Ton départ a laissé place à un vide immense. Derrière mes injures et la dureté de mes propos, au-delà de mon air furieux et de la haine qui imprègne mes mots, je ressens une souffrance sans nom loin de toi. Je pensais pouvoir conquérir l’univers avec toi à mes côtés. Et ce soir, je me retrouve là, à contempler ton visage absent. Me tortillant de douleur, regrettant chacune de mes paroles. Si seulement tu étais là. Pour que je puisse te retenir, te prendre dans mes bras. Père ne voyait en ta personne qu’échec et déception. Son venin a envahi mon être tout entier pour mieux te détester. Pour cacher cette vérité qui m’effrayait : tu étais bien meilleur, car tu as su montrer tes sentiments. Mère t’a pleuré jusqu’à son dernier souffle. En solitaire, dans notre sinistre demeure, faite de soufre, la rancœur a fini par être vaincue par ta lumière. Seulement, il était trop tard.
Me noyant dans mes lamentations amères, errant dans les profondeurs de la nuit, au milieu des couloirs où nos rires enfantins résonnent encore, j’entends soudainement des pas. Est-ce toi ? Je me retourne.
Impossible. Tu es là ? Tu es réellement là ? Ma bouche s’ouvre légèrement, incapable d’émettre le moindre son. Mes yeux de sang débordent soudainement de larmes, cristallisant mes émotions. J’ai peur de ne voir qu’un mirage, ton sourire… Il est si éclatant. Mes membres tremblent. Inerte, je ne parviens plus à bouger tant j’ai rêvé de cet instant. Tes traits. Ta peau de glace. Ta chevelure ébène. Tes yeux d’or. Mon torse vibre de soulagement à mesure que tu t’avances. Je l’ai tant souhaité. De toutes mes forces. Et te voilà. Que dois-je dire ? Puis-je parler ? Tu t’approches de plus en plus. Tes mains se posent naturellement sur mes épaules, libérées de tous les fardeaux. Mes pleurs cascadent sur ma peau blême sans que je puisse les retenir. Tu es donc bien là. Tout disparaît autour de nous. Ton expression débordant d’affection réchauffe soudainement l’hiver qui hantait mon âme damnée. Le printemps fleurit en ce corps gelé qui durant cent ans n’a cessé d’espérer ton retour.
— Tu m’as manqué, grand frère.
Je t’enlace immédiatement, ne sachant que dire sur le moment.
— Par toutes les entités, par toutes les divinités, par tous les lieux souterrains ou célestes, tu es là… tu es bien là…
Mes murmures larmoyants répètent ce nouveau psaume qui sonne encore faux à mes oreilles tant le désespoir était grand.
— Je suis là. Je ne te quitterai plus jamais.
— Toutes ces choses horribles que j’ai pu te dire…
— C’est du passé, chuchotes-tu en caressant tendrement ma crinière argentée.
— J’ai l’air bien misérable à pleurer de cette façon, après tout ce que j’ai dit…
— Non. Tu n’es pas misérable, tu es malheureux. Je suis là maintenant, la tristesse ne sera plus qu’un mauvais rêve. Ta voix semble si sombre.
— Je pensais ne plus te retrouver. Maintenant que père et mère ne sont plus de cet univers… Je n’ai que toi et toi seul. Même lorsque j’ai été injuste et infâme, tu ne m’as jamais exprimé le moindre ressentiment.
— Je suis navré de ne pas être revenu plus tôt. Je n’aurais pas dû partir sans toi.
— C’est moi qui aurai dû te ramener, t’épauler. Au lieu de cela, je t’ai blessé, tel le lâche que je suis.
— Ne dis pas des choses pareilles, tu n’es pas un lâche. Je suis tellement désolé de t’avoir abandonné.
— Je t’en supplie, ne t’excuse pas. Nous n’aurions jamais dû te traiter de la sorte.
— Beaucoup de haine a envahi mon cœur, mais je n’en ai pas ressenti pour toi.
— J’ai eu un comportement impardonnable pourtant…
— Mais tu as tout mon pardon.
— Comment puis-je le mériter ? Je n’en suis pas digne.
— Parce que je t’aime. Je t’aime de tout mon être. Je n’ai jamais cessé de t’aimer, même quand tu m’as renié. Mon plus grand rêve était de découvrir le monde avec toi, mais tu as fait tes propres choix, et cela, je ne peux te le reprocher. Tu n’as fait que suivre les instructions que père te sommait de suivre. Cet estime qu’il portait à mon égard n’était qu’illusion, et malgré toutes tes abominations, je voue pour toi une profonde admiration. Les remords que tu portes, tes cicatrices… Tu m’as épargné de tant de choses en subissant pour moi tant de supplices. J’ai toujours su que nos liens étaient immortels, et qu’un jour, nous vivrons ces retrouvailles. Qu’un jour, nous serons réunis comme jadis. Mon amour pour toi ne connaît aucune faille, car tu es tout ce qu’il y a de plus beau en ces mondes.
Mes sanglots déferlent à ces mots. Mon étreinte devient plus forte tandis que tu déposes un baiser avec une douceur infinie sur mon front.
— Et le monde des humains ? Comment as-tu fait pour échapper à ce monstre ?
— Un monstre ? Quel monstre ?
— Tu ne te souviens de rien ?
Tout s’assombrit.
La lumière s’éteint. Mes paupières s’ouvrent, humides de chagrin. Allongé sur le gigantesque tapis du salon, je me relève avec difficulté. Des mèches couvrent mon regard voilé par une vapeur onirique. Mes muscles sont tout endoloris, incapables de se mouvoir dans les draps noirs du crépuscule. Seule la cheminée éclaire mon désarroi. Je n’avais pas senti tout mon corps s’écrouler, à présent, c’est mon cœur qui s’effondre dans les abîmes du regret.
Cette sensation ne me quittera plus. J’ai cru à ce moment si intense. Sa voix. Sa compassion. Maudit soit ma bouche, maudit soit ce château, maudit soit le sommeil. Je n’avais pas réalisé à quel point j’étais épuisé. Voilà des mois que je ne dors plus, que je refuse de me nourrir, que je souhaite juste périr pour échapper à cette profonde mélancolie, grandissant au cœur de mes insomnies.
Je dois te revoir. Où que tu sois, petit frère, je te retrouverai.
Pour le reste, je laisse place aux théories des lecteurices, j'espère que cela t'a plu et encore merci pour ton avis.