Je crois que sans la dose d’Hypotrankilis qui circule dans mon sang, ils finiraient par me gaslight sévère. Je veux dire, ils n’arrêtent pas de me répéter que j’ai tué le juge de France, Ophélie machin-truc. Ils me bassinent avec leur histoire de revendications politiques et de mobile. Ils attendent quoi ? Que je l’invente ?
En vrai, non. Ils n’auraient pas réussi à me gaslight. Si je n’étais pas défoncée, le commissariat aurait déjà explosé, j’aurai fui...ou des anti-psys m’auraient descendue, au choix.Là, ça va. Dans une demi-heure, quand les sédatifs ne feront plus effet, ça va mal finir pour quelqu’un. Au moins, je souffre plus. La police militaire frappe fort, mais même en tant que pire criminelle de France, j’ai droit aux soins.
— Mlle XV-568, m’interpelle l’exécuteur, inutile de nier ! Nous possédons des vidéos !
Ça, pour avoir des vidéos, ils en ont ! Ils ont aussi chopé le témoignage de Mr Cartier et ma carte de donnée. D’ailleurs, leurs clips ont confirmé mon innocence. On m’y voit tirer sur le Juge et foutre du sang partout. Tirer ! Moi ! Je n’ai jamais tué comme ça, pour le fun. Et si ça devait arriver, j’aurais juste à… well. Je n’ai pas besoin d’armes à feu.
— Je veux parler à Hylia.
L’exécuteur soupire. J'ai envie de faire pareil. Nier, ça ne sert à rien quand en face de toi, t’as un type convaincu d’avoir raison. Hylia... peut-être qu’elle pourra donner un sens à tout ce délire ? Ou peut-être que cette histoire est trop grosse, même pour elle ? Je ne sais pas. Enfin, si elle a moyen de m’aider, elle je compte sur elle, sinon, bah… tant pis. Quand le bonhomme commence à parler, une notification sur ses lunettes l’interrompt. À la place, il se lève, récupère sa tablette et sort. Je reste seule un moment, puis un autre vieil homme entre. Lui, il ne ressemble pas à un exec’. Pourtant, il a la dégaine mal finie d’un enquêteur du siècle dernier. Genre il ressemble à ce flic au nom d’épice issu d’une série de l’époque, un show que Hylia adore. Moi, je ne regarde pas, on sait qui est l’assassin dès le début.
— Raùl Lorquès se présente-t-il, assistant attaché au bureau de l’exécution.
Il tend la main comme pour serrer la mienne. Lorsqu’il remarque mes poignets menottés à la console, il doit se sentir un peu con, puis s’assoit en face de moi.
— Vous êtes innocente, n’est-ce pas ?
Je ne réponds pas, c’est peut-être un piège.
— Voyons ! Une orpheline ? Tuer l’un des homme les plus haut placé de France ? Ne me faites pas rire !
Il doit attendre une réaction, je ne la lui donne pas.
— Votre amie nous a d’ailleurs fourni des pistes quant aux coupables supposés.
Mon amie ?
— Hylia ? Hylia est ici ?
Il sourit et je n’aime pas trop ça. Mr Lorquès m’explique que oui, Hylia est venue, et qu’il pense que j’ai été manipulée par un psy rogue. Possible. Même avec mes pouvoirs, je ne suis pas à l’abri de ce genre de truc. J’pourrais avoir halluciné toute ma leçon de conduite. Une vengeance de Pop’s ? Ouais. J’ai récupéré l’argent un poil trop facilement. Quoi que non. Moi ? Avec un flingue ? J’veux dire, pourquoi je me f’rais chier avec un pistolet ? Quand on te force à tuer quelqu’un, t’as juste l’idée « buter » en tête et toi, tu choisis le moyen le plus pratique. Mon truc, c’est les attaques mentales, pas les armes à feu.
— Je veux parler à Hylia.
Elle va m’aider à faire sens à tout ce bordel. Mr Lorquès me regarde, peut être surpris, je ne sais pas.
— Vous… commence-t-il.
Je ne le quitte pas des yeux. Il s’interrompt et provoque une tempête de neige lorsqu’il gratte ses cheveux gris. Il fouille dans sa poche intérieure, il en sort un paquet de cigarettes et un briquet, ceux qui ressemblent au vieux modèle avec leur plastique transparent. Il l’allume, me regarde et avant que l’IA ne lui ordonne de l’éteindre, il se ravise et l’écrase sur la console.
Il se lève, nettoie son pantalon du dos de la main sans faire partir les taches sombres qui le salissent :
— Je vais voir ce que je peux faire.
Il quitte la cellule et moi je reste seule, un peu conne.
Quand la porte de la pièce s’ouvre encore, c’est Hylia qui entre. Je bondis, et les chaînes bloquent mon mouvement. L’IA qui gère la salle d’interrogatoire m’ordonne de m’asseoir et me rappelle qu’en cas d’agitation, elle n’hésitera pas à me tranquilliser. J’obéis, je suis déjà assez dans la merde comme ça. Hylia reste silencieuse quand elle s’assoit en face de moi. Je sens quelque chose de bizarre chez elle. D’abord, elle porte une des robes de Liliana, celles qui lui donnent l’air « employable ». Puis elle garde une expression neutre et préfère caresser la console entre nous.
— J’ai vu la vidéo, tu sais.
Pas besoin de répondre. Si elle l’a vu, elle a deviné le traquenard.
Elle avance les mains et chope les miennes. L’IA la laisse faire et ça me surprend. Je ne suis pas très contact et Hyllia non plus. Elle serre à m’en faire mal, l’air de rien. Ses yeux gris qui font du ping-pong entre la console et moi. Non, je comprends quand son attention reste bloquée vers le bas : ce n’est pas la table qu’elle regarde, mais ses mains, tachées de bleu et de noir. De l’encre. Ce n’est pas normal. Hylia, même si elle peut se permettre de s’acheter des stylos billes, elle n’est pas du genre à les gaspiller dans des trucs inutiles. Ce qu’elle a noté n’a pas de sens : une liste de courses, quelque chose qui ressemble à une adresse et une série de chiffres. Elle tapote du doigt sur ma main, sans me quitter des yeux. Elle cherche à me dire quelque chose ! Quoi ? Comment ?
— T’as quelque chose à dire ? me demande-t-elle.
C’était quoi déjà ce langage qui fonctionne avec du bruit ? Non, ça ne peut pas être ça. Si ça ne m’étonnait pas que Hylia le connaisse, moi, je ne sais même pascomment ça s’appelle. Un truc que je connais… Un truc que je connais… Et au lieu de continuer de me regarder, elle laisse tomber ses pupilles sur ses mains et cet index qui me frappe.
Les chiffres sont tournés vers moi. Normalement, elle aurait dû les noter dans l’autre sens.
555666882224433033388444777
Oh, oui ! Évidemment ! L’alphabet 33-10 !
— Reynia ?
Elle m’interpelle juste au moment où je finis de déchiffrer le code. Heureusement, parce que mon cri de surprise serait sorti de nulle part. Le message d’Hylia se traduit par deux mots :
« Louche fuis »
— T’as pris de l’Hypo ? me demande Hylia.T’en as encore pour combien de temps ?
— Une quinzaine... vingt minutes je dirais ? Pourquoi ?
— Mr Lorquès peut t’aider, reprend Hylia, fait lui confiance.
Je n’arrive pas à lui répondre. Dans ma tête, y a juste deux mots : « Louche. » « Fuis ». « Louche ». « Fuis ».
— Il m’a dit qu’il était en train de voir pour qu’on te transfère, je lui dis que t’es prête à partir ?
J’acquiesce. « Louche ». « Fuis ».
— D’accord. Tu auras besoin d’une nouvelle dose de calmant ?
— Non, ça ira. Le Doc’ me tanne toujours lorsque je prends plus d’une seringue par semaine.
Défoncée, je ne pourrais pas fuir, on le sait toutes les deux. Et pourtant, on doit faire genre, tout est normal. Parfois, j’ai l’impression d’être une marionnette qui récite un script écrit par un scénariste fou.
Elle se lève.
— Au… au revoir, Hylia, je bafouille lorsqu’elle arrive à la porte.
Qui sait quand je serais capable de la revoir. Pourquoi je n’ai pas le droit à de vrais adieux !
— A la revoyure, me réponds elle avec une confiance absolue.