Nouveau monde et nouvelles lois.

Le clapotis des vagues sur le sable se fait entendre au loin, une légère odeur d’iode flotte dans l’air et une petite brise tiède caresse ma peau nue. Je soupire d’aise avant de m’étirer paresseusement et de finalement ouvrir les yeux… Et de les refermer dans la seconde, aveuglé par la clarté de l’aube. Moi qui pourtant adore le soleil, comme un genre de drogue, je hais me réveiller avec autant de lumière. Après avoir papillonné des yeux pendant plusieurs minutes, je décide enfin de me redresser. Autour de moi…attendez, c’est quoi cette blague ?!

Soleil rayonnant, ciel d’un bleu limpide et sans nuages, sable fin et chaud, palmiers et eaux turquoise au loin…

" Toto, on est plus au Kansas ". C’est le cas de le dire, là.

Et comme si ça ne suffisait pas au surréalisme de la situation, je me rends compte que, là tout de suite je sens un peu trop la brise marine sur moi. Et en baissant les yeux sur mes cuisses, je prends conscience que Mr Calbar ne m’a pas suivi sous les tropiques.

Ce qui n’est pas le cas de Cole. Le bougre est plongé dans un sommeil profond à ma droite. Son visage endormi est paisible et un léger sourire orne même ses lèvres. Je me demande bien à quoi il peut rêver. Sa poitrine se soulève lentement au rythme de sa respiration, et sur ses reliefs assidument travaillés, sa peau se parsème de quelques poils blond vénitien. Alors qu’un de ses bras repose sur son ventre, l’autre est nonchalamment écarté et posé sur le sable, la paume de main vers le ciel.

Je secoue vigoureusement la tête en revoyant le sable de la plage qui ne devrait pas être là, tout comme la plage en elle-même enfaîte ! Je prends juste le temps de voir que lui aussi est nu comme un ver, et me retourne dos à lui avant de secouer gentiment son épaule gauche.

" Debout la marmotte, il fait jour. "

Un vague grognement de protestation fait office de réponse. Message reçu, changeons d’approche.

" Chéri, lève-toi, je peux te garantir que la journée qui nous attend s’annonce très…sportive.

Le mot magique une fois prononcé, le miracle tant attendu se produit enfin.

-Ouaaaiiiis, s’exclame-t-il avec entrain en se redressant sur son séant pour s’étirer promptement. C’est effrayant comme il peut être facilement manipulable parfois celui-là, et je ne peux m’empêcher de sourire à la simple idée de voir s’effondrer son enthousiasme. Euh Isaac, on est parti en vacance pendant notre sommeil ?, poursuit-il stupéfait.

-C’est ce qu’il semblerait en effet. Mais tu connais pas encore la meilleure.

-Hein ? fait-il complètement éberlué.

-On est tous les deux tout nus.

Le silence qui s’abat suite à cette petite précision que je viens de faire n’est qu’un signe avant-coureur de la tempête qui va suivre.

         " Et voilà, me dis-je à moi-même alors que mon sourire se fait machiavélique sur mon visage. 1…2…3. "

-FraochÚn !!! ", hurle-t-il alors tellement fort que les indigènes alentour (si indigènes il y a) en ont sans doute perdu l’audition.

         Moi je pars dans le plus grand fou rire que j’ai pu connaitre du haut de mes dix-neuf jeunes années. Je me bidonne plié par terre, sans plus faire le moindre cas de ma nudité, c’est juste hilarant !

" Putain Isaac, mais à quoi tu joues ! s’emporte-t-il.

-Eh ! La version irlandaise suffit hein. Et c’est pas moi qui nous ai pommé sur une île déserte !, je réplique entre deux éclats de rire.

-Et c’est moi peut-être ?!

-Vu ta réaction, j’en doute. En tout cas, je tiens à préciser que je nous ai pas non plus désapés. Aïe ! m’écris-je après avoir senti un vif pincement sur mon bras. Mais qu’est-ce que tu fiches toi ?!

-Voulais voir si c’était un rêve, se justifie-t-il en haussant les épaules en toute nonchalance.

-Pour ta gouverne, y’a des tonnes de façons plus douces de faire ça ! Et puis d’abord c’est toi que t’es sensé pincer !, je m’insurge faussement indigné. Par exemple, regarde, je lui dis en mettant ma main face à lui, doigts écartés. Tu vois ma main ?

-Difficile de passer à côté-là, fait-il remarquer avec un sourire en coin. Un regard en biais plus tard, je décide de continuer mon explication.

-Quand on rêve, nos mains ont plus de doigts qu’à l’accoutumée. Mais là, y’en a que cinq ! Conclusion… ?

-On est perdus à poils au beau milieu de nulle part, sans eau ni nourriture, et c’est pas des cracks. Génial.

Je soupire, Cole et son pragmatisme à toutes épreuves…

-C’est sûr que vu comme ça… Bon alors on fait quoi ? Je suppose que savoir comment on est arrivé là n’est pas une priorité ?

-Effectivement, en premier lieu faut qu’on trouve de l’eau, ensuite on trouve quelque part où s’abriter et de quoi manger. Et enfin, on trouve des gens, surtout.

Une fois cette liste établie je décide de me lever, il manque quelque chose de très important selon moi. J’avise l’orée de la jungle derrière nous, la végétation est luxuriante : de longues et assez larges feuilles sur de grands arbres aux troncs fins, des lianes… Parfait. Je cours alors chercher ce dont j’ai besoin.

Je reviens les bras chargés de lianes et des feuilles, sous l’œil dubitatif de mon compagnon d’infortune. Je décide donc de m’expliquer en enroulant une série de feuilles avec une liane autour de mon pied.

" Tu sais quels sont les prédateurs les plus dangereux dans une jungle ?

-Les léopards ? me répond-il en haussant les épaules. Ils sont rapides et agiles et ils grimpent aux arbres, difficile de leur échapper non ?

-Bien tenté mais non, je réplique en m’attaquant à mon autre pied. Ce sont les insectes : les tiques, les coléoptères, les moustiques, les fourmis et j’en passe. Ils sont petits, nombreux et vecteurs de maladies dont, pour certaines, on ignore encore l’existence. Tu serais surpris du nombre de gens imprudents qui chopent Lyme et s’en rendent compte dix ans plus tard, parce qu’ils n’ont pas senti la piqure de la tique qui la leur a transmise. Mais ça, Môsieur le saurait s’il avait suivi les cours de Zoologie, au lieu de pioncer.

         C’est en me tirant la langue, mais avec une minutie toute particulière, qu’il s’est alors lui aussi décidé à se " chausser ". Et maintenant, c’est enfeuillés jusqu’au haut des cuisses et relié l’un à l’autre par une liane, qu’on s’aventure à la recherche d’eau.

         Ce n’est qu’en pleine après-midi (sachant que d’après Cole, on se serait réveillé entre sept et dix heures du matin, d’après la position du Soleil) qu’on parvient à trouver un point d’eau. Cependant, malgré la situation dans laquelle on est, je ne peux m’empêcher de trouver l’endroit tout bonnement magnifique.

Il s’agit d’une petite clairière entourée de hauts arbres aux troncs épais. (J’ai lu quelque part que les plus grands arbres du monde atteignaient les cent mètres de haut, c’était sans nul doute le cas de ceux-là). Et malgré les rides indélébiles que le temps a incrusté dans leur écorce, ils semblent toujours aussi vigoureux et immuables qu’à leurs jeunes années. Dans la clairière, la terre légèrement humide et sablonneuse ainsi que les feuilles mortes tombées des arbres, forment une sorte de tapis naturel (un réconfort plus que bienvenu, pour nos pieds malmenés depuis des heures par la marche et les innombrables aspérités des racines).

Au centre, une grande étendue d’eau reflète les quelques raies de lumière qui percent l’épaisse canopée. Sa clarté est telle qu’elle inonde toute la clairière d’une multitude de reflets dansant. En son centre, un petit monticule rocheux s’élève hors de l’eau et s’ouvre, de telle sorte qu’avec les sillons de lichen qui tapissent le rocher et un peu d’imagination, on croirait presque que l’eau sort de la bouche ouverte d’un petit golem à l’air badin.

Le son sec d’une brindille qui craque dans ce parfait silence nous fait alors sursauter, Cole et moi. Mon ami a alors le réflexe de me saisir par le bras pour nous entrainer tous les deux derrière un tronc d’arbre. On cesse tous les deux tout mouvements en entendant des bruits de pas sur le tapis de feuilles, suivit d’une série de d’aspirations d’eau et de déglutitions. Quelque chose (ou quelqu’un ?!) boit l’eau du lac.

Après quelques minutes je ne peux résister plus longtemps à la curiosité et risque un coup d’œil derrière le tronc… C’est un loup ! Court sur pattes, museau allongé, oreilles en pointes, queue large : pas de doute, cet animal a au moins le physique d’un loup. Et pourtant, quelque chose cloche : son pelage, il est vert ! D’un vert terne mais plus clair au niveau du cou (où une bande de poils longs forme une sorte de petite crinière) et ses poils sont trop court pour que ce puisse être un loup. Pour finir, la finesse de sa silhouette rappelle plus celle d’un félin, que celle d’un canidé. Mais qu’est-ce que ça peut bien être comme bête ?

Mon bras est subitement tiré avec force, ce qui me ramène derrière le tronc d’arbre. Mais (et parce que je ne comprends pas immédiatement ce qui m’arrive, et parce que Cole a tiré un peu trop fort) je trébuche. Sa main s’écrase alors sur ma bouche pour étouffer le couinement de surprise qui en sort. Je me rattrape cependant in extremis sur deux surface dures et pentues derrière moi. Ce n’est que quand il émet un léger grognement de douleur que je comprends qu’il s’agit de ses pieds.

En levant les yeux vers lui, je suis surpris de ne pas avoir droit à un regard noir bien mérité, à la place ses yeux fixent le vide et sa main sur mon visage remonte légèrement pour couvrir aussi mon nez. Le silence environnement me saisit alors, même (surtout) le bruit de l’animal de tout à l’heure n’est plus. Il m’aurait remarqué et se serait enfui ? Mais non imbécile ! T’as vu sa tête ? C’est clairement un prédateur ! Donc s’il t’a remarqué…

Un grognement sourd juste devant notre cachette me donne la pire réponse que je pouvais attendre. On est grillé. On entend l’animal commencer à contourner l’arbre et je sens plus que je ne vois Cole en faire de même, en bougeant lentement et en veillant à ne pas frôler l’arbre, pour éviter de faire le moindre bruit. Je ne sais par quel miracle on (il) arrive à inverser nos positions sans que l’animal ne nous entende.

Mais alors, l’inévitable se produit : alors qu’il occupe la place qui était la nôtre il y a quelques minutes, le " loup " claque des dents en grognant à nouveau. Inutile d’être un expert pour comprendre ce que ça veut dire : jusque-là, il ne nous avait qu’entendu et nous avions une chance (même si elle était mince) qu’il se détourne si on ne faisait plus le moindre bruit. Mais là, il nous a flairé, c’est une toute autre histoire.

Mon cœur bats la chamade, rapidement, je scanne l’environnement qui nous entoure : les branches les plus basses des arbres sont trop hautes, pour moi en tout cas, et les lianes sont inexistantes dans endroit. J’aurais vraiment dû me mettre au sport sérieusement, nom d’une pute, me dis-je intérieurement.

Cole bouge encore sur la gauche et en avisant sa main, qu’il serre et desserre frénétiquement, avant de remonter sur son regard posé sur moi, je sais qu’il pense à la même chose que moi. " Camp " articule-t-il en silence, avant de s’élancer en me poussant sur sa droite.

Sans réfléchir même une milliseconde, je me mets à courir. Vite. Plus vite que je n’ai jamais couru. Soudain, un aboiement animal retenti dans mon dos suivit du son d’une foulée longue et dynamique. La bête m’a pris en chasse, moi, le plus gringalet est imprudent des deux. Elle a dû penser que je suis le plus faible, elle a foutrement raison ! Mais bon sang ! Qu’est ce qui m’a pris d’être aussi stupide ?!

Alors que les larmes me montent aux yeux en entendant mon poursuivant me talonner, en pensant que je vais mourir jeune, stupidement, dévorer par une bête sauvage ; dans un geste désespéré je me jette sur ma gauche, je sens alors un mouvement dans l’air au-dessus de moi ainsi qu’une vive brulure à mon oreille gauche. Alors que je me réceptionne avec une maladroite parodie de roulade, j’entends un crissement aigu, comme celui des pneus des voitures de course sur l’asphalte, suivit d’un claquement de dents sec. En me relevant, je ne prends pas la peine, cette fois, de me retourner.

Je continue ma course effrénée, comprenant aux bruits des foulées de mon poursuivant, que ce changement de direction l’a miraculeusement ralenti. Mais, là encore, il me rattrape vite. Alors je recommence. Encore, encore et encore. Ma trachée brûle atrocement, chaque inspiration me donne l’impression de me racler la gorge avec du papier de verre et à chaque expiration, je sens que je vais vomir mes poumons. Mes jambes aussi me font horriblement souffrir, c’est comme si à chaque foulée, les muscles qui s’élancent pour sauver ma vie emportaient avec eux une partie de l’os auquel ils sont rattachés.

Tout à coup, une lumière aveuglante m’éblouit. Je voudrais bien m’arrêter mais voyez-vous, mes jambes ne veulent plus rien entendre et je cours encore jusqu’à sentir une eau glaciale à mes pieds. Je ne sais absolument pas ni comment ni pourquoi, mais j’ai comme un électrochoc et tout s’arrête. Mes jambes, mon corps, mon cœur, mon sang dans mes veines. Tout. Les lumières s’éteignent dans mon esprit et j’entends à peine une voix grave crier mon nom alors que je m’effondre sur le sable.

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JeannieC.
Posté le 09/11/2022
Ahahah mais cette scène xD D'abord, la proximité amicale et taquine, mais tout ce passage avec le "loup vert" - c'était vraiment marrant. Et mine de rien, même dans ce contexte plutôt léger la tension passe, avec les descriptions des douleurs corporelles laissées par la course.
Juste une petite coquille :
>> "Mon cœur bats la chamade, rapidement," > bat

J'arrête ici pour le moment, je veux essayer de lire au moins un peu chacun des nominés aux Histoires d'Or.
À une prochaine fois ! Bonne soirée =)
A.W. Zephyrus
Posté le 13/11/2022
Au plaisir de te retrouver dans les chapitres suivants !
J.J.Canovas
Posté le 18/11/2021
Alors ça si je m'y attendais ! XD Mais WTF on est où ? MDR j'adore ce revirement de situation ! C'est très surprenant et en même temps très drôle. Le loup vert je l'ai pas vu venir !

J'ai juste remarqué ton utilisation du verbe bidonner qui m'a fait sourire. Est-ce que les jeunes d'aujourd'hui utilisent ce verbe ?
A.W. Zephyrus
Posté le 18/11/2021
Eeeuuuh... Alors, c'est vrai que dans mon entourage je suis le seul à le faire. Mais comme on ne m'a pas encore fait de remarque, je suppose que c'est toujours un terme acceptable de nos jours. Honnêtement, je ne me suis pas trop pris la tête pour les premiers chapitres. Je voulais juste écrire avant que ça parte ! 😂

Et dis-moi, tu ne les trouve pas trop vulgaires ? En principe ils se maitrisent mais au vu des circonstances, je me suis dit que ça pouvait passer...
A.W. Zephyrus
Posté le 18/11/2021
Ah et aussi, est-ce que tu trouve que jouer comme ils le font là (enfin, comme Isaac le fais) c'est crédible. Je veux dire que je sais que c'est pas un comportement commun (la plupart des gens fondraient en larmes ou prêteraient une durite) mais est-ce que ce n'est pas invraisemblable ?
A.W. Zephyrus
Posté le 18/11/2021
Offf... Mon orthographe là…
J.J.Canovas
Posté le 22/11/2021
Non leur comportement colle bien à leur caractère je trouve. :)
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