Anne

Par Merlilo

I

J'ai grandi, dans une maison moyenne, dans une banlieue moyenne, avec des gens qui avaient un train de vie moyen, à l 'école toujours une moyenne moyenne, et assez de temps pour regarder le plafond. J'avais bien l'impression que la vie était passée à coté de moi. Enfin voilà j'étais là, j'avais des envies, de idées, des rêves à demi-exprimés, mais pas de jambes pour me mettre en marche. L’énergie d'un chat, occupé à faire la sieste en plein soleil, mais cela tout ma vie. Je vivait chez mes parents, ou les jours passent et se ressemblent, et j’agrémentais ma vie de quelque boulots, histoire de mettre de l'argent de coté, pour partir un jour.

J'avais une chambre peinte en blanc ou je passait le plus clair de mon temps, étant de nature introvertie . Un matelas posé sur les lattes à même le sol, des rideaux verts sur une grande fenêtre qui donnait sur un petit jardin coquet, et un bureau immense, sur lequel j'avais pas mal de matériel de dessin, de peinture, des petits totems d'argiles qui me tiraient malicieusement la langue et prenaient la poussière comme les roses séchées dans le petit vase d'étain. Ainsi qu'une lampe, puis une commode pour ranger mes affaires. C'était la, mon petit univers. Quand je ne dessinais pas, je regardais pas mal de film, des séries sur mon vieil ordinateur portable.

Il n'y avait plus que moi dans cette maison avec mes parents, mes trois sœurs, Sophie, Alice et Martha étaient parties depuis longtemps, tout comme mon Frère Simon. Ils avaient des buts, des familles des projets, et j'avais bien mis pour le moment trop de distance entre nous pour pouvoir m'en soucier.

Mes matinées étaient rythmées, levée 7h, petit déjeuner 7h15, habillée pour 7h30, partie à 8h. Je faisais le service dans un café/boulangerie d'air autoroute, un travail que j'avais pu avoir grâce à l'obtention de mon permis 6 mois plus tôt et l'emprunt de la vieille voiture de Tante Marie. Un travail que j’associais dans ma tête à un trou, un truc poisseux ou l'espace temps se rallonge de manière exponentielle, colle au mur et à l'âme et ralentissait tous les mouvement de mon corps, et même avec la meilleur volonté du monde il en était impossible de s'en extirper.

A 17h, après avoir passé une journée d'activité mortelle à essuyer les tables d'une clientèle quasi-déserte, (sauf les trois camionneurs partis faire une pause pipi entre deux sandwichs, qu'ils mangeaient dans leur camions), je prenait congé, déposant mon tablier rouge dans son vestiaire poisseux remplis de l'odeur du café, et du beurre rance. De là je disait tout de même au revoir à mon patron, un type toujours assis derrière son comptoir de 12h à 14h, le reste du temps derrière son bureau, une petite pièce exiguë et sombre dans laquelle il pouvait passer son temps au téléphone à essayer de convaincre sa femme de ne pas le quitter.

Il ne daignait même plus lever les yeux sur moi et me saluait vaguement de la main.

Je faisait sonner la cloche en claquant la porte de l'établissement, regagnait ma voiture avec un soupir de soulagement.

Et puis de manière presque magique et déconcertante, le temps se mettait à filer de nouveau.

Néanmoins dans ce pas grand chose qui constituait ma vie j'avais une amie d'enfance, Anne. On ne s'était pas vraiment quittée depuis la maternelle. On avait presque fait nos études ensemble, jusqu'au moment de partir du lycée de choisir une Fac. Moi je n'étais pas spécialement douée pour les études, cela ne m’intéressait pas plus que cela et je ne me sentais pas à la hauteur d'apprendre. Quand j'ai décidée d'arrêter et de prendre mon premier Job, dans le Fast-food du centre ville, elle est partie suivre une formation pour devenir comédienne. Elle était vive, sociable, intelligente et belle. Avait mille projets qu'elle pouvait mener d'une main de maître, sans jamais avoir peur de l’échec. Tout le monde l'admirait. Je ne comprenait pas tellement pourquoi un élément comme moi pouvait graviter dans un univers comme le sien.

Nous nous retrouvions souvent dans un petit parc après nos jobs. Et tout d'un coup dans les récits qu'elle me faisait (même chercher le pain devenait une aventure épique) elle ouvrait pour moi une fenêtre sur le monde extérieur. J'aimais être la spectatrice, me sentir dans l'ombre blottie, promener mon regard sur tous ces mots qui tapissaient ma tête de l'intérieur, imaginer tous les détails de ces gens que j'avais bien trop peur de rencontrer, que je jalousais et admirait sans forcement connaître. J'avais donc pour quelques instant fabriqué un petit théâtre de marionnettes fictif, dont Anne semblait tirer les articulations. Les histoires auraient pues, pour n'importe qui d'autre être des banalités, mais pour moi, un véritable divertissement.

Elle avait depuis peu, pour être plus proche de l'académie dont elle faisait partie pris un petit appartement qu'elle finançait en travaillant comme hôtesse le soir, pour toutes sorte d’événements, et ce petit appartement tout au dessus des restaurants embaumait fritures, le poisson et épices dès qu'une fenêtre était ouverte. Elle me parlait souvent de ces amis artistes qui vivaient dans des squats, fabriquaient des pièces de théâtre de bric et de broc, organisaient des expositions à même les rues, avaient une multitudes de problèmes d'argents, de combats politiques à mener. Ils étudiaient, travaillaient, étaient oisifs, faisaient l'amour, mettaient des femmes enceintes par inadvertances, se découvraient de nouvelles psychoses à soigner, ne les soignaient pas, blessaient leur prochain, aimaient tendrement leur prochain, voyageait, 6 mois sur 12, se trompaient entre eux, faisaient des orgies, se séparaient non sans casser la moitié de la vaisselle de leurs placards, se remettaient ensemble 24h après. C'était toujours joyeux, c'était violent, tendre et inattendu.

Et sous tout cela, Anne s'évertuait à écrire des pièces, des histoires d'amours singulières, atypiques,

ou les genres, les sexes, le temps n'existaient pas. Un petit théâtre miteux avait accepté de la produire, elle et la petite troupe qu'elle s'était formée à l'académie.

J'allais la voir souvent, j’essayais le plus possible d'oublier mon aversion pour les gens, ma peur de la foule ou bien de m'y faire. Je me postait devant le théâtre, attendait qu'un maximum de gens soient rentrés pour ne pas que l'on me remarque seule. Et puis je me mettais tout au fond de la petite salle, déjà pleine d'une odeur d'alcool, de sueurs et de clope. Les 12 coups retentissaient sur le plancher, les rideaux s'ouvraient, et la lumière inondait la scène. Chaude et dorée, dès qu'Anne se mettait à parler elle ne venait même plus du plafond, mais de son corps lui-même. L'espace elle l'occupait comme ci celui-ci lui appartenait, les gens autours d'elle riaient, pleuraient, applaudissaient. J'avais au fond de la salle l'impression qu'elle devenait plus grande à chaque réaction. De cela elle s'en nourrissait, absorbait les ondes, les acclamations de la foule informe qui la portait, bougeait à son rythme. J'avais vu la pièce tellement de fois que je m'attardais plus vraiment sur l'histoire, mais faisait balader la plupart du temps mon regard sur les petites pampilles cousues de la robe qu'elle portait. Chacune d'elles miroitaient de milles éclats, ou bien disparaissaient sur la danse de la respiration de son personnage. L'effet hypnotique contrait un peu la fatigue de ma journée qui s'abattait sur mes paupières. Quand c'était fini, je n'attendais pas la fin des applaudissements pour partir. Cela m'arrivait de faire le tour du quartier pour y revenir plus tard, que le temps face un peu place au vide, que les gens disparaissent. La troupe prenait des verres dans le petit rad d’à coté, je me joignait à eux en espérant faire partie de quelque chose. Anne m'acceptais, faisait rapidement les présentations si quelqu'un de nouveau se présentait, me donnait toutes les occasions de pouvoir me raconter. Mais moi, je n'avais aucune matière à répondre. Il y avait déjà l'insoutenable regard de la personne en face de moi qui me donnait constamment l'impression d'être jugée, et sondée jusqu'au plus profond de mes os. Effectivement si je ne portais pas le feu sacré que les autres semblait tous avoir en eux, pouvaient-ils vraiment savoir de quoi j'étais faite ? Et puis si je leur avait raconté quoi que ce soit, cela serait probablement tombé comme une fausse note, dans la jolie partition qu'ils formaient tous, vêtus de leurs costumes de scènes noirs et blanc. Autant me faire oublier que d'affronter leur stupéfaction de les voir percuter enfin, que je n'étais rien, et que ce petit bout de rien osait traîner ses guêtres et sa fatigue chronique autour de l'univers d'Anne.

Je ne restait pas longtemps. Je reprenait la vieille voiture, suivait la route déjà illuminée jusqu'à chez moi, sortait de la voiture, claquait la porte, montait en courant, et puis j'attendais d'être au fond de mon lit, de ne plus entendre aucuns bruits. Alors seulement, je m'autorisais à pleurer quelques fois. J'avais la sensation d'un trou au milieu de la poitrine couplée d'une sécheresse intense dans la gorge, que j'essayais tant bien que mal d'adoucir avec mes larmes.

C'était alors mon quotidien.

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Ervine Eilof
Posté le 12/04/2021
Encore merci pour ton histoire :) Ce texte me touche vraiment. Je ne peux m'empêcher d'y trouver une résonnance et des sensations familières. Il est beau de rêver, de s'émerveiller de petits détails, d'observer ceux qui nous entourent et d'arriver à voir l'imperceptible. C'est une grande richesse et cela se sent dans ton histoire, on ne fait pas que la lire, on la vit. J'aime beaucoup la description que tu fais de la chambre, pleine de petits détails qui ont toute leur importance dans ce texte plein de sensibilité et de sincérité. On devient aussi spectateur de cette "vie des autres" que tu décris si bien. Tu trouves les mots et les images, à travers les pensées et les descriptions, pour marquer cette distance qui isole même là où il se fait foule. Je ne peux que t'encourager à continuer d'écrire. :)
Ervine Eilof
Posté le 12/04/2021
Je me suis permise de proposer quelques corrections ou suggestions. Je les ai listées ci-dessous :)

- J'ai grandi, dans une maison moyenne, => j’enlèverai la virgule après « grandi »

- j'avais des envies, de idées, => des idées

- L’énergie d'un chat, occupé à faire la sieste en plein soleil, mais cela tout ma vie. => Je supprimerai la première virgule après chat et je mettrais « et cela toute ma vie. »

- Je vivait chez mes parents, ou les jours passent et se ressemblent => Je vivais chez mes parents, où les jours passent et se ressemblent.

- J'avais une chambre peinte en blanc ou je passait le plus clair de mon temps, étant de nature introvertie => J'avais une chambre peinte en blanc dans laquelle, étant de nature introvertie, je passais le plus clair de mon temps.

-C'était la, mon petit univers. => C'était là, mon petit univers.

-je regardais pas mal de film => je regardais pas mal de films

-Il n'y avait plus que moi dans cette maison avec mes parents, => je mettrais un point final à la fin de cette phrase

-tout comme mon Frère Simon. => « frère » sans majuscule

- Ils avaient des buts, des familles des projets, => je mettrais une virgule après « des familles »

- et j'avais bien mis pour le moment trop de distance entre nous pour pouvoir m'en soucier. => je mettrais une virgule avant et après « pour le moment »

-Mes matinées étaient rythmées, => je mettrais « : » après rythmées, plutôt qu’une virgule

-un café/boulangerie d'air autoroute => petite coquille : « d’air d’autoroute »

-un truc poisseux ou l'espace temps => où

-et ralentissait tous les mouvement de mon corps, => je resterai sur le présent au niveau du temps sur ce verbe (ralentir) pour être en ligne avec la temporalité sur le reste de la phrase. J’ajouterai aussi un point final à la fin de cette phrase.

-même avec la meilleur volonté du monde il en était impossible de s'en extirper. => il y a un « en » en trop (il en était impossible)

-je prenait congé => prenais

-De là je disait tout de même => De là, je disais tout de même

-Je faisait sonner la cloche => Je faisais sonner la cloche

-regagnait ma voiture => regagnais ma voiture

-Néanmoins dans ce pas grand chose qui constituait ma vie j'avais une amie d'enfance, Anne. => je mettrais une virgule après « néanmoins » et après « vie »

-On ne s'était pas vraiment quittée => quittées

-jusqu'au moment de partir du lycée de choisir une Fac. => je mettrais une virgule après « lycée »

-Quand j'ai décidée d'arrêter => décidé

-Je ne comprenait pas tellement pourquoi => comprenais

-Et tout d'un coup dans les récits qu'elle me faisait => je mettrais une virgule après « et tout d’un coup »

-que je jalousais et admirait => admirais

-J'avais donc pour quelques instant fabriqué un petit théâtre de marionnettes fictif, => je mettrais une virgule avant et après « pour quelques instants »

-Les histoires auraient pues, pour n'importe qui d'autre être des banalités, mais pour moi, un véritable divertissement. => Les histoires auraient pu, pour n'importe qui d'autre, être des banalités, mais pour moi elles étaient un véritable divertissement.

-dont elle faisait partie pris un petit appartement => je mettrais une virgule après « partie »

pour toutes sorte d’événements, => toutes sortes d’événements. Je mettrais aussi un point final à la fin de cette phrase.

-ce petit appartement tout au dessus des restaurants embaumait fritures, le poisson et épices dès qu'une fenêtre était ouverte. => Ce petit appartement tout au-dessus des restaurants embaumait la friture, le poisson et les épices dès qu'une fenêtre était ouverte.

-par inadvertances => pas de « s » à la fin

-voyageait, 6 mois sur 12, => voyageaient 6 mois sur 12,

-Je me postait devant le théâtre, attendait => postais / attendais

-dès qu'Anne se mettait à parler => je mettrais une virgule après « parler »

-que je m'attardais plus vraiment => que je ne m'attardais plus vraiment

-mais faisait balader la plupart du temps => faisais
je me joignait à eux en espérant => je me joignais à eux en espérant

-Anne m'acceptais, faisait rapidement les présentations => m’acceptait

-le feu sacré que les autres semblait => le feu sacré que les autres semblaient

-Et puis si je leur avait raconté quoi que ce soit => avais

-Je ne restait pas longtemps. Je reprenait la vieille voiture, suivait la route déjà illuminée jusqu'à chez moi, sortait de la voiture, claquait la porte, montait en courant, => restais / reprenais / suivais / sortais / claquais / montais

-ne plus entendre aucuns bruits. => aucun bruit
Merlilo
Posté le 17/04/2021
Merci pour toutes ces corrections, je vais bientôt relire tout ça et puis faire les modifications ! Je suis contente d'avoir réussi à rendre le tout sensible et de savoir que ça te parle :)
Pouiny
Posté le 07/04/2021
Franchement, merci pour ce partage :) Il y a quelques fautes d'accord par-ci par-là, il faudra passer par une relecture mais c'est du détail !

On sent toute l'admiration que tu as pour Anne et en lisant, j'avais vraiment envie de la connaître, de la voir. Et je comprends parfaitement, même si je suis plus souvent catalogué du coté de "ceux qui ont le feu sacré", ce vide que tu as pu ressentir, notamment en te comparant aux autres, même involontairement. C'est vraiment très prenant et très sensitif, et en même temps très clair !
Merlilo
Posté le 07/04/2021
haha oui voilà, je referais lire mes textes à un moment pour toutes les fautes, promis. Encore merci ça m'encourage à écrire la suite. C'est ma première histoire aussi longue :)
Pouiny
Posté le 07/04/2021
Bon courage pour la suite, alors ! J'espère en tout cas que le texte te plait, parce que c'est le plus important (et qu'il mérite que tu en sois fiere :D)
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