Selon Philidor, tout se passait pour le mieux. Il avait cru un instant que le jeune garçon, Samson, accepte l’étrange invitation de Hugo, mais non. À quoi avait-il pensé, Hugo, lorsqu’il lui avait fait cette proposition ? Qu’ils partaient en villégiature ? Mais, pour leur plus grand bien à tous, il s’était abstenu. C’était pour le mieux.
Il se sentait tracassé cependant. Il avait perdu du temps, plus d’une journée, et il ne doutait pas que son père, bien qu’il ne tienne pas tant que cela à lui, se préoccupait de le retrouver. Non pour avoir le plaisir de sa compagnie, non, bien plutôt pour conserver les apparences. Peut-être aussi, se disait Philidor, qui ne l’admettait qu’à moitié, afin de prévenir son sans-tête de fils de tout écart de conduite. Il n’était pas spécialement un modèle de bon comportement, contrairement à sa sœur.
Onésime, plus jeune que lui de quelques minutes, figurait depuis toujours tout ce qu’il abhorrait, et tout ce que son géniteur encensait : ambitieuse, brillante, un sens de la famille égalant presque celui de son père. Il ne supportait plus ses manigances, sa froide désinvolture face à ses visions, les traitant avec moins d’égards que les rêves du premier goûteur venu. Et pourtant, il le savait, il l’adorait, pour les mêmes raisons qu’il la haïssait : parce que, comme lui, son esprit acéré tentait de percer les couches vaporeuses de leurs visions, et qu’un idéal la dépassant l’animait. Si seulement cet idéal pouvait coïncider avec le sien !
Là où il cherchait des doubles-talents, elle cherchait, prétendait-elle, le successeur. Le seul, le vrai, celui-là même qui devrait prendre la place de leur père et régner sur tous : voyants et goûteurs, flaireurs et otiques, tactiles et sans-talent. Le seul capable de tous les comprendre, puisque réunissant dans un seul corps les cinq talents. Le Legit, l'unique roi admissible, celui que leur père, et son père avant lui, et son père encore avant, remplaçaient, en attendant son retour incertain.
Se tournant et se retournant dans le lit de fortune taillé à même le tronc, tandis que ses pensées se tordaient dans sa tête, il ne pouvait s’empêcher d’être irrité face à la logique pour une fois bancale de sa sœur. Qu’espérait-elle qu’il advienne d’eux, si le Legit venait à reprendre sa place ? Il était au fait que sa position était des plus enviables, même s’il n’avait pas une conscience tout à fait claire d’à quel point. Il ne pouvait s’empêcher de penser que sa sœur faisait fausse route, et que lui seul prenait le bon chemin.
Tâtonnant dans la pénombre, il glissa la main dans l’ouverture de son sac posé contre sa tête. Tout au fond, soigneusement protégé par un carré de velours se trouvait son artefact de voyant.
D’un geste machinal, il superposa à son œil droit ce prolongement de lui même, et fit glisser ses doigts sur le boîtier ornant sa tempe. Cela faisait longtemps désormais qu’il l’utilisait, et le passage de l’obscurité à la lumière sur son iris ne provoquait plus aucune nausée chez lui. Il se tourna un peu plus, coinçant son œil nu contre son sac, et composa sous ses doigts une combinaison de touche. Le kaléidoscope d’image ralentit, et il distinguait désormais des visages, des lumières, mais il ne s’y attardait pas. Cherchant toujours, il se concentra, jusqu’à ce qu’enfin, il le vit. Son père.
Onésime devait se tenir face à lui, il voyait ce qu’elle voyait, à l’exception de tout autre sens. Ils se trouvaient tous deux dans son cabinet de travail, petite pièce à l’écart de son bureau officiel de réception. Qu’il l’ait amené là en disait long sur la teneur de leur échange.
Il avait eu de la chance d’enfiler son artefact à temps. Abriel ne suivait pas un emploi du temps réglé comme une horloge, et bien qu’il prit souvent un moment avec sa fille, le soir, l’horaire exact variant avec chaque journée de travail.
Il regardait son père, et fut frappé de le trouver vieilli : certes, son visage acéré n’avait rien perdu de son inflexibilité, mais il ne se souvenait pas de ces ruisseaux d’argent dans ses cheveux ni dans sa barbe. Peut-être, songea-t-il, faut-il parfois s’éloigner pour mieux voir ce qu’on a sous le nez. Il nota que son père ne portait pas son artefact : depuis longtemps, il privilégiait la prudence, trop de Régents s’étaient retrouvés espionnés à leur insu, et bien qu’il soit rompu aux techniques visant à repousser les intrusions indésirables, il n’avait pas la stupidité de se croire inviolable. Cela l’embêtait néanmoins : il n’aurait aucun moyen de deviner les réponses de sa sœur.
L’entrevue fut épuisante, et le laissa frustré. Son père harcelait Onésime de questions à son sujet, questions qu’il avait du mal à lire sur ses lèvres tant son débit était rapide, et son incapacité à en deviner les réponses l’angoissèrent au lieu de l’apaiser. S’ils parvenaient à atteindre Lämird, Philidor pressentait qu’ils devraient jouer serré. Son père le recherchait, il en avait la certitude, et le peu d’avance gagné se réduisait d’heure en heure. Ils n’auraient pas beaucoup de temps. Et pourtant, il avait l'impression que sa sœur ne l’avait pas trahi, qu’elle feignait d’en savoir moins que ce qu’elle savait, alors même qu’il n’avait fait aucun mystère de ses plans avec elle. La frustration sur le visage de son père en témoignait. Avant de partir, il avait informé Onésime de son intention de se rendre à Lämird, dans l’espoir que, peut-être, elle l’accompagnerait. Il n’y avait rien tant qu’il ne désirait que de la rallier à sa cause.
Se frottant la tempe, il fit tomber l’artefact, et dans un bâillement, le rangea comme il put tout au fond de son sac. Hugo soupira dans son sommeil, et peu après Philidor sombra à son tour.
xxx
Sur le pas de la porte de la maison aux étoiles, Hugo frappa du poing pour ce qui lui sembla être la centième fois. Il s’étonnait que le heurtoir, qui ne tenait plus que par une vis, ne se soit pas décroché. Rabaissant la main, il scruta le jardin, incapable de voir Fostine. Elle s’était aventurée sur la coursive sur pilotis encerclant la maison à la recherche d’une entrée sur l'arrière. Il imaginait mal le temps où des domestiques servaient qui que ce soit dans cette masure, mais elle n’avait pas tort : si qui que ce soit vivait ici, il lui fallait être discret.
Il ne se sentait pas à son aise, perdu dans la brume sombre de cette rue abandonnée au cœur de cette ville étrangère. Un frisson lui hérissa la nuque. « Autant en finir », se dit-il, et il frappa avec hargne à nouveau sur la porte, longuement, y mettant ses derniers espoirs, et se promettant en lui-même que c’était là son ultime tentative avant un retour au sec à la brasserie du Chat Pendu.
Le heurtoir se décrocha et choqua le sol au moment où un bras agrippa fermement son cou :
– Frappe encore une fois, pour voir.
Son cœur manqua un battement, puis se mit à cogner fort sa poitrine, si fort qu’il résonna jusqu’à ses oreilles. Devait-il mentionner Fostine ? Ou pas ? Il ne savait pas si l’homme prolongeant le bras s’appelait Léonce, et quand bien même, jamais Fostine n’avait laissé entendre qu’il fut de ceux accueillant ses visiteurs à la manière forte. Il essayait vainement de se retourner, mais c’était peine perdue.
– Léonce ?
Fostine ! Il soupira intérieurement de soulagement. Elle s’approcha, se rendant visible, dénouant comme elle put le foulard ramené sur sa nuque. Ses boucles rousses reprirent leurs droits autour de son visage tandis qu’elle secouait la tête. L’homme derrière lui hésitait, sa prise se ramollit un peu :
– Fenouil ?
– M’appelle pas comme ça, je t’ai déjà dit, c’est fini ça !
Hugo eut envie de la prier ne pas l’énerver davantage, mais il ne put qu’articuler un hoquet étouffé. Le présumé dénommé Léonce poursuivit :
– Qu’est-ce que tu fais par là ? Tu as suivi les trois étoiles ?
– Oui, il y a quelque chose qu’on voudrait te montrer.
– On ?
Hugo grogna à nouveau. Il avait la désagréable — et probablement justifiée — sensation d’avoir été oublié. Léonce le relâcha en omettant toute forme d’excuse, et Hugo s’écarta de deux pas vifs. Il jeta un regard noir à Fostine. Fenouil, vraiment ? Il rangea cette information dans un petit coin de sa tête.
Désignant du menton la porte derrière eux, Léonce leur dit :
– Vous n’avez aucune chance par là, venez.
Et il sauta à bas de la coursive. Hugo nota que Fostine ne le lâchait pas des yeux, et qu’elle le suivit sans lui accorder une parole d’excuse, ou même un regard. Si ce Léonce ne lui plaisait qu’à moitié, et pas seulement parce qu’il avait manqué de l’étrangler, Fostine semblait fascinée. Il voulut émettre une protestation, demander des explications, ou au moins qu’on les présente, mais le temps qu’il ne formule une réclamation il se retrouva seul. Résigné, il les suivit à bas de la coursive, et lorsqu’ils se faufilèrent entre les pilotis, sous la maison, en direction d’une tache de lumière pâle semblant venir du plancher lui-même.
xxx
Dans la maison de Leth, les trois garçons s’étaient levés bien avant l’aube. Seule la lune éclairait leurs pas : en tête marchait Samson, furtif et silencieux comme ceux qui, parfois sont chasseurs, parfois sont chassés, puis venait Philidor, transformé depuis qu’il avait laissé aux bons soins de Leth sa tenue trop voyante, et enfin Hugo, dont les mouvements gourds révélaient sa fatigue. Malgré le voyage, son inactivité de la veille l’avait empêché de s’endormir avant tard dans la nuit. Ou peut-être était-ce Philidor, dont les soupirs et grognements n’avaient cessé qu’à l’aube. Ou enfin, les questionnements que l’apparition du fils du Régent dans sa routine bien huilée avait soulevés, et qu’il n’avait pas eu le temps de se poser. Jusqu’à quel point s’impliquerait-il dans les recherches de Philidor ? Jusqu’à quel point pouvait-il l’aider sans risquer de devoir révéler à d’autres encore son double-talent ? Et à bien y réfléchir, pourquoi continuer à ne rien dire ? Que se passerait-il si d’autres étaient amenés à l’apprendre ?
Il manqua de se prendre les pieds dans une racine noueuse mise à nue et se rattrapa de justesse au nouveau veston de Philidor. La veille au soir, il avait demandé à Leth si elle ne disposait pas d’une tenue de rechange, quelque chose d’un peu plus passe-partout. Elle n’avait rien dit, avait pincé les lèvres, et s’était levée, pour revenir quelques minutes plus tard avec un tas informe de fripes. Hugo ne comprenait pas comment Philidor, qui avait partagé avec eux leur misère, pouvait encore se montrer d’un tel sans-gêne en en demandant plus. Il resta tête baissée mais mâchoires serrées tout le temps nécessaire pour enfiler ces frusques.
Les vêtements flottaient sur la silhouette dégingandée de Philidor, mais il n’en fit aucun cas. Il remercia la mère de Samson de l’un de ses sourires lumineux, et lui tendit ses propres habits soigneusement pliés :
– Gardez-les, lui avait-il simplement dit.
Leth les avait recueillis avec délicatesse, les berçant contre son cœur. Le riche velours sombre s’était retourné sur l’extérieur, et les précieux boutons de nacre miroitaient. Elle ne dit pas un mot, mais inclina la tête, et des étoffes s’échappa un léger, très léger tintement de pièces de monnaie, que seul Hugo sembla entendre. Il se morigéna longuement d’avoir si mal jugé Philidor.
Samson se retourna, et malgré la pénombre, Hugo vit qu’il fronçait les sourcils. Sans mot dire, il désigna au-dessus de leur tête la silhouette dominante de l’étrange tour-sentinelle. De jour comme de nuit, elle veillait. Elle, ou plutôt les sentinelles à leur poste. Ils en avaient parlé, avec Samson, avant de partir. On ne voyait jamais ceux qui y entraient, ceux qui en sortaient. Avant, par le passé, oui, ils se mêlaient aux villageois. Plus maintenant.
Désormais, à intervalles de temps réguliers, un dirigeable s’amarrait à la plateforme. De loin, impossible de deviner ce qui transitait : vivres ? Sentinelles elles-mêmes ? De près, seul le sol de la terrasse restait visible. On ne savait même pas si, parfois, la poignée de voyant régnant depuis leur aire en descendait.
Samson leur expliqua le peu qu’il savait : qu’il y avait eu, il y a des années déjà, des rixes avec des sentinelles, à propos de méfaits non résolus. La tour était plus basse à l’époque, moins gardée. Cela n’avait pas duré. L’Ordre Panoptique avait bien vite enrayé l’amorce de rébellion à l’aide des gardes-chasses, et depuis, au sommet de la tour, une petite troupe de chasseurs stationnait en permanence. Ils ne descendaient jamais dans le village, on ne les voyait jamais. On supposait qu’ils étaient relevés avec chaque arrivée de dirigeable. Aussi bien, elles avaient déserté depuis longtemps, mais personne n’était prêt à prendre le risque.
Hugo écoutait tout cela avec circonspection. Il avait du mal à comprendre qu’on puisse remettre en cause l’autorité des sentinelles.
Cheminant cachés autant que possible, ils atteignirent sans encombre le quai. On ne distinguait pas les péniches les unes des autres, pourtant Samson n’hésita pas lorsqu’il leur désigna sans un mot la plus en aval. Furtivement, ils montèrent à bord, se dirigeant vers l’avant pour pointer un coffre de rangement donnant sur la proue. Destiné à recevoir des lettres et colis cheminant d’une ville à l’autre, il n’était plus d’aucune utilité depuis l’arrivée des bateaux-courriers, plus rapides, plus maniables. Ils auraient largement la place de s’y installer, assis, genoux sous le menton, jusqu’au départ. Une fois lancés, ils auraient tout le loisir d’ouvrir le couvercle et de se redresser un peu : la péniche était longue et lourdement chargée, le minerai encore brut s’élevait haut au-dessus de leur cachette de fortune, il était moins que probable que qui que ce soit ne vienne jusqu’à l’avant et ne les trouve. La journée suffirait pour atteindre Lämird, cela passerait vite.
Hugo remercia gauchement Samson, à petits mots bref, tandis que Philidor s’installait en premier dans le coffre. Le jeune garçon le regarda, et une hésitation, une étincelle, lui fit croire qu’il allait changer d’avis pour prendre place avec eux dans leur cachette. Mais il n’en fit rien, et avant d’avoir pu ajouter quoi que ce soit, il était parti.
Hugo rejoignit Philidor, se pliant en trois, courbant la nuque. Il ne se rendit compte qu’à ce moment-là de la froideur de la nuit, au pied de ces montagnes, et lorsque Philidor referma sur eux le couvercle, la lueur encore vive des étoiles l’incitèrent à prendre patience. Les prochaines heures promettaient d’être longues.
Ce n’est que bien plus tard, le cou raide et les membres engourdis, qu’ils risquèrent un regard au-dehors. L’attente les avait mis au supplice, ils avaient tenu bon ce qui leur avait semblé être une éternité avant d’entendre les premiers signes de vie à bord. Et pourtant, à ce moment-là, ils le savaient, Ils auraient encore à prendre leur mal en patience. Lorsqu’enfin la péniche se décrocha de son point d’amarrage, que son allure prit de l’assurance, et que le ronronnement des moteurs devint régulier, alors seulement osèrent-ils dérouiller leurs muscles gourds et soulever, pouce par pouce, le couvercle.
Autour d’eux s’élevaient, de chaque côté de la rivière, de monumentales barrières végétales vertes et brunes. Jusqu’au plus près de l’eau les arbres régnaient en maître. Parfois, la péniche dérangeait une troupe de daims, quelques ratons laveurs, ou une portée de renardeaux profitant de l’heure encore matinale pour se désaltérer. À cet endroit, la rivière s’écoulait langoureusement en de longs méandres tortueux et changeants, et le courant faible était propice à l’émergence d’îles et de bras morts, dont la moindre parcelle de terre à sec abritait des touffes de pousses d’arbres.
Un instant, le soleil montant s’aligna avec le lit de la rivière, et ils savourèrent en silence la chaleur mordorée sur leurs visages frissonnants. Rabattant tout à fait le couvercle, ils osèrent se relever un peu, faisant jouer leurs articulations raidies de froid. Malgré tous ses questionnements de la nuit, Hugo se sentait à sa place. Dans ce jour naissant, en route vers une ville inconnue, vers un visage inconnu, il ne souhaitait rien d’autre que de croire Philidor, et d’enfin trouver, peut-être, des réponses à ses questions de toujours.
L’approche de bâtiments les obligea à réintégrer leur cachette. Se replier dans cet espace exigu lui fut plus difficile la deuxième fois que la première, mais Philidor parvint à caler le couvercle, laissant face à eux une ouverture grande comme la main. C’était suffisant pour se faire une idée de la ville, mais trop peu pour que qui que ce soit qui ne voit le coffre depuis les quais ne s’aperçoive de leur présence. La péniche descendait le chenal central, plusieurs mètres la séparaient des trottoirs sur pilotis bordant leur route.
Ils commencèrent par croiser les faubourgs les plus éloignés et les plus travailleurs : docks de chargement et de déchargement, une manufacture, déjà bruyante et fumante et juste derrière une centrale à gaz. Bifurquant dans un canal plus étroit, une péniche s’y dirigeait, dans laquelle s’amoncelait une pyramide monumentale de végétaux : leur décomposition contrôlée dans le fourneau de la centrale produirait le gaz précieux alimentant toute la cité. Hugo ne pouvait s’empêcher de ce demander à quoi ressemblait la vie, avant : des dirigeables aux lampes à bec en passant par les manufactures flambant neuves, le gaz, et lui seul, permettait de faire avancer le monde. Il serait bien en peine aujourd’hui de faire sans.
Philidor lui donna un coup de coude, et pointa de l’autre côté un ensemble de bâtiments massifs, ordonnés géométriquement et reliés par des passerelles couvertes. Hugo s’apprêtait à questionner Philidor, lorsqu’un mouvement étrange attira son regard. Quelque chose venait de passer furtivement sous une arche, et réapparaissait plus loin. Un engin volant à silhouette de rapace, à peine plus grand qu’un homme assis, longeait une paroi de la construction. Hugo eut à juste le temps de s’émerveiller de sa vélocité qu’il tourna à l’angle d’une rue et disparut. Sans dire un mot, Philidor referma le couvercle.
– Hé ! protesta Hugo.
– Tu sais ce que c’était ?
– Non, mais j’aurai bien aimé le savoir !
– C’était un vo-tour. On doit passer Erkesh, ce bâtiment doit être celui des recherches aérostatiques. J’ai entendu mon père en parler, ils développent de nouvelles techniques pour les sentinelles. Des planeurs, pour une seule personne, capable de naviguer partout, avec une grande autonomie. Et à son bord, une sentinelle.
Hugo n’avait jamais entendu rien de tel. Des sentinelles, mobiles, partout, tout le temps ?
– Mais elles voient déjà tout depuis les tours, pourquoi un tel engin ?
– Crois-moi, elles ne voient pas tout. Le maillage est plein de faille, au fur et à mesure que les constructions grandissent, elles bouchent la vue de certains quartiers. Quand elles ont été érigées, oui, elles voyaient tout, mais maintenant… Leurs champs de vision s’étriquent, et ça, ça n’est pas trop du goût de l’Ordre Panoptique. Avec les vo-tours, impossible de s'esquiver, et avec à leur bord des sentinelles nyctalopes, rien ne leur échappera.
Philidor se tut. Hugo n’avait pas envie de rouvrir le couvercle finalement, et il se cala un peu plus profondément au fond du coffre. Le chenal sinueux ralentissait la péniche, un long chemin l'attendait avant qu'elle ne sorte de la ville. Hugo ne savait pas quoi en penser, mais ne pouvait en rester là :
– Et bien… c’est tant mieux non ? Je veux dire, que l’Ordre améliore son maillage ?
– Je ne sais pas. Vraiment, je ne sais pas.
Un silence lourd de réflexion tomba dans la quasi-obscurité de leur coffre. Même lorsque le ronronnement de la péniche remonta un peu dans les aigus et que les bruits de la ville cessèrent, ils hésitèrent avant de rouvrir le couvercle. L’insouciance du matin les avait quittés. Ils gardèrent leurs sens en alerte.
Ils croisèrent encore deux bourgs, quoi que de moindres importances, ainsi que de nombreuses aires de déforestation sur les berges, juste en amont. D’énormes outils abattaient sans fioriture les arbres les plus proches de la rive, les segmentant assez pour leur permettre d’être chargé sur de longues péniches à fond plats amenées au plus près de la berge. La quantité de végétaux qu’elles étaient en mesure de supporter les impressionna, et Hugo se fit la réflexion que c’est là qu’il aurait pu finir, dans l’un de ces chantiers mobiles où l’on exigeait des ouvriers, en grande partie des sans-talents, rien d’autre que de se taire et de se tuer à la tâche. Et pourtant, sans ce travail ingrat et dangereux, impossible de faire fonctionner les centrales. Il remercia mentalement, plus sincèrement qu’il ne l’avait jamais fait, son père et Bathilde de lui avoir permis d’intégrer la fabrique de ballons.
Ils arrivèrent à l’approche de Lämird en toute fin de journée, alors que le soleil rougeoyant se nimbait de brume. Sans prévenir, une obscurité de bruine fondit sur la péniche, et ils se réfugièrent à nouveau au fond de leur cachette de bois, attentifs aux bruits alentour.
Comme le matin, ils durent attendre. Hugo somnola, rattrapé par le manque de sommeil, et il était sur le point de sombrer tout à fait lorsque Philidor le secoua :
– Viens, on peut y aller, ça fait longtemps maintenant que je n’ai pas entendu de bruit.
Hugo, réveillé en sursaut, heurta du coude un montant du coffre :
– Aïe !
Massant son articulation malmenée, il se redressa tant bien que mal aux côtés de Philidor, qui enjamba sans tarder l’ouverture. Passant son indéfectible sac sur son épaule, il commençait déjà à contourner le monticule de minerai, et Hugo du se presser de le rejoindre.
À Ardtus, les lumières des habitations, des artisans travaillant tard, des réverbères suffisaient toujours pour cheminer, même au cœur de la nuit. Ici, à Lämird, l’obscurité s’invitait partout, glissait ses doigts humides dans chaque recoin, étouffant les reflets et les flammes plus sûrement qu’une pluie drue. Remontant la péniche, ils passèrent sans la voir devant la minuscule passerelle permettant de rejoindre le quai et continuèrent en direction de la poupe, mais s’interrompirent bien vite : une lampe à gaz brillait dans la cabine, révélant en contre-jour la silhouette épaisse de ce qui devait sans doute être un gardien.
Ils firent demi-tour et, plus attentifs cette fois, aperçurent le ponton. Sur le quai, l'ombre charpentée d’un docker se profila, remontant à pas rapide les lattes de bois au-dessus de l’eau. Cachés dans l’ombre du monticule, ils le virent aborder, et tourner dans leur direction. Ils étaient coincés.
Bon chap, encore une fois, l'entrée dans la ville se fait dans une chouette ambiance...
KYAAA NAN MAIS PHILOU QUOI ! IL A UNE SOEUR JUMELLE ! Si elle est aussi géniale que lui ce sera trop pour mon petit coeur <3 ! et pour le moment elle a l'air top, pas d'accord sur les idées mais alliée quand meme ! Bravo a elle !
petit fail avec Leth, que tu as appelé plusieurs fois "Léthé"... mais c'est quoi son nom alors ? Est-ce que tu as mélangée avec notre chère amie Léthé, ou elle s'appelle vraiment Léthé et Leth est un surnom, et j'ai loupé ça ?
J'adore l'idée du système permet à Phil de voir a travers les yeux de sa soeur ! est-ce qu'elle le sait ? Est-ce qu'elle en est capable aussi ?
Et pour la partie Fenouil Fostine (xD)... alors déjà je trouve ces deux parties de l'histoire un peu déséquilibrées : la partie "présent" avance vraiment très doucement je trouve, et c'est normal puisque c'est très court par rapport a la partie Philidor, ce qui perso ne me dérange pas parce que j'accroche plus à cette partie là... Mais justement ! en ne passant pas assez de temps sur la partie Fostine, c'est plus dur pour le lecteur de s'y intéresser, quand je la commence j'ai qu'une envie c'est de retrouver Philidor et Hugo du passé... Je pense qu'il faudrait rendre les parties Fostine plus intéressantes, qu'elles avancent plus vite, qu'elles soient plus longues comme ça on aurait le temps de se plonger dedans. Ou alors faire se rejoindre les deux temporalités... je sais pas trop. En tout cas j'aime de plus en plus ce petit monde plein d'idées super !
Ta remarque concernant la progression des deux histoires m'intéressa au plus haut point. C'est exactement le genre de chose que je n'arrive pas à sentir toute seule, et qui peuvent plomber une histoire. Donc j'en prends très bonne note dans mon petit fichier, et quand j'aurai la tête à me plonger dans des corrections, je prendrai bien garde à ça. Mon souci c'est que les deux histoires se rejoignent en effet, et j'aimerai qu'elle se rejoignent à un moment précis. Donc je peux difficilement faire avancer plus vite le présent, et le délayer, ben... je pense que de manière générale, il n'y en a pas trop besoin. Après, peut-être couper un peu certaines parties du passé, quand on tombe trop dans les descriptions justement? Pour rééquilibrer l'ensemble?