S’il y a quelque chose que j’ai toujours profondément adoré avec les IV embarquées intégrées aux armures, c’est qu’à partir du moindre moment où il y a ne serait-ce que le moindre problème, même un félin qui chercherait à croquer un bout de fesse, l’armure n’a pas besoin de la réactivité humaine pour se déployer.
Mon visage est la première chose qui est protégée de l’importante déflagration qui emporte le bureau de Hope. Le respirateur s’active alors que le reste de mon armure de combat finit de recouvrir mon corps. Désormais plus haute que les autres de par la configuration de mon équipe, j’ai toujours l’épaule de O’Brian dans ma main. La pauvre, elle a bien manqué de disparaître dans l’aspiration du vide galactique. Plaquée contre le mur, j’attends que les bottes de l’aspirante se fixent à la paroi de métal.
Autour de nous, le chaos commence à régner. Les sirènes s'époumonent et j’hésite à prendre le relais du commandement. Hope se rapproche de nous, de longues ailes mécaniques se sont déployées sur ses épaules. Je porte un doigt près de mon oreille, et l’IA hoche la tête.
— Nous allons nous séparer ! Explorez le plus de zone, Hope, et faites un rapport régulièrement !
— Compris !
— Et prenez Cooper et Iounevitch avec vous !
Les deux soldats n’attendent pas leur reste pour suivre l’auxiliaire, qui va sûrement les mener jusqu’à destination des premières déflagrations. Et moi, dans cette ambiance tendue, je m’abaisse au niveau de la recrue. Ses grands yeux émeraudes, seule partie de son visage visible derrière son casque, sont écarquillés. Et c’est là que je regrette ma décision en Amazonie ; si je l’avais mise devant le sadisme et l’horreur des gangs, peut-être aurait-elle été un peu plus préparée à affronter un ennemi aussi insidieux qu’impitoyable, comme l’est Panoptès.
Et ma volonté de simplement vouloir l’épargner encore un peu, de la préserver autant que possible pour lui laisser une santé mentale correcte arrivée à la fin de sa formation, m’apparaît désormais comme la pire idée du monde. Désolée, O’Brian, mais il va falloir vous secouer maintenant.
— O’Brian… Ça va aller !
— J-je sais pas quoi faire… Je sais pas… quoi faire !
Elle se tétanise et s’enfonce dans ses peurs aussi sourdes qu’un syndrome de l’imposteur que je soupçonne d’être présent. J’inspire profondément, cherchant à donner le ton le plus calme et serein possible, malgré la déformation de mon casque.
— Vous allez rester derrière moi. Vous êtes la chef d’escouade, vous devez retrouver vos moyens, établir une stratégie et donner vos ordres ! Mais, je suis là pour vous épauler, pour vous seconder si vous en avez besoin. Je suis pas Nivens !
J’espère que le petit coup d’adrénaline que peut provoquer la mention de l’officier supérieur sera suffisant pour la faire réagir. Et je ne peux que me réjouir de voir ses paupières cligner à plusieurs reprises. Puis, je fais un état des lieux général. Nous sommes en extérieur, les pieds fixés sur un mur métallique défoncé et l’armure de l’aspirant n’est pas prévue pour une sortie spatiale prolongée.
— On doit… se rapprocher des zones de combat… mais je dois retourner en intérieur.
Au moins, elle est lucide là-dessus. Je l'enveloppe dans mes bras et après une poussée sur mes jambes pour me décrocher de la gravité artificielle de mes bottes, mes propulseurs s’activent et nous filons vers une autre partie de la station.
— Iounevitch et Cooper sont partis avec Hope en direction des laboratoires, mais nous, on va devoir faire un détour.
Je pense qu’elle a compris que traverser le vide galactique avec son équipement est infaisable. Cependant, son silence m’inquiète, parce que ce n’est vraiment pas le moment de perdre ses moyens. Le petit voyage que nous faisons me laisse le temps d’observer la zone autour de moi ; nul vaisseau, aucun trafic. Rien qui indique une présence ennemie. Ce qui signifie que, là aussi, Panoptès était infiltré bien avant notre arrivée, et n’avait même pas quitté les lieux.
La porte d’un sas de dépressurisation, avec un gros U24 peint en blanc dessus, se dessine sous mes yeux. Mais, une fois devant, nous devons faire face à une entrée blindée et résolument décidée à ne pas s’ouvrir.
— Menya eto zaebalo* ! Hope ! On a besoin d’accéder au secteur U24.
— Tout de suite !
Dans la foulée, une lumière verte indique l’ouverture imminente de la porte et je nous propulse à l’intérieur. Hope doit sûrement avoir accès aux rares caméras de sécurité qui fonctionnent, car mon pied est à peine à l’intérieur que la porte se referme aussi sec. Nous sommes encore soumises à l’absence de pesanteur et nos corps flottent l’un contre l’autre. Au-dessus de ma tête, une ampoule orange clignote et j’adresse un sourire moqueur à Eireann :
— Attention à la chute ! m’amusé-je alors que la gravité artificielle se met en route.
Dans un fracas certain, nous nous retrouvons au sol. Je me redresse prestement, bien déterminée à aller dévisser quelques crânes, mais au moment de sortir, je note que l’aspirante est bien loin de me suivre. Assise, elle reste recroquevillée et j’inspire profondément. Ma main sur son épaule, je m’abaisse à sa hauteur :
— Rester sur place, c’est signer votre arrêt de mort.
— J’en suis pas capable… Je crois… Je crois que je suis pas faite pour ça.
Elle ne m’a pas écouté, mais son trouble et ses inquiétudes me renvoient plusieurs années en arrière, au moment où je m’étais moi-même engagée dans l’armée pour fuir mes obligations impériales. Et quand j’ai eu à faire face à ma première situation périlleuse, j’ai pensé la même chose. Parce que sur nos épaules ne reposent pas les mêmes attentes que sur ceux des hommes. On nous attend au tournant, et on doit faire preuve de résultats bien plus excellents que la moyenne.
Sauf que moi, mon chef de section m’avait secoué comme un vulgaire prunier, m’incendiant et m’insultant. J’ai été rabaissée et humiliée. Mon tempérament, cependant, n’est pas celui d’Eireann. Si ça a été un coup de boost pour moi, je crains que pour l’Irlandaise encore accroupie, ça ne l’enferme un peu plus sur elle-même.
— Cooper et Iounevitch sont en compagnie de Hope. Ils pourront encore patienter quelques minutes supplémentaires sans nous, ce sont de grands garçons.
La laisser souffler. Nous ne sommes pas sous un feu ennemi, et l’enfer ne tombe pas comme un déluge biblique sur nos têtes. Nous sommes en sécurité dans un sas de dépressurisation. Je laisse ma main sur son épaule, pour qu’elle comprenne bien par ce geste que je ne la laisserai pas tomber.
— Je peux vous comprendre, aspirante. Je suis passée par là, moi aussi. Mais que ce soit au sein de l’armée de l’air irlandaise ou de la Confédération Terrienne, vous aurez toujours à affronter des situations comme celle-ci.
— Je ne suis pas… sûre.
Ma poigne sur son épaule se raffermit, pour la forcer à se taire.
— Eh bah moi, je suis sûre. Vous concernant, reprené-je un sourire dans la voix, il n’y a aucune raison que vous n’y arriviez pas. Je suis un appui, reposez-vous sur moi au besoin.
Ses doigts tremblent légèrement, l’appréhension doit gagner du terrain dans son esprit. Je dois faire la course contre un monstre sombre qui grignote ses pensées.
— Je vous abandonnerai pas, ok ? Mais, j’ai besoin que vous vous ressaisissez. Appliquez ce que vous avez appris à l’école. Alors ok, c’est pas une simulation, mais j’ai l’expérience du terrain et vous avez la logique de la tactique.
Mes doigts gantés se tendent vers la recrue, qui me semble encore incertaine. Je suis dans l’incapacité de voir son regard, maintenant qu’elle baisse la tête. Si la douceur ne fonctionne pas, je vais devoir la secouer, histoire qu’elle passe la deuxième comme on dit. Mais alors que j’allais reprendre la parole, son poing rencontre ma main, qui se referme sur ses doigts repliés. Un large sourire s’étire sur mon visage. Un sourire que mon armure dissimule, un sourire qu’Eireann ne verra pas.
Une fois relevée, O’Brian décroche son fusil d’assaut, tout comme moi, et nous quittons le sas de dépressurisation pour nous élancer dans de longs couloirs gris, sinueux et mal éclairés. La répétition des motifs sur les portes, de certains espaces me font vite comprendre que nous sommes dans un quartier de vie. Un quartier de vie terriblement vide, mais dont le couloir principal débouche sur le centre de la Station, une zone sphérique dont le plafond s’élèverait presque à perte de vue. Mais là où ce quartier aurait dû être plein d’animations et de discussions, ce sont des bruits de tirs qui les remplacent !
— Bordel, lieutenante ! Vous êtes où avec la gamine ?
Ca, c’était la voix enragée de Cooper qui a manqué de me faire saigner le tympan. Il n’en faut pas plus pour qu’Eireann réplique sur un ton acide :
— Je vous ai déjà dit de ne pas m’appeler comme ça ! On vient d’arriver sur zone, vous vous en sortez de votre côté ?
— On va dire que oui, intervient Iounevitch. On essuie pas mal de tirs du côté Est et ce sont bien les connards de Panoptès qui nous prennent en tenaille.
— J’ai demandé des renforts de SCPAU d’autres stations et de la Terre, mais ils n’arriveront pas de suite, informe Hope. Il faut les empêcher d’avancer vers les laboratoires ! Ils sont bien plus déterminés et renforcés que lors des précédentes altercations !
Je grimace, la communication n’est pas agréable. Si les oreillettes sont calibrées pour apporter le maximum de confort, les larsens et autres grésillements sont douloureux. Et l’aspirante subit aussi de ce que je vois. Elle porte encore sa main au niveau de son oreille. Déjà tout à l’heure, elle avait l’air de subir.
— Coupez votre com’, aspirante, je vous transmettrai les messages !
— Nan, ça ira ! Faut qu’on bouge. Si on reste sur place, la station…
Je jure. Impossible d’oublier les informations du briefing et j’imagine qu’Eireann doit se faire des scénarios catastrophes, agrémenté de l’insécurité qui doit être sienne de par son statut de Naturelle. Elle ne doit pas perdre ses moyens, et je vais occuper son esprit à autre chose que l’éventualité des combats à venir. J’active mon ICP et l’écran holographique affiche déjà un plan de la Station.
Un petit sourire étire mes lèvres. Ah, Hope. Iel a pensé décidément à tout. La construction de la structure est en étoile de David. Une extension a été ajoutée pour accueillir les laboratoires qui sont grisés sur la carte. Tandis que mon regard parcourt l’interface visuelle, c’est O’Brian qui intervient la première.
— On atteindra jamais les labos avant eux. Il faut repasser par l’extérieur, ça sera beaucoup plus rapide !
Elle part dans des explications mathématiques et cartographiques que je maîtrise mal. Je suis un tank comme elle l’a souligné, un bourrin. Moi, je n’établis pas de stratégie, je fonce dans le tas. Elle, en revanche, me prouve actuellement que dans la bonne mise en situation, elle est capable de montrer l’étendue de ses capacités.
— Il faudrait sept minutes pour accéder aux laboratoires en partant de la zone de vie. J’ai suffisamment d’oxygène pour tenir le trajet dans le vide et votre armure est un modèle mixte, qui permet le combat tant au sol qu’en cas d’éjection spatiale.
— Bien, petit génie, mais tes équipements ne supporteront pas l’exposition prolongée dans l’espace, souligné-je. Tu risquerais des bricoles pour pas grand-chose.
Un court silence s’abat sur nous, et la jeune femme baisse la tête. Je me suis surprise moi-même à quitter le vouvoiement, mais, honnêtement, je n’ai pas trop de temps à accorder au décorum. Pour le coup, la sécurité de cet élément du commando compte plus à mes yeux qu’une histoire d’étiquette.
— C’est un risque que je prends en mon âme et conscience. La station est bien trop importante pour qu’on se permette de la perdre maintenant !
Je soupire ; et je n’ai pas le temps de lui opposer tous les arguments que je voudrais. Parce qu’elle a raison. Alors, à nouveau, j’enroule mes bras autour d’Eireann pour la soulever du sol. Son fusil d’assaut en main, la jeune officière me guide tandis que nous nous élevons en direction du plafond. Parfois, quelques tirs résonnent à mon oreille tandis qu’elle riposte, nous protégeant le temps que nous atteignons une zone plus sûre.
Le haut de la station est parcouru de multiples plateformes de maintenance, donnant l’impression d’une ruche. Posées sur l’une d’elle, c’est à la recherche d’un autre sas de dépressurisation que nous sommes. Eireann suit des yeux les indications de son ICP, tandis que nous parvenons finalement à atteindre ledit sas. Une fois à l’intérieur, je baisse ma tête vers elle.
— Quand nous arriverons au laboratoire, vous resterez en retrait. J’irai nettoyer le terrain, vous couvrirez mes arrières, ok ?
Eireann opine du chef avec lenteur, et je soupire. Eireann grimpe de nouveau dans mes bras, et je la soulève du sol toujours sans aucune difficulté. La voix un peu étouffée par mon casque, je lui assure :
— On va faire en sorte que cette mission soit une parfaite réussite pour vous, aspirante. Accrochez-vous !
J’écrase le bouton de dépressurisation et, au moment où la gravité artificielle est levée, je pousse sur mes jambes pour nous extraire de la zone. Sept minutes. Une fois dans l’espace, un compte à rebours défile dans ma tête. J’ai sept minutes pour nous faire atteindre les laboratoires.
Mes propulseurs sont réquisitionnés à leur maximum, tant et si bien que même mon IV embarquée me signale des risques d’anomalie. Peu importe. Si je peux grignoter du temps sur les calculs de l’aspirante, je veux bien prendre le risque de quelques anomalies. Parce que nous sommes trop loin du soleil, et que la température se rapproche du zéro absolu.
Sept minutes. Ça fait déjà deux minutes que je nous élance vers les laboratoires, et le corps d’Eireann entre mes bras commence à se contracter.
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* Fais chier
C'est comment qu'on respire encore ???
Est-ce que je t'ai déjà dit que j'adore Nastia et Eireann ? Mes persos prefs vraiments, quelles femmes : je les aime si fort et leur dynamique bourrin/stratège est juste excellente : je les aime <3
J'ESPÈRE QU'ELLES VONT ATTEINDRE LES LABORATOIRES !
J'AI PEUR AISLINN !!!!!
Mais oui, la dynamique Eireann Nastia c'est ça : la stratège et la bourrine xD