Avant propos

  Je me prénomme Constance - Adèle. Avec un petit tiret délicat entre ces deux prénoms qui n'ont absolument rien à voir. Je ne sais ce qui est passé par la tête de mes parents le jour où je suis née. 

  Apparemment, ils n'ont pas réussi à se mettre d'accord. Et me voilà avec ce prénom alambiqué qui me colle au jarret.

  Je suis très vieille. Si vieille que mes articulations ont du mal à suivre, et que si l'on me comparait à une tortue, on eut vu aucune différence. Si vieille que mes petits enfants ont sans doute déjà eux mêmes des enfants. Tellement vieille que je ne compte plus le temps qui me sépare de ce jour où j'ai vu le monde pour la première fois. Quoi que ce que je dis n'a pas de sens, puisque je ne suis pas censée le voir une seconde fois...

  J'en ai vu défiler, des images en noir et blanc, des petites filles bien habillées et des paniers à rubans.

  Mes souvenirs n'ont plus d'âge. Pourtant ils sont bien là, sagement rangés dans les étagères de ma mémoire.

  De temps en temps, ils ressurgissent, se fraient un chemin dans le temps pour remonter mes pensées.

  Beaucoup penseront qu'une vieille comme moi n'aura comme seul refrain que le temps d'avant était mieux. D'autres me verront comme une mamie gâteau, ou encore grand mère qui a des astuces. De vieux trucs barbants à partager.

  Tout ça, c'est bien des préjugés ! Moi ce que j'aime, ce n'est pas cuisiner, ce n'est pas soigner la fièvre, ce n'est pas tenir des discours sur le temps d'avant. Moi je m'en tamponne le coquillard avec une babouche, du temps d'avant ! Moi, ce que j'aime, c'est regarder par la fenêtre.

  Bien installée dans mon fauteuil à bascule avec une tasse de camomille et ma couverture sur les genoux. Quelque fois, Clovis vient ronronner en faisant ses griffes sur la courtepointe filée.

  Clovis est un matou très élégant. Il fait ses promenades entre les quartiers et revient quelque fois pour lisser son pelage blanc sur le balcon de l'appartement démodé que j'occupe depuis maintenant une cinquantaine d'années. J'ai toujours été persuadée que Clovis fut auparavant un aristocrate, dans une de ses neuf vies. La délicate tache noire qui orne son œil gauche ferait à n'importe qui penser à un monocle.

  Par la fenêtre, j'observe les allées et venues des passants, les voitures qui font ronronner leurs moteurs au feu rouge, et la marmaille qui s'en va innocemment à l'école.

  Quelques fois, je vois passer ce bon vieil Alphonse qui s'en va chercher le pain dans la rue d'à coté. Je me rappelle de cette fois où, étant petits, nous avions joué au loup dans la cour de la maternelle. Maternelle qui est aujourd'hui toujours en face, sa cour bien propre et sa peinture refaite pour lui donner une allure plus rénovée.

  Je passe mes journées devant cette fenêtre. À croire que je n'ai rien d'autre à faire. Mais lorsqu'on a mon age, on a tellement vécu qu'il nous importe peu de passer le reste du temps à la fenêtre. 

  J'en ai vu défiler tellement que ma mémoire en sature.

  Il est grand temps de partager ces anecdotes qui ne sauraient voir le jour sans une oreille attentive prête à m'écouter... Peut être la votre ?