria maîtresse Olympe. Vite, l’adolescent se remit à la tâche, chargeant du bois et activant le soufflet.

Le quotidien fut bouleversé pour le repas du midi. Ampèle et Olympe recevaient à manger maître Ruffo, prévôt du corps des maréchaux-ferrants ainsi que son fils. Le riche et puissant artisan venait placer son héritier, Rusio en apprentissage en échange de son appui lors de la candidature de maître Ampèle au titre de maréchal-ferrant. Pour une fois, Ame put jouir de son après-midi car les négociations durèrent presque jusqu’à la nuit tombée. Cependant, cette venue impromptue bouleversa les perspectives du garçon. En effet, le forgeron lui annonça dans la foulée qu’il n’était pas en capacité d’assumer deux apprentis et qu’il ne comptait pas le payer à ne rien faire. Ce soir-là, ce fut le cœur lourd que Ame se rendit au lutin siffleur retrouver Stévenin.

« Alors comme ça, le vieux te laisse que trois semaines pour déguerpir ! Allez mon pote ! A la santé de Maître Ampèle! »

« Je vais être à la rue et toi tu penses qu’à descendre des bières ! Merci pour le soutien Stévenin ! »

« Mais c’est ta chance mon pote ! C’est l’évènement qui te fallait pour viser plus haut ! Tu as plus qu’à te lancer et acheter ta charge de forgeron à la guilde ! »

« Et avec quel argent bourricot ?! J’ai même pas un dixième de la somme ! »

« Bourricot toi-même, mon pote ! T’as qu’à faire un emprunt ! Les questeurs c’est pas fait pour les orcs ! »

« Tu crois vraiment qu’un elfe me prêterait la somme pour m’établir ! Tu es déjà saoul Stévenin ! »

« Y-a pas qu’les elfes qui prêtent de l’oseille, mon pote ! J’connais deux ou trois lutins ou cynochéphales qui t’arrangeraient ton affaire aux petits oignons ! Enfin, je te conseille plutôt les lutins, mon pote ! Vaudrait mieux pas avoir à faire à un grand loupiot si t’es en retard de paiement ! Ah ! Ah ! Ah ! »

Le marmiton du palais passa son bras autour du cou de Ame et entrechoqua les chopes de bières. Les deux amis engloutirent de grandes quantités du divin breuvage tard dans la nuit en élaborant une stratégie pour l’avenir. Le lendemain, Ame se rendit dans le quartier marchand des lutins à l’adresse que Stévenin lui avait fournie. Le soir même, une bourse pleine dans la poche, l’ambitieux garçon présenta son projet à ses parents adoptifs. Ceux-ci accueillirent la joyeusement la nouvelle. Maître Ampèle déconseilla à son apprenti de sortir avec Stévenin avant d’avoir acheté sa charge. C’était un coup à boire plus que de raison et perdre son emprunt aux jeux ! Ame se rangea au bon conseil de son maître et monta se coucher, des rêves plein la tête sur son avenir qui s’annonçait radieux.

Dès l’aube, l’aspirant forgeron se leva, excité comme une puce. Il remplit ses tâches de bûcheronnage puis mit un temps fou à se préparer. Il n’avait pas l’habitude de s’apprêter pour accomplir les travaux de la forge. A dix heures, il se prit sa bourse pour se rendre au siège de la guilde des forgerons. Ame remonta l’artère principale, tourna à droite dans la rue des bouchers, puis à gauche dans la ruelle des tanneurs. A mi-chemin de la voie, un immense centaure bloqua le passage. Ame se retourna. Un deuxième centaure lui bloqua la retraite. « Bon ! On sait que tu trimballes une bourse bien remplie ! Soit tu nous la donnes gentiment, soit on vient te la prendre ! Et là, je te cache pas qu’il t’arrivera des bricoles ! » L’apprenti cria à l’aide, mais personne n’intervint. Il y eut bien quelques elfes qui sortirent sur leur perron. Ils se contentèrent de regarder. Après tout, ce n’était pas quelqu’un de leur race qu’on agressait. Ce n’était qu’un membre d’un embryon de peuple allié. Le garçon tenta de résister, mais que pouvait un dernier né de Nunn face à deux monstres d’une tonne chacun ?! Les deux malfrats le dépouillèrent sans vergogne, le laissant pour mort sur le pavé humide. En perdant sa bourse, Ame venait de perdre son avenir ! Qu’allait-il devenir ?

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Peridotite
Posté le 06/11/2023
Ça y est, je me lance enfin dans les chapitres de la lignée d'Ome.

On commence après l'apparition des bébés premiers nés, après le conseil des Elfes. Ces enfants ont été confiés à des familles elfes, mais à la façon dont ses "parents adoptifs" considèrent Ame, on les imagine plus comme des maîtres ayant recueilli un chiot que comme des parents. Pas de bol pour Ame, ces maîtres sont loin d'être sympas. Ils le surexploitent et l'abandonnent à la première occasion.

Tu pourrais même accentuer le parallèle avec le chien et ses salauds de maîtres, en montrant des Elfes sympas avec lui enfant, mais depuis qu'il est adulte, ils le méprisent (c'est souvent le cas des gens qui adoptent des animaux à la va-vite. Ils aiment bien le chiot mais pas le chien). De plus, pas besoin de l'ajout du second apprenti, ils pourraient mettre Ame à la porte du jour au lendemain, comme les gens cons font avec les chiens justement ?

Le pauvre Ame n'est pas dans la panade. À moitié mort, fauché et avec des dettes auprès des lutins. C'est mal barré pour lui quoi ! Hâte de découvrir ce que tu nous réserves !

On dirait que tu vas utilise les lettres de l'alphabet pour la lignée de Ome (Ame, Eme, Ime, Ome) ?

Mes petites notes

"A quinze ans, il présentait la maturité physique d’une créature d’un siècle !"
> Ah oui je me souviens que les Elfes vieillissaient différemment que les Derniers Nés et autres races.
> Du coup, les Elfes prennent un Dernier Né comme nous on adopterait un chien ?

"Pourtant, le trajet lui semblait encore long pour l’adolescent."
> J'enlèverais le "lui" ou "pour l'adolescent" car avoir les deux, c'est redondant

"listaient les tâches effectuer au cours de la journée."
> Manque un "à"

"le pain ramené par Ame de chez le boulanger, le lait du laitier"
> On s'en doute non, est-ce utile de préciser que le pain a été acheté chez le boulanger et le lait chez le laitier ?

"demander sin entrée"
> son

"Le lendemain, Ame se rendit dans le quartier marchand des lutins à l’adresse que Stévenin lui avait fournie"
> Je reviendrais à la ligne

"Ceux-ci accueillirent la joyeusement la nouvelle.€
> Un "la" qui traine
Peridotite
Posté le 06/11/2023
Je viens de penser à un bouquin qui pourrait t'inspirer pour l'écriture des chapitres de la lignée d'Ome : No Home de Yaa Gyasi. C'est pas une fantasy, le roman relate la lignée d'un afro-américain depuis sa capture en Afrique en passant par son esclavage aux États-Unis jusqu'à de nos jours. Chaque chapitre est le descendant suivant, l'enfant de l'aventure précédent. C'est un format que tu pourrais utiliser pour la lignée d'Ome avec chaque chapitre écrit comme une nouvelle, progressant d'ancêtre en ancêtre. Tu pourrais d'ailleurs les glisser entre les chapitres des immortels, ça donnerait une idée du temps qui passe ? Enfin, c'est qu'une idée comme d'hab
Sebours
Posté le 06/11/2023
Merci pour tes commentaires Péridotite.

Alors, je lirais peut-être le roman que tu me recommandes pour ma culture perso, mais je ne penses pas m'en inspirer. Comme je l'ai déjà dit, j'ai mis trop de trucs dans mon histoire. Et j'ai encore des machins à y mettre. Alors si en plus je rajoute d'autres bidules pas prévus au départ...

Je plaisante bien sûr. En tout cas, c'est marrant comme parfois, dans ce qu'on écrit, les lecteurs voient des références que l'auteur même ignore. Comme tout a déjà été écrit cela dépend de la grille du lecteur. Et pour l'auteur, c'est l'angle, le style et plein de petits trucs qui le différencient des IA comme ChatGPT.
Peridotite
Posté le 06/11/2023
Oui, c'était juste une idée comme ça, pour raconter la vie des ancêtres d'Ome avec un chapitre par ancêtre.

Ces nouveaux chapitres suggèrent que les premiers chapitres sont sur une période de temps très longue comparés aux suivants ?
Peridotite
Posté le 06/11/2023
PS : je me suis enfin commandée la première intégrale des Aventuriers de la mer de Hobb ! 🙂
Edouard PArle
Posté le 20/06/2023
Coucou Sebours !
Toujours très sympa de découvrir à chaque nouveau chapitre un autre pan de ton univers, une autre race en suivant le point de vue d'un de ses membres. Le personnage d'Ame fonctionne bien (très joli prénom d'ailleurs), on s'investit très facilement dans sa quête d'émancipation pour échapper à une vie de soumission.
La chute est très bien, même si je pense que tu aurais pu prendre un peu plus de temps pour poser cette scène. On n'a pas vraiment le temps de s'inquiéter que c'est déjà terminé. Peut-être que quelques retours à la ligne aideraient aussi ? En tout cas, tu nous laisses sur notre faim et on veut savoir ce qui va arriver.
Mes remarques :
"mais mon salut passe par ces efforts" -> passe aussi ?
"frapper sur l’enclume ou effectuer une trempe." -> frappé effectué
"Comment pouvait-il demander sin entrée" -> son
"Merci pour le soutien Stévenin ! »" virgule après soutien ?
"bloqua la retraite. « Bon !" retour à la ligne après retraite ?
Un plaisir,
A bientôt !
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