Le bruit des boules qui s’entrechoquent rythme les parties qui s’enchaînent, depuis maintenant ce qui me semble être une éternité. Chaque match désigne un vainqueur et un perdant. Les vainqueurs finissent par jouer entre eux dans des parties plutôt spectaculaires, et les perdants font de même, dans des affrontements qui relèvent plus de la joyeuse pagaille qu’autre chose. Je pourrais sans doute relever de belles pépites, ou d’hilarantes bouffonneries si j’e prêtais attention à ce qui se passe autour de moi.
Mais je ne m’en occupe pas. Les seules choses qui accaparent toute mon attention à cet instant précis, ce sont les boules de couleurs sur ma table à moi. J’ignore même le visage de mon adversaire du moment. Seules les quatre boules en face de moi, et a fortiori la boule noire qui se dresse encore entre moi et ma victoire, comptent.
Il y en a deux unies, celles de mon adversaire, et une rayée, la mienne, en plus de la noire. Ces deux-là, sont placées chacune à des extrémités opposées de la table, près des trous. La bille blanche est au centre.
La manœuvre s’annonce périlleuse. Un truc que je n’ai encore jamais tenté jusque-là. Mais je reste serein. En temps normal je serais dévoré par le stress, surtout si près de la victoire, du match comme du pseudo tournoi dans lequel je me suis bêtement embarqué. Mais pas ce soir. Non, ce soir mon humeur est au beau fixe : l’appréhension s’est fait la malle, la flemme est allée se rhabiller, et on n’a plus aucunes nouvelles de la solitude et de la morosité. Bref, ce soir tout est parfait !
Je me concentre, visualise la trajectoire qui m’amènera à la victoire, place précisément ma queue de billard et prend instinctivement position. Je tire. Puissance du coup calculée, précision froide et imparable. La bille file droit sur la boule en face de moi, ricoche dessus, elle tombe dans le trou : et d’une. La bille continue sa course et frappe ma seconde boule, à ma gauche, légèrement sur le côté, celle-ci file donc dans le sens opposé emportant une des boules de mon adversaire avec elle, et fini dans le trou que j’avais prévu : et de deux. Victoire !
Je lève alors la tête et jette enfin un œil à celui que je viens d’éliminer.
" Revanche ?, je propose avec un air de défi. Sean, le mec en face de moi, court sur pattes et bâti comme un tank (comme tout haltérophile confirmé qui se respecte) fait " non " de la tête en levant les mains en l’air, signe de reddition.
-Pas moyen ! j’arrête les frais moi. Charles !, s’écrit-il alors pour apostropher le grand gringalet, qui viens lui aussi de perdre lamentablement face à Cole. Arcade ?
-Tout ce que tu veux mec, tant qu’on est loin de ce démon !, lui répond-t-il, dépité par sa troisième défaite à plate couture d’affilée. "
Je les regarde s’éloigner tous les deux, le géant ayant passé son bras autour des épaules du Popeye antillais. Pfff, décidément j’ai vraiment pas eu d’bol à la loterie de la génétique moi. " Pourtant, c’est quand-même toi que tu gagnes les parties du billard ! " je claironne dans ma tête, avec un sourire tout fier sur le visage.
Un petit coup de coude dans les côtes me ramène sournoisement à la réalité.
" Tiens tiens tiens, mais on dirait que c’est toi qui affiches un sourire benêt maintenant. Sourire que j’aurais effacé d’ici quelques minutes, fais-moi confiance.
-T’oseras jamais, le défis-je. C’est beaucoup trop rare de me voir sourire pour que tu trouves l’audace de me l’enlever.
Il s’approche de moi et passe son bras derrière ma tête, beaucoup plus doucement que plus tôt dans la soirée.
-C’est vrai, dit-il ses yeux verdoyants plantés dans les miens. C’est dommage, t’es tellement plus mignon avec un beau sourire aux lèvres. "
Je ne peux m’empêcher de détourner le regard, je sens mes joues chauffées un peu et respirer devient…difficile, à chaque fois qu’il fait ça : qu’il me parle de cette voix basse et chaude qui me détend instantanément qu’il agit avec moi de façon si douce en me regardant comme il le fait maintenant. Je veux dire, ses yeux ont l’air de pétiller. C’est assez étrange, ces sensations… C’est sans conteste la seule personne qui n’ai jamais été capable de provoquer ce genre de réactions physique chez moi.
Il reste ainsi à me regarder pendant quelques secondes avant de se racler la gorge. Du coin de l’œil je le vois papillonner des yeux, comme s’il venait de se réveiller. Il détourne lui aussi le regard avant d’ajouter :
" T-tu aurais beaucoup plus de succès avec les filles, si tu le montrais plus souvent.
C’est rare de voir la légendaire confiance de Cole vaciller. Enfaite, les fois où c’est arrivé se comptent sur les doigts de la main. M’enfin là tout de suite, s’il s’y met aussi ça risque de devenir gênant. Je sais pas comment on détend une atmosphère moi ! C’est pas mon taf d’habitude, mais là faut que je trouve un truc à dire…
-Je t’ai déjà dit que me caser n’était pas ma priorité du moment, je fais remarquer en souriant de nouveau. Ceci-dit, j’ai plus l’impression que c’est toi qui es tombé sous mon charme, chéri ! Je m’en contenterai pour ce soir, si ça peut m’assurer la victoire finis-je en appuyant ma provocation d’une série de haussement de sourcils.
-N’importe quoi !, se met-il à bouder alors que ses joues rougissent légèrement. Je joue pas dans ton équipe, on a dit. Et puis, tu peux fanfaronner autant que tu veux, je vais t’étaler et tu le sais !
-C’est ce qu’on va voir~. "
On se place donc tous les deux à une extrémité d’une table, au fond de la salle. On se jauge, se défie du regard pendant que je place les boules colorées face à la bille blanche…
Et la partie commence. La première d’une très longue série, nos autres potes ayant visiblement déserté les environs. Les boules de billard roulent et s’entrechoquent sur la table à mesure que nos duels se suivent sans jamais se ressembler. La première victoire est pour lui, que voulez-vous. On ne détrône pas un ponte de la discipline aussi facilement. Je ne me laisse pas démonter pour autant et arrache la victoire de justesse à la partie suivante.
Pendant les premières secondes, je l’avais senti encore perturber par notre échange, plus tôt. Mais plus les parties se suivent, plus je le vois se détendre : on rit, on se provoque, on se félicite quand on réussit des coups impossibles, il me conseille quand je crois être dans des situations inextricables… Cela faisait bien longtemps qu’on n’avait pas passer de moment comme celui-là ! On a enfin retrouvé notre complicité des premiers jours. J’ai eu peur qu’elle ne se soit envolée. Depuis plusieurs semaines, il m’avait l’air distant, j’ai eu l’impression qu’il m’évitait et ça m’a fait…peur, j’avoue.
Mais je me trompais, heureusement !
" Décidément c’est un festival ce soir, murmure Cole en massant gentiment mes épaules. Je t’ai rarement vu aussi expressif dis-moi. Que me vaut ce privilège ?
-Je suis juste… heureux, je réponds en lui faisant un franc sourire. Je passe vraiment une bonne soirée. Merci Cole !
-Tout le plaisir est pour moi, garçon, dit-il en ébouriffant mes cheveux. Je vais me prendre une bière, tu veux quelque chose ?
-Eeeuuuh… Un jus sans pulpe ! Avec du jus de citron, e-et aussi, quelques feuilles de menthe et… !
-Eh là, garçon ! tu baves, m’interrompt-il en partant d’un rire franc et sonore. Je vais voir ce que je peux faire ok ?, continue-t-il sans parvenir à se calmer.
Alors qu’il s’éloigne, je me souviens d’une chose de la plus haute importance. J’attrape son bras et le retourne vers moi.
-Pas si vite chéri ! Quand tu dis " bière ", tu parles uniquement de bière, on est bien d’accord ?, je m’assure en insistant bien sur chaque syllabe du mot " uniquement ".
-Mais bien sûr, se met-il à balbutier en évitant mon regard. Qu-qu’est-ce que tu vas imaginer hein ?
-Ah, rien de spécial. Je me disais juste que ce serait dommage qu’on te retrouve demain, à moitié conscient sur le bas-côté. Tout ça parce que monsieur a (encore) voulu faire un mélange douteux, pour " faire de nouvelles expériences ". Mais bon je te fais confiance. Après tout, tu sais bien que je n’ai pas l’habitude de ramasser ce qui traine par terre, non ?
-Je… Vraiment charmant, bébé, rétorque-t-il en faignant de se vexer. Bon, j’y vais !
C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’apprécie tant Cole. Malgré sa personnalité forte et son charisme de leader, il n’est pas du genre à se braquer ou à s’offusquer quand on le provoque un peu, ou qu’on lui fait la morale. Enfaite c’est le premier à répliquer la plupart du temps. Mais il sait aussi s’incliner quand il faut.
La plupart du temps, à cause de ma nature discrète et observatrice, les gens me voit comme une personne effacée et sans grande personnalité. Pour eux je suis plus un genre de plante verte qu’autre chose. Ils ont tort. Et souvent, quand ils s’en aperçoivent ils se braquent, s’énervent parce qu’ils se sentent atteint dans leur égo ou leur autorité. C’est particulièrement vrai pour les gens avec une forte personnalité, les gens importants dans un groupe, les leaders. Les gens comme Cole.
Ceux-là deviennent… dangereux. Quand ils voient que quelqu’un comme moi discute leurs décisions et leur tient tête, ils essaient de le museler, de lui " montrer sa place " comme ils disent… Pfff, ils sont tous aussi prétentieux les uns que les autres. Tous sauf lui. Lui il est différent. Lui il est…solaire.
Je sais ce que certains peuvent penser, vu de loin notre relation peut paraître ambigüe. Mais lui c’est une personne très joueuse, il ne se prend jamais vraiment au sérieux, j’ai toujours l’impression qu’avec lui rien n’est grave, tout est simple. Et puis, il a toujours été là pour moi et je mets toujours un point d’honneur à toujours l’être pour lui, quoi qu’il arrive, entre nous il y a donc une confiance sans faille. Ajoutez à cela sa nature spontanée et tactile (sans doute une des nombreuses raisons de son succès incontestable auprès de ces dames, ça et il faut bien l’avouer, son corps de rêve) et vous avez tous les ingrédients nécessaires à une amitié fusionnelle conne la nôtre.
Une fois de retour (avec mon super jus tout comme je le voulais) nos parties recommence encore et encore. Nous sommes constamment au coude-à-coude, sans jamais pouvoir nous départager. Nos corps chauffent, se fatiguent sous l’effort et intellectuel et physique, que nous demande notre duel.
Quand nous levons enfin le nez de notre table, on est exténué et estomaqué par l’heure qu’il est… Trois heures du matin, rien que ça. On décide donc d’enfin rentré. Mais vu que c’est les vacances, c’est chez lui que je vais passer la nuit ! Je suis vraiment heureux, parce que c’est le premier ami chez qui je vais dormir. Ça peut paraitre anodin pour beaucoup, mais pour moi c’est un jour à maquer d’une pierre blanche !
J'apprécie toujours ta plume énergique et complice, les petits mots d'esprit ici et là, la simplicité et l'authenticité.
Juste une petite coquille :
>> "Enfaite, les fois où c’est arrivé se comptent sur les doigts de la main." > En fait
Je découvre ton récit à travers les Histoires d'Or.
Je vais être franc d'emblée, je n'accroche pas forcément avec le début de l'histoire. Non pas que ta plume me déplaise ou que ce soit mal écrit, bien au contraire ; ce n'est juste simplement pas mon style. Et non, ça n'a rien à voir avec le côté romance gay, ça ne me dérange absolument pas ! Vraiment, c'est juste une affaire de goût personnel en termes de lecture.
Bon, maintenant que la partie épineuse du commentaire est passée, venons-en au reste.
Ton récit est vivant, la scène autour du billard est réaliste et très bien racontée, la relation d'amitié entre Cole et Isaac assez bien transcrite.
L'intervention de l'individu mystérieux pendant qu'Isaac est en train de lire est très sensuelle, on sent une grande douceur dans ta manière d'écrire. Je pense que lorsque tu auras procédé aux relectures et étoffé un peu ton récit, ce sera son vrai point fort : de belles scènes, touchantes et bien écrites, avec une bonne dose de mystère et de sensibilité.
Et ne te tracasse pas avec l'usage de la première personne et du présent, ça fonctionne assez bien ici. L'introspection d'Isaac rajoute un vrai plus au personnage, ça le rend intéressant et ce serait dommage de s'en priver.
Bref, un récit qui ne correspond pas forcément à mes goûts personnels, mais bien écrit et plaisant à lire. Je ne doute pas qu'il séduira beaucoup d'autres lecteurs ici.
A bientôt
Ori'
Merci énormément pour ce commentaire objectif, je sais que c'est compliqué de fournir une analyse aussi appuyée sur un récit qui ne colle pas particulièrement à ses habitudes.
Si ce n'est pas trop te demander, tu pourrais m'expliquer ce qui fait que tu n'accroches pas ? J'ai bien saisi que ce n'était pas une question de plume, de temps de narration ou d'homo-romance donc rien que je puisse changer, mais alors c'est le fantastique ?
J'essaie de cerner les critères de sélections des publics, comme c'est mon tout premier roman je découvre tout de ce côté-là.
En tout cas j'espère vraiment atteindre le niveau dont tu penses que j'ai le potentiel ! j'ai toujours énormément de doutes quant à ma capacité à créer des personnages profonds.
Merci encore !
Alors ce n'est absolument pas le fantastique car j'en écris moi-même et j'en lis énormément, c'est même le genre que je préfère et de loin.
J'aurais du mal à l'expliquer, c'est vraiment une question de goût personnel, il n'y a pas eu de déclic, j'ai pas accroché. Je n'arrive pas à mettre le doigt dessus pour être honnête, et peut-être qu'en avançant dans le récit je changerais d'avis complètement.
Mais pour l'instant, ouais... c'est bien écrit, y'a clairement du potentiel, mais je n'ai pas réussi à accrocher avec l'histoire. Désolé de ne pas pouvoir être plus précis =/
...
Et il m'a fallu des mois pour faire la moitié du chapitre 1 du tome 2. 😅😂 Du jour au lendemain pouf ! Plus de feeling. Encore aujourd'hui, je ne comprends pas un tel échec.
Pas de souci ne t'inquiètes pas, le cœur a ses raisons que la raison ignore après tout. 🤷🏻♂️
La scène du billard est sympa. Je trouve que c'est intéressant comme cadre et ambiance, ce n'est pas forcément très commun. Enfin c'est surtout que je lis plutôt dans les genres de l'imaginaire donc ça me change ahah
Au début j'ai été perturbé par les surnoms mais on comprend peu à peu la nature de leur amitié. La romance se devine déjà un peu mais ça reste intéressant de voir comment ça va arriver et si l'inconnu ne bouscule pas ça. Bref, il y a des questions à se poser !
Mes remarques :
"si j’e prêtais attention à ce qui se passe autour de moi." -> je
"je sens mes joues chauffées un peu" -> chauffer
"qu’on n’avait pas passer de moment comme celui-là" -> passé
"On décide donc d’enfin rentré." -> rentrer
Un plaisir,
A bientôt !
C'est rassurant de voir que tu te poses toutes les questions intéressantes...
Si tu as déjà commencé le chapitre suivant, tu es sans doute encore plus dérouté que quand tu as écris ce commentaire. Plus j'en reçois, plus je me rends compte que je récit va vite au début, j'espère pas assez pour te faire fuir ! 😏
P.S. : Tu te prends d'un coup d'un seul, tous les questionnements d'un auteur en perdition car laissé trop longtemps sans commentaires, désolééé. 🙈
Pour les surnoms absolument pas, ils sont vraiment adorables et oui on comprend la relation qu'il y a entre eux. Je n'ai pas encore lu la suite alors je ne sais pas si tu cherches à faire planer plus de mystères.
J'ai remarqué ça dans ton texte :
" T-tu aurais beaucoup plus de succès avec les filles, si tu le montrais plus souvent." <- Est ce que le T-tu c'est pour le faire bégayer ou c'est une coquille ?
"-C’est ce qu’on va voir~. " <- la petite vague
C'est pas moi qui oserait corriger un texte tu as bien vu que j'avais pas mal de fautes à mon actif XD
Oui c'est ça, je voulais faire planer un peu plus de suspense parce que je me disais que là, des gens qui agissent comme ça... C'est trop peu crédible qu'ils se prétendent amis. Mais bon en vérité, je pense que c'est quelque chose que je modifierai quand j'aurai fini le tome et que j'aurai une vue globale de l'histoire. J'apprécie juste d'avoir l'avis des lecteur pour prendre la température disons.
Oui c'est fait exprès pour les deux. Comme c'était le premier chapitre, je ne voulais pas me prendre la tête, d'où la vague (que l'on appelle tilde). En plus comme le récit est au présent et que "bégaie-je" ça me faisait mal aux oreilles au début, j'ai préféré "simuler le bégaiement plutôt que de l'indiquer. A toi de me dire ce que tu préfères.
P.S. : Mais non, fais-toi plaisir ! Je ne le prendrai pas personnellement. 😁