Sam se fait réveiller par un coup de botte dans les jambes. Allongé à même le sol, Sam a du mal à émerger. Endolori par des mauvaises positions prises pendant la nuit, il doit s'appuyer au sol pour s'aider à se relever. Il fait face au balafré qui s'impatiente. Il a un sac à dos et une machette accrochée à la taille. Il lui tend une banane et lui fait signe de le suivre. Sam ne peut pas dire que l'homme est avare de mot parce qu’il est muet, néanmoins, il trouve cet homme rustre et austère. Il n'arrive pas à lire en lui. Sam prend son sac qu'il n'a pas quitté de la nuit. Il a trop peur qu'on tente de lui voler encore une fois. Il rattrape l'homme balafré qui marche droit devant à pas de course. L'homme s’arrête devant une cascade et lui propose de remplir sa gourde. Sam s’exécute. Avec cette chaleur, il en aura grand besoin. Tous les deux quittent le village de grottes pour se retrouver dans un bras de canyon vraiment étroit. Sam imagine mal croiser quelqu'un. Pour lui, il est impossible de passer à deux. Sam se sent oppressé contre les parois. Il est inondé de sueur et sa tête fait du tourniquet. Il se retourne pour voir derrière lui, il aperçoit au loin dans l'étroit canyon, la silhouette d'une femme. Son vertige lui joue des tours, se rassure t-il. Mais la silhouette est toujours là, les cheveux blancs cendrées sont soulevés par le vent. Il la reconnaît, c'est la femme qu'il a vu chez la petite dame, la magicienne. Elle ne bouge pas, elle se contente de le regarder de loin. Un caillou vient lui rebondir sur la tête, le Borgne vient de lui lancer pour lui fait comprendre d'avancer. « Aie » se plaint Sam. En se retournant, il constate que la magicienne a disparu. Que lui veut-elle ? Est-elle en train de le suivre ? Sam n'a pas le temps de réfléchir. Il doit avancer et sortir de ce canyon qui le rend fou.
Quand ils sortent enfin de ce couloir de roches, il se sent délivré du poids de l'oppression. C'est ce que croit Sam. En effet, les deux hommes font face à une falaise gigantesque qui donne l'illusion à Sam d'un géant prés à les piétiner. Sam ne comprend pas comment ils vont sortir d'ici. Le borgne lui explique avec des gestes qu'ils vont devoir grimper la paroi car la prison se trouve dans le désert en haut du canyon. Sam n'a pas du bien lire la carte, pour lui la prison se situe proche de la rivière. Et il ne peut pas vérifier l'endroit avec exactitude puisque le Borgne a rangé la carte dans son sac. Bien que le doute commence à s'installer dans son esprit, il n'a pas d'autres choix que de se livrer aux indications de l'homme qui a l'air de savoir où il va.
— Comment on va faire ? Y a rien pour l'escalader ? demande Sam la voix plein de trémolos.
Sam est pris de panique et ses jambes jouent des castagnettes. C'est bien le moment, pense t-il. Il a le vertige, jamais il ne va y arriver. Le Borgne ne lui laisse aucun répit, il lui passe une corde autour de la taille et commence l'ascension. Sam ne peut pas répliquer parcequ, il se fait tirer par un homme beaucoup plus costaud que lui.
― Et ho, vous pourriez attendre que je sois prêt !!
Le borgne ignore complètement ses contestations vu qu'il n'entend rien, il le fait exprés se dit Sam. Le jeune homme continue malgré tout à bougonner et s'élance sur la paroi. Il est surpris de monter si aisément. Les premiers mètres lui paraissent tellement faciles qu'il ne se rend pas compte du sol qui s'éloigne sous ses pieds. A la vue du vide, Sam s'accroche à la paroi et ses membres se paralysent. Il a l'impression d'être un pantin articulé par un homme sans complaisance. Le Borgne fait de grands gestes au dessus de lui, il est en colère. Sam n'avance pas assez vite à son goût. Tu parles d'un marionnettiste, il pourrait m'aider plutôt que de s'énerver, songe Sam alors que sa tête bourdonne.
― Ça va c'est bon, je ne fais pas ça tous les jours !! Vous pourriez être plus sympa et compréhensif.
Sam fatigue, il en a marre. Il voudrait faire demi-tour: redescendre la paroi, reprendre le couloir dans le canyon et retourner à l’ascenseur pour remonter dans l'appartement maison. L'image de son frère passe subitement devant ses yeux et le ramène à la triste réalité.
― Théo, Théo je suis là, je viens te chercher, j'arrive !
Sam se reprend, il sait pourquoi il est là en plein milieu d'une paroi d'escalade encordé à un borgne sourd et muet. Il va y arriver tout la haut, « bouge toi le cul le borgne mon frère m'attend » se crie t-il dans sa tête pour se donner du courage. Sam ne prend plus le temps de réfléchir aux prises qu'il doit atteindre, il gravit chaque étape instinctivement. Même le Borgne est surpris de le voir lui coller au train, d'ailleurs ça l'énerve qu'il soit si proche de lui. Il lui jette des coups de pieds pour lui faire comprendre. Sam lui crie dessus :
― Tu commences à me fatiguer toi, soit je ne vais pas assez vite et tu râles soit je vais trop vite et tu me pousses !! Je suis remonté comme un coucou alors maintenant c'est toi qui te dépêche !!
Jamais Sam n'aurait réagi ainsi en d'autres circonstances. La colère le transcende. C'est aussi plus facile de s’énerver derrière le fessier d'un homme sourd et muet que d'être nez à nez face à lui.
Le sommet atteint, Sam est fier de lui, il chiale comme un môme d'avoir réussi. La beauté du paysage le rend heureux. De la haut, la ville est toute petite. Tels de minuscules insectes, les engins volants grouillent en tout sens. La rivière est devenue une ligne d'eau. Autour d'eux le désert s'étend à perte de vue. Sam boit une bonne rasade d'eau à sa gourde, pas trop pour ne pas en manquer. Sa joie est de courte durée. Le Borgne laisse la corde à l'endroit où ils sont arrivés puis reprend la route et s'enfonce dans le désert. Le soleil fouette Sam à chacun de ses pas. Esclave du Borgne, il le suit sans rien dire. Il n'a pas la force de le questionner. Il est son seul guide. Néanmoins, Sam ne comprend pas pourquoi ils s'éloignent du canyon, sur la carte il est sur d'avoir vu que la prison se situait à l'embouchure de la rivière sur la mer. Peut-être que de suivre la rivièrer ou le long du canyon est trop risqué, qu'il vaut mieux vaut s'en écarter. Sam piétine. Le soleil ainsi que les minutes qui défilent remplissent un peu plus son sac à dos qui finissent de l'affaiblir. Il ne remarque même pas les regards furtifs que lui jette le balafré par dessus son épaule pour l'observer. Sam s'arrête, les mains sur les genoux il tente de reprendre des forces. Au bout de quelques secondes, il relève la tête. Sam ne voit qu'un trou noir dans lequel il s'enfonce. Il vole parmi les étoiles filantes avant de s'écraser au sol. A son réveil, le mélange de sang coagulé et de terre forme une croûte au niveau du nez. La douleur lui remonte par les narines pire que la moutarde qu'il a pour habitude de mal supporter. Son nez s'est transformé en grosse patate toute chaude. Le sol le retient, se lever relève de l'exploit. La gloire sera pour une autre fois, à ce moment même sa dignité s'est envolée avec les étoiles, il rampe. Un lézard passe à ses côtés comme pour le narguer. Sam regarde autour de lui, aucun signe de la présence du Borgne. Il aperçoit un peu plus loin son sac éventré. Autour se répandent le carnet effeuillé de Théo, sa gourde grande ouverte, son cahier, son pull rouge… Des feuilles blanches virevoltent au dessus de lui. Il arrive tant bien que mal à se mouvoir jusqu'à son sac à dos. Rapidement, il comprend que le Borgne a profité de sa crédulité pour le voler. Il lui a pris tout son argent, celui reçu de la petite femme. Bien sûr, il ne lui a rien laissé ni à boire ni à manger et s'est équipé de son couteau. Sam ne peut s’empêcher de hurler et de pleurer. La rage l'aide à se relever. L'horizon orange annonce la nuit, Sam est perdu en plein milieu du désert. Il pleure du sable mouillé, sa vision se trouble.
Au loin, une forme mal définie semble sortir tout droit de l'horizon, elle grossit. Elle s'approche de lui. Sam a beau se frotter les yeux, il discerne mal ce qui arrive droit sur lui. La forme se métamorphose peu à peu en un animal volant descendant du ciel. Sam n'en croit pas ses yeux, un papillon géant vole autour de lui. Le bruissement des ailes s’apparente au bruit d'un ventilateur. Sam n'ose plus bouger, le papillon est en lévitation devant. Il se fixe du regard mutuellement. Sam est troublé par ce papillon pourtant il ne ressent aucune animosité émané de l'insecte. Il le laisse s'approcher de son oreille à laquelle il murmure des sons imcompréhensibles qui filent au garçon des acouphènes. C'est trop désagréable. Ce papillon l'agace, il le repousse en agitant les bras au dessus de sa tête. Débarrassé de ce parasite, Sam à bout de force, ne pense qu’à une chose, sombrer dans un sommeil profond.
*
Théo a passé la nuit dans dans la baignoire de la salle de bain. L’eau dans laquelle il baigne est devenue glacée. Il n’ose pas s’aventurer hors de l’eau ; il ne se sent pas bien, un haut le cœur le retient. Il s’enfonce sous l’eau pour faire partir cette nausée, cette honte. Il n’aurait jamais pensé que sa première fois se passerait ainsi. Le manque d’oxygène le berce et le fait sourire. C’est peut-être mieux ainsi, partir sous l’eau n’est-ce pas une jolie sortie de piste ? Un réflexe incontrôlé l’oblige à ouvrir la bouche pour chercher l’air qui n’existe plus. Il avale de l’eau, il n’a pas d’autre choix que de se relever et sortir la tête. Il tousse à s’en tordre les côtes. La douleur entre ses omoplates lui rappelle à quel point il est vivant. Ceci lui fait d’autant plus mal que son âme est morte cette nuit. Une idée lui traverse l’esprit, s’il essayait de voler les clés à son double pour s’enfuir. Il enfile sa combinaison en toute hâte, et ouvre la porte en retenant le moindre bruit qui trahirait sa présence. Il ne veut pas réveillé son double étendu en étoile de mer dans son lit. Son corps nu ainsi exposé lui donne la gerbe, il a l’air tellement innocent dans cette enveloppe charnelle qui lui ressemble. La clé est attachée autour de son cou. Il s’approche du lit à pas de loup. Quand la clé est enfin accessible pour l’attraper, Théo, délicatement, étire le bras. Ses doigts n’ont que le temps d’effleurer la clé, son double est plus rapide que lui et lui attrape le bras avec fermeté.
―Qui espères-tu berner ainsi sale gosse ?!
Son double le pousse de toutes ses forces avec ses deux pieds. Théo est éjecté hors du lit et retombe sur son poignet. Il hurle de douleur.
―Tu ne gagneras rien à me piéger, je suis ta seule chance de rencontrer Lui et de retrouver ton frère. Alors ne fais pas le con !! Allons prendre un petit déjeuner, j’ai une de ses faims. Tu m’as bien vidé, dit-il avec un sourire sarcastique.
Théo qui se tient le poignet tout en grimaçant n’a pas envie de répondre à cette provocation. Il préfère jouer la carte de l’ignorance. Cela semble fonctionner sur son double qui lui ordonne, trés agacé, de venir s'installer à table.
Moi qui pensait que Sam avait fait une bonne rencontre, je m'étais fourvoyé ! Mais je suis sûr que l'étrange femme va le sauver.
Quant à Théo, je pensais qu'il allait réussir à saisir la clé, mais ce serait trop facile... J'espère qu'il va vite trouver un moyen de déguerpir !