La déflagration

Par Merlilo

II

 

Un Samedi matin, ou je traînait dans le lit, les volets à demi fermés qui laissaient passer quelques rayons de lumière éparse, j'entendis un énorme fracas qui venait d'en bas. Encore endormie, je pris vaguement le temps de regarder ma tête quelques secondes dans le miroir. Les yeux petits et bouffis, un peu rouge, un grand front sur lequel venait se coller des mèches folles et jamais domptées, la marque du drap en travers des joues. Je me sentais mieux dans la semi-pénombre de mon terrier, et je n'avais pas très envie de descendre. J’enfilais tout de même une chemise à la hâte et descendis l'escalier rapidement. Dans la cuisine, mes deux parents assis à la petite table me faisaient dos. La vue des débris de verre par terre, avaient pour moi résolus l'affaire du grand fracas, et comme je ne comptais pas de nouveau être témoin d'une énième dispute entre ces deux personnages qui se trouvaient être par le plus piteux des hasards mes parents, je tournais les talons, essayant de m'enfuir discrètement.

-Lily !

Raté.

-Lily, il serait préférable que tu viennes t’asseoir avec nous.

Il y avait dans sa voix, certain trémolos que je ne lui reconnaissait pas. Agnès, ma mère était une femme affirmée, elle semblait constamment si sure d'elle -même quand elle n'usait pas de son autorité- que l'on aurait dit qu'elle était taillée dans la roche. Assise sur ce petit tabouret, son torse tourné vers moi, je remarquait qu'elle tenait la main de mon père. Une chose assez rare, un détail qui déjà aurait du attirer mon attention.

Mon père, avait l'air d'avoir les yeux mouillés, quelque chose que j'avais de mal à concevoir car pour moi, il était le roi des taiseux ; un personnage rond, et en même temps plat comme une feuille. Il n'y avait jamais aucun moyen de savoir ses pensées, et de lui-même ne sortait pas grand chose. Il semblait cependant avoir été conçu pour vive effacé dans l'ombre de ma mère, ne donnant jamais son avis et suivant sagement les consignes, évitant à tout prix les sautes d'humeur.

Tous les trois nous étions censés représenter une famille, moi je ne voyait que trois morceaux de puzzles, dont la dernière pièce ne correspondait pas à l'intégralité du motif choisi.

Posée sur une chaise, avec l'impression de vivre un moment totalement absurde, incapable de déchiffrer les intentions des gens qui partageaient mon foyer j'attendais que le silence passe.

- Lily, Anne est décédée. Ton père reviens de chez ses parents....

Anne. Décédée. Une déflagration. Je n'ai pas tout de suite compris. Comment ? Encore une fois le temps c'est allongé autour de moi et ces minutes sont devenue les minutes les plus longues de mon existence. Comment une personne aussi vivante pouvait tout d'un coup être morte ?

- Ils ont trouvé son corps dans son appartement..

L'idée du corps de Anne sans vie dans son appartement avait quelque chose d'incompréhensible et de révoltant. Moi assise dans le fond de cette cuisine, incapable de de bouger ni d'ouvrir la bouche, j’écoutais mes parents. Drogue, mauvaises fréquentations, overdose. J'étais si loin d'imaginer que Anne si parfaite à mes yeux, avait pu commettre une erreur aussi stupide. Elle avait tout pour elle, et tant de choses à accomplir.

J'ai passé des jours dans le brouillard. Après les obsèques, j'avais pensé que après tout, c'était ça la vie, un jour tu connais quelqu'un tu aime profondément, et le lendemain cette personne disparaît. Pourtant j'étais obsédée par son absence. J'ai essayé de me raisonner en me disant que nous étions si différentes que cela ne pouvait être qu'un rêve, que mon état finirait par passer, que tout recommencerait comme avant et que même si ma fenêtre sur le monde extérieur se refermait de toute manière je n'en avait pas besoin. Je n'avais plus besoin d'une autre oreille, d'un autre regard, d'autres histoires.

Mais je suis devenue folle. Folle à dessiner sur les murs de ma chambre, à m'enfermer des jours durant sans manger, à devenir ultra agressive pour le moindre mot de travers, à manger mes cheveux, arracher ma peau, suivre des gens dans la rue en croyant poursuivre des souvenirs. Tout était bien noir. La descente fut rapide et violente. J'ai pensé un soir pouvoir en finir de la même manière. Anne ne quittait plus mes pensées. Si je l'adorai, elle était devenue un fardeau.

J'avais quitté mon boulot pour de bon. Le dernier jour ou j'ai tourné le dos à cet établissement, aurait du être un soulagement. J'ai pleuré plus qu'un corps ne peu contenir d'eau.

J'avais réussi par mon comportement à faire perde pied ma mère et mon père qui ne savaient plus quoi faire de moi, par quel bout me prendre et me remettre debout. C'est vrai que j'ai fini par passer plus de temps à l'horizontale que sur mes deux jambes.

Ces deux jambes, m'ont un jour sorties d'ici. Difficile de reconnaître la nature de l'impulsion qui me propulsa en dehors de mon lit. Il fallait que je quitte cet endroit, que j'aille vivre ou mourir ailleurs n'avait pas d'importance, mais mon corps tout d'un coup, las de rien faire, avait envie de mouvement, et ma tête, comme investie de milliers de petits poissons dans un bocal n'en pouvait plus de tourner en rond et de ressasser les mêmes choses.

J'ai donc passé une première porte, sans vraiment savoir ou j'allais mais avec une certitude : il n'y aurait pas retour en arrière. J'ai quitté la maison non sans mettre sur mon dos, un jean élimé, un t-shirt noir, mon vieux manteau (aussi noir) de laine moutonneuse. Puis un sac contenant un petit carnet, un stylo, une couverture, un petit portefeuille de cuir rouge rempli de quelques pièces, et mes papiers. J'avais chaussé mes éternelles converses noire, tellement abîmées que le tissus ce décrochait de la semelle à certains endroits. Il faisait encore nuit.

Je n'ai pas pris la vielle voiture. Je voulais marcher le plus longtemps possible afin d'être épuisée physiquement. J'ai passé plusieurs villes, des banlieues dortoirs avec des tours à perte de vue.

Les barres avaient l'air vides, les rues peuplée de parkings aux voitures aux vitres embuées. C'était encore tôt le matin et je pouvais entendre au loin les jappements de quelques chiens coincés la haut sur les balcons. Les volets se levaient au fur et à mesure que le jour se pointait. J'avais réussi à faire taire un peu le manque, le brouhaha qui sonnait à l'intérieur. Tant que je marchais tout allait bien.

Je marchais presque en dormant. Je me sentais funambule dans une torpeur étrange, dans le brouillard encore. Je crois bien m'être faite insultée plusieurs fois, pour avoir failli causer des accidents de la route en étant pas assez attentive lors de traverser. À priori pour le moment rien de notable.

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Ervine Eilof
Posté le 12/04/2021
Je dois dire que je ne m'attendais pas à ce retournement et je pense que l'effet de surprise est d'autant plus réussi que dans les chapitres précédents on s'attache vraiment à tes personnages. Ton histoire est vraiment bien écrite. :) La description des personnages est tellement bien faite que cela nous donne la sensation de les connaitre. Tu nous plonge dans un univers qui nous deviens familier, et l'effet est d'autant plus fort avec cette suite tragique qui ne peut que nous toucher. A défaut de me répéter, je dirais une fois de plus que c'est une histoire qu'on à l'impression de vivre de l'intérieur et pleine de sensibilité. J'ai beaucoup aimé te lire. :)
Merlilo
Posté le 17/04/2021
Merci beaucoup :) je me motive pour la suite !
Pouiny
Posté le 08/04/2021
Wow... j'avoue qu'en lisant le premier chapitre, je sentais que quelque chose n'allait pas bien se terminer. Mais j'avoue que je ne m'attendais pas vraiment à ça. Ça me fait penser à un ami que je connaissais depuis mes 5 ans, il voulait devenir basketteur, il était pompier volontaire et il est mort comme un idiot dans un accident de voiture alors qu'il conduisait sans permis et ivre mort. Le genre de mort qui brise une image qu'on avait de la personne, c'est quelque chose d'horrible, qui ramène à une réalité, comme si on n'avait jamais véritablement connu la personne, au final.

J'aime beaucoup la description de tes parents, on cerne assez rapidement qui ils sont et je sens qu'on va les voir revenir :) Merci beaucoup pour se partage très riche en émotion !
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