À l’approche de la cité, le groupe avait rejoint ce qui autrefois avait dû être une route et qui maintenant se perdait entre les pierres et la poussière. Les nombreux crânes et lambeaux d’étendards qui parsemaient le bas-côté de la voie avaient rapidement terni l’atmosphère ; mais non la volonté des hommes qui pénétraient maintenant dans les restes de faubourgs séculaires. Sans réellement le vouloir, les chevaliers avaient mis leur monture au pas comme guidés par un indiscible respect. « Ces lieux sont anciens, déclara le prêtre-guerrier plus doucement qu’il ne l’avait voulu. Plus anciens que Sigmar lui-même… veillez à vos gestes et peut-être en ressortirons-nous intacts… ». Un léger frisson parcouru la troupe à cette parole et même les respirations devinrent discrètes.
- Nous allons dans le quartier marchand, continua le prêtre. C’est au sein d'une boutique, à l’arrière, que l’objet a été vu pour la dernière fois. » Pas tous, heureusement, n’entendirent cette nouvelle peu rassurante. Ljovis cependant agrippa fermement la bride du cheval du prêtre-guerrier, le forçant à s’arrêter.
- Que dis-tu ? vibra le seigneur de toute son impressionnante carrure. Quand était-ce pour la dernière fois ?
- Trois mille ans, seigneur Ljovis, répondit avec flegme l’intéressé. » Ljovis de Bellefroi marqua un temps d'arrêt, comme pour tirer son épée, mais il ne savait en réalité pas comment réagir. Le geste n’échappa cependant pas au fidèle de Sigmar, qui en profita pour se dégager de la prise du lourd chevalier.
- Seigneur Ljovis, c’est une situation désespérée, à laquelle nous répondons par des actions désespérées. Je ne connais pas non plus la valeur du document mentionnant ce lieu, je ne connais pas non plus les êtres qui peuplaient et qui peuplent peut-être encore ce lieu. Mais je sais en revanche que nous y sommes, et que nous l’avons tous choisi ; nous savions tous ce que ça impliquait et nous ferons tout pour réussir, même si cela implique de pister l’artefact depuis ce quartier marchand.
» Je peux également vous dire ceci : la cité a selon toute vraisemblance disparue d’un seul coup, pas d’échappatoire pour un quelconque voleur. À présent, songez au chevalier Alfrecht : il n’avait certainement jamais confronté pareil oiseau, encore moins de si proche. Il n’a pas sourcillé, seigneur Ljovis.
» Prions nos dieux, serrons nos armes et repartons rapidement.
- Certes oui, prêtre… accepta Ljovis. »
L’échange échappa au reste de la troupe qui continuait son avancée dans les rues de la singulière cité, abandonnée depuis trop longtemps pour le souvenir d'une mémoire saine. Régulièrement, d’obscures monolithes poussaient au bord de la route, gravés de signes inconnus de toute personne vivante et entourés de divers bruits inquiétants qui n'encourageaient en rien une étude attentive.
Les ombres laissées par le soleil couchant s’allongèrent bientôt au-delà des quelques bâtiments encore debouts - pour ce qui concernait leurs murs du moins - et l’arrivée au quartier marchand se fit alors même que le Soleil dardait ses derniers rayons dans un adieu empli de sombres pensées ; le groupe s’empressa d’allumer des torches. Le prêtre-guerrier indiqua une petite tour non loin, c’était là que le salut des mortels se devait de reposer dans l’attente qu’on l’exhumât bien improbablement. Le premier étage tenait encore, offrant un rez-de-chaussée totalement couvert. Le reste, en revanche, était éparpillé alentours en autant de blocs que la structure en comportait, couverts de mousse sèche ou d’une épaisse couche de poussière qui s’envolait alors que les torches balayaient le sol pour y voir plus clair.
Peu avant l’entrée, le prêtre-guerrier posa pied à terre et s’adressa aux autres chevaliers :
- Ici s’épuisent mes faibles connaissances au sujet de cet endroit ; depuis la tour, un couloir monte vers des « hauteurs infernales », comme énoncé dans le document. Je sais que c’est difficile à croire au vu de l’état de l’édifice, mais je suis prêt à le faire.
» Soyez sur vos gardes une fois à l’intérieur, s’il y a des êtres millénaires, je ne crois pas qu’ils aient leur place ici, à l’air libre ; mais là-dedans, qui sait les lois qui sont à l’œuvre. Deux hommes pour garder les chevaux, le reste, allons sans plus tarder. »
Et il pénétra dans la tour, immédiatement suivi par les chevaliers, les gardiens ayant été choisi à l’avance par le seigneur de Bellefroi. L’intérieur était froid et sans relief. Des ossements sans âge jonchaient le sol et les toiles d’araignées n’arrêtaient pas de barrer la route de l’équipée. Avançant toujours prudemment, le groupe arriva au fond du rez-de-chaussée et s’arrêta devant un couloir qui montait.
« Par la Dame, jura Viktor. Quelle magie est donc à l’œuvre ? » Il adressa une brève prière avant de suivre le groupe qui repartait. Tous pensaient la même chose, mais tous se savaient liés par un pacte plus fort que n’importe quelle parole.
Et ils montèrent, avec, au cœur, la certitude que ce qu’ils cherchaient était en haut : tant d’irréalité ne pouvait que servir ce que l’Espoir n’attendait plus.
Au terme d’une longue montée dans un couloir impossiblement lisse, les chevaliers menés par le prêtre-guerrier débouchèrent dans une salle moyenne, encombrée de débris de poterie, de pierre et de pièces de métal. Rien n’était clair, tout était sens dessus dessous et la simple arrivée du groupe souleva un nuage de poussière des plus opaques. Les chevaliers, malgré l’oppressante étrangeté des lieux, se déployèrent mus par un réflexe ancré dans leur esprit de combattant. Toute la pièce fut méticuleusement cherchée et dépouillée de tout mystère.
- Prêtre ! appela Federic. Est-ce… cela ? » Il brandissait un grand cylindre de bois, dont le parfait état avait de quoi effectivement détonner. Le prêtre-guerrier se retourna, mais trop tôt pour que ce fut en réponse à l’appel du chevalier : « Dépêchons ! siffla l’homme pieux. Il est déjà trop tard ! » Puis, avisant le cylindre, il lâcha :
- Par Sigmar… je n’y croyais seulement par devoir...