Anomalie: Chapitre 5

Par Folyse
Notes de l’auteur : Suite à une longue absence, dont je m'en excuse sincèrement, voici la suite de l'histoire !

Anastasia avait clairement perdu son éclat. Elle était habituée aux problèmes du centre, à les régler tout aussi vite qu’ils apparaissaient. Aujourd’hui, elle était perdue.

L’horloge de son bureau indiquait 12h30. Elle n’avait même pas pris la peine de déjeuner tellement elle était égarée dans ses pensées. Une phrase lui revenait sans cesse en tête : « Plus on éloigne un sujet de ce qu’il est, moins il devient ce qu’il est censé être en fin de compte. » Élodie lui avait crié cette phrase sans vraiment savoir l’impact qu’elle aurait. Et voilà qu’Anastasia ne pouvait pas se la sortir de la tête.

Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas sa mine se casser sous la pression qu’elle exerçait. Revenant à elle au son de la cassure, Anastasia soupira en jetant le crayon plus loin sur le bureau. Il fallait qu’elle prenne une décision concernant Élodie : la garder au centre, au risque de faire échouer tout le projet, risque qui augmentait considérablement, ou renvoyer Élodie et tous les problèmes qu’elle traînait derrière elle.

Se frottant la fatigue du visage, elle prit le crayon cassé et le jeta à la poubelle. Elle avait toujours été ordonnée et cela n’allait pas changer maintenant. Pourtant, en voyant le crayon dans la poubelle, cela l’amena à repenser à son passé, au nombre de sujets et de dossiers qu’elle avait utilisés et finalement jetés comme de vulgaires déchets.

Elle n’avait pas toujours été aussi froide concernant les anomalies. Fut un temps où elle adorait travailler avec eux, partager des moments, des histoires... un lien. À cette époque, elle n’était qu’assistante, toute nouvelle dans la section des anomalies mais pas moins motivée à faire avancer les choses. C’était toujours comme ça au début, l’excitation de connaître de nouvelles choses, d’aider à faire progresser. Étant une femme, elle avait eu du mal à s’intégrer dans ce monde de la science, surtout dans cette section. Beaucoup d’hommes la prenaient de haut, lui donnant des corvées à faire, la laissant à l’écart pour qu’elle ne puisse pas les gêner. Et pourtant, elle avait réussi à se faire une place. Une place importante dans le cœur des sujets étudiés.

Elle n’était qu’assistante, mais elle côtoyait bien plus les enfants que les scientifiques en tête des précédents projets. Elle leur expliquait, les rassurait, les faisait rigoler tout en les consolant par moments. Mais durant tout ce temps, elle était aveugle. Et vint le moment où tout ce qu’elle avait aimé dans ce travail s’envola en éclats. Les enfants étaient des anomalies quoi qu’il arrive. Au final, ils deviendraient un danger, mais cela, elle l’avait oublié jusqu’à ce que les enfants, qu’elle avait tant appréciés, se déclenchent en anomalies et se fassent tuer sous ses yeux.

Ce jour-là, elle avait vu la réalité. Comprenant l’importance de rester à l’écart des sujets, de ne pas s’y attacher car au final, le résultat était le même : un jour, on s’en débarrasse. Les années qui passèrent après ça étaient plus froides, elle ne s’attachait plus. Cela lui avait été dur mais au final, ça finit par payer. Elle était devenue forte, ne se faisant plus marcher dessus par les autres. Elle s’était forgé un nom, et bien que plusieurs sujets aient été sacrifiés durant son parcours, cela ne l’avait pas arrêtée.

Et aujourd’hui, voilà qu’elle doutait.

Tout en y repensant, elle n’avait rien accompli. Tous les projets sur lesquels elle avait collaboré ou travaillé avaient échoué... Peut-être qu’un changement était de rigueur. Peut-être qu’Élodie en était capable. Qu’avaient-elles bien à perdre toutes les deux ? Soupirant, elle reprit le crayon de la poubelle, tout en prenant une décision concernant la femme.

Quelques minutes plus tard, après avoir noté les derniers détails, elle reporta son attention sur son ordinateur. Allant directement dans la liste des personnes travaillant étroitement dans la section des anomalies, elle sortit un prénom : André. Il était temps d’en savoir plus sur lui, car personne ne jouait avec elle sans avoir des répercussions.

14h30 arriva lentement au goût d’Élodie. N’ayant pas l’autorisation de sortir de son loft avant, elle n’avait de cesse de faire les cent pas toute la matinée. Pouf en avait clairement eu assez, au point où il s’enferma de lui-même dans sa niche, ne voulant plus entendre Élodie marmonner sur ce qui allait se passer ou non. Lorsqu’il fut temps pour elle de se rendre au bureau d’Anastasia, elle sentit une boule au ventre se former. La peur s’était infiltrée dans ses veines. Le souffle court, elle arriva à l’heure pile devant le bureau. Face à elle, Mike et Merry arboraient déjà un sourire victorieux. Jessica, elle, n’était pas encore là. À 14h35, Anastasia les fit finalement entrer. Entre-temps, Jessica les avait rejoints sans un mot, s’étant préalablement assurée que les enfants étaient dans leurs dortoirs. Regardant droit devant eux, les quatre entrèrent silencieusement dans la pièce.

Comme à son habitude, Anastasia se tenait debout derrière son bureau. Élodie remarqua une once de méchanceté en plus lorsque son regard se porta sur Mike et Merry. La femme en déduisit qu’elle ne les portait pas dans son cœur.

« Comme vous vous en doutez sûrement, l’incident d’hier m’a poussée à prendre une décision quant à la suite du projet... » commença Anastasia, faisant sourire Mike et Merry, alors qu’Élodie eut le souffle coupé par ce qui allait l’attendre. Avalant difficilement sa salive, elle fit en sorte de ne pas se montrer nerveuse. « J’ai donc décidé qu’Élodie restera présente, mais qu’en plus de s’assurer de la sécurité des enfants, mais aussi de la nôtre, elle pourra leur faire un cours... »

« QUOI ! » hurla Merry, clairement offusquée par la décision d’Anastasia. Contrairement à elle, Mike était resté silencieux mais pas moins mécontent.

« Mme Laberte, je ne suis pas sourde, inutile de crier... » commenta Anastasia tout en soupirant et en s’installant cette fois-ci en face du bureau.

« MAIS C’EST N’IMPORTE QUOI ! » répliqua la concernée tandis qu’à ses côtés, Élodie ainsi que Jessica étaient restées silencieuses, clairement déstabilisées par cette prise de décision. Mike, comprenant qu’il devait agir avant que Merry ne dise quelque chose de trop, prit rapidement la parole à son tour.

« Si je puis me permettre : qu’est-ce qui a bien pu vous amener à prendre cette décision ? » demanda-t-il plus calmement tout en se forçant à rester poli, bien qu’à l’intérieur il bouillonnait de rage.

« Bien que je ne voie pas la raison de me justifier, je vais quand même vous expliquer, » commença Anastasia. « Nos travaux n’avancent pas, les méthodes utilisées ne font pas progresser notre travail... nous sommes tombés dans une routine inutile. Je pense donc que si un nouveau facteur prend place au sein de notre équipe, il pourrait apporter des changements positifs, » finit-elle tout en ayant un petit sourire narquois face à l’air dépité du duo. « Mais bien sûr, il y aura quelques restrictions par rapport à cet ajustement... »

« Et puis quoi encore... » marmonna Merry de rage, lançant des regards noirs à Anastasia. « Calme-toi... » chuchota Mike, sachant que ce n’était pas le moment d’agir.

« Mais ! »

« Chut ! »

« Les ajustements sont donc les suivants », continua Anastasia tout en passant outre leur petit échange. « Les cours qu’Élodie donnera passeront d’abord par moi. Si je les valide, ils seront ensuite proposés aux sujets qui le veulent. Personne n’y sera forcé ! De plus, ces mêmes cours se feront à la place de l’étude du soir et seront sous la surveillance de Jessica, qui me fera un rapport après chacun d’entre eux. »

« Attendais... », tenta Jessica mais fut coupée par Mike.

« Vos ajustements ont de nombreuses failles. Qu’en est-il des sujets qui ne prendront pas le cours ? Le risque de déclenchement sera augmenté face à ce changement brusque… De plus, qui nous dit que cette femme est accréditée pour enseigner ou même s’occuper d’anomalie ? » questionna Mike, tentant de faire annuler cette décision, mais c’est sans compter sur la persévérance d’Anastasia dans celle-ci.

« Ces cours font effet de nouveau paramètre au programme. Les risques augmenteront peut-être mais nous en saurons la raison. Élodie n’a certes pas travaillé pour étudier les anomalies mais elle les a combattues et a certainement une meilleure image globale que nous », répondit la matrone sans détour.

« Vous n’allez pas vous en tirer comme ça... », chuchota Merry avant de faire volte-face, quittant le bureau en claquant la porte. Mike, ne voyant pas d’autre argument immédiat face à Anastasia, partit à son tour.

Voyant qu’il ne restait qu’elle et Élodie, Jessica se remémora ce qu’il s’était passé la veille.

« Aide-moi à les faire tomber… eux… et leurs méthodes… si tu tiens encore à ces enfants alors sois de mon côté », finit Élodie.

Face à elle, Jessica était sans voix, perdue dans ses propres pensées, son passé, ses envies, ses craintes et peurs. Elle se devait de décider quelque chose. Dans tous les cas, qu’elle aide ou non Élodie, des changements auront tout de même lieu dans ce centre et cela dès demain. Levant les yeux vers ceux d’Élodie, elle prit une inspiration avant de se décider. « Je refuse… », répondit Jessica à la surprise d’Élodie.

« Quoi ? Mais pourquoi ? Tu as vu ce qu’ils font aux enfants, c’est inadmissible ! », rétorqua avec force l’ancienne militaire. « Oui, je sais ce qu’ils font aux enfants mais ce n’est plus de mon ressort. J’ai été leur professeur autrefois mais ça n’a pas fonctionné alors ça ne sert à rien d’essayer à nouveau ! »

« Pourquoi as-tu arrêté de l’être ? Il tiennent encore à toi, je peux le voir… », tenta Élodie.

« Comme je te l’ai dit, ce n’est plus de mon ressort. Maintenant, rentre chez toi en attendant que Mme Lewind se décide demain… » et à ces mots, Élodie ne se fit pas prier, voyant qu’il n’y avait pas à discuter plus longtemps. …

Cependant, ce que Jessica avait omis de lui dire cette soirée-là, c’était qu’elle ne pouvait pas leur enseigner car elle-même était une potentielle anomalie. Elle avait été la survivante, si l’on peut dire, des précédents projets. Ça avait toujours été un frein pour elle, elle vivait constamment dans la peur qu’un jour son anomalie à elle se déclenche et qu’elle soit la cause de décès. Et pourtant, les années avaient passé et elle ne s’était jamais déclenchée. Cela la faisait davantage angoisser sur ce qu’il pourrait se produire. Côtoyer les enfants chaque jour lui était impossible à cause de cette angoisse. C’était comme si quelqu’un l’étranglait lentement, et qu’elle ne pouvait pas se débattre. Chaque jour, la peur prenait place dans son cœur, chaque jour, elle se disait qu’elle pourrait mourir, chaque jour, elle tentait vainement d’être le plus loin possible des enfants.

Et voilà que maintenant, Anastasia lui disait, non, lui ordonnait de reprendre son rôle de professeur pour les enfants qui souhaitent suivre ces cours, et en plus de surveiller Élodie qui est à elle seule une source de problèmes avec son chien…

Soupirant, elle comprit que cela n'allait pas marcher, mais elle savait aussi qu'aucun enfant n'allait de lui-même se diriger vers ce cours. Elle les connaissait trop bien et si ce n'était pas eux, alors Mike et Merry leur mettraient la pression. Cela n'allait pas fonctionner et elle le savait. Alors, tout en se concentrant sur son environnement, elle verrouilla son regard avec celui d'Anastasia.

"Quand commencerons-nous ce nouveau programme ?" demanda-t-elle avec sérieux.

"Dès demain," répondit la matrone, acquiesçant. Jessica se décida finalement à quitter le bureau sans un regard pour Élodie…

De son côté, celle-ci était perdue dans ses réflexions. Tout cela allait lui permettre d'arrêter la maltraitance des enfants, mais elle allait aussi faire face à de nombreux inconvénients. Comme Jessica, qui, au final, avait rejeté l'idée de l'aider. Depuis ce moment, Élodie avait compris qu'elle ne pouvait pas se fier à elle. Mais Anastasia coupa son train de pensées.

"Tu as jusqu'à demain midi pour me rendre un premier aperçu de ton enseignement. Je te laisse quartier libre jusqu'ici. Bien entendu, tu as interdiction de prendre contact avec les enfants. Laberte et Silo sont sûrement en train de les briefer sur la situation," expliqua Anastasia en soupirant, tout en mettant ses lunettes et en s'installant dans sa chaise de bureau.

Comprenant qu'elle n'avait plus de raison de rester dans celui-ci, Élodie se décida à son tour de partir, laissant la matrone continuer sa paperasse.

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Roxy
Posté le 03/06/2024
Bonjour,
J'avais tellement hâte que je l'ai dévoré !
Vraiment l'intrigue est super j'aime beaucoup
J'attends la suite avec impatience
A bientôt
Roxy
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