Les valises des passants

Par Fy_

  Le temps est à la grisaille au dehors.

  Une nappe de nuages vient assombrir les trottoirs tandis que les passants s'affairent et marchent d'une allure pressée. Chacun dans ses pensées.

  C'est toujours comme ça les lundis matins.

  Les gens partent au travail, mallette à la main. Je ne leur ai pas demandé où ils allaient, mais je peux le voir à leur expression concentrée, leur air renfrogné, les mains dans leurs poches et leurs pas qui martèlent le sol expressément pour être à l'heure.

  Je me demande bien ce qu'elles contiennent, leurs valises.

  Leurs doigts sont serrés si forts autour de la poignée que leurs phalanges en blanchissent. C'est que ça doit être drôlement important, ce qu'il y a à l'intérieur... Des dossiers surchargés ? Une paire de souliers cirés ? Une boîte avec leur déjeuner ? Leur trousseau de clefs ? Ou alors un sachet de cachets ?

  Ou peut être une collection de maquettes, une vieille paire de chaussettes, une chevillette et une bobinette, quelques allumettes, une grappe de clochettes, une petite amulette, un paquet de cigarettes, un jeu de fourchettes, un collier de coquillettes, trois paires de lunettes, une balayette et un gros œuf de mouette pour faire une bonne omelette ?

 

  Hmmm... À moins qu'elles ne contiennent de jolis cailloux, une boîte de cachous, une flûte en bambou, puis deux ou trois clous, un bout de verrou, une casquette à froufrous ?

  Non c'est peu probable...

  Toutes ces valises remuent les tréfonds de ma mémoire...

 

 

  Mes souvenirs me reviennent, me ramènent à la première fois où j'ai pris le train avec mon petit frère.

  Nous allions rendre visite à notre tante Gilleverte... Oui oui, elle s'appelle réellement comme ça ! (Sans doute la secrétaire qui a fait une faute de frappe sur le dossier, à l'acte de naissance...)

  Revenons en à nos valises.

  Nous attendions impatients sur le quai de la gare, guettant le sifflement du train que nous devions prendre.

  Mon petit frère, Céstaidon, n'avait alors que huit ans, moi j'en avais douze.

  Sur le quai, les gens, valises à la main attendaient eux aussi le train. Près de nous, un vieil homme fumait un énorme cigare et crachotait sa fumée comme une cheminée. Cette odeur prenait la gorge, mais je n'osai pas tousser, de peur qu'il ne nous regarde, Céstaidon et moi.

  Non loin, deux dames discutaient gaiement en gloussant par instants.

  Faisant des allers et retours, le contrôleur, casquette sur la tête, sifflet à la main, guettait lui aussi l'arrivée de la machine.

  Céstaidon s'était assis par terre à côté de moi, et avait déjà ouvert sa valisette devant lui pour en sortir ses trésors.

  La valisette de mon frère est remplie de choses improbables. Partout où il va, il la trimballe avec lui, ramassant tout ce qu'il voit sur son chemin et les récoltant comme de grandes trouvailles.

  Elle était remplie d'objets de toutes sortes : des tickets, pièces, bouchons, boutons de manchettes, soldats de plomb, perles, glands, galets, anneaux, et carreaux de céramique polie peuplaient sa malle aux merveilles.

  Je le regardais déballer son butin sur le sol, quand un sifflement se fit entendre. Je relevai la tête et vis au loin une traînée de fumée au dessus d'une belle locomotive rouge arriver en notre direction.

  Mon frère était tout émerveillé. Il s'empressa de ranger ses trouvailles dans sa valisette et se leva pour voir entrer le train en gare. La machine arriva dans un boucan assourdissant, grondant sur les rails et crachant sa vapeur avec force. 

  Les voyageurs se pressèrent sur le quai pour se préparer à monter. Dans un crissement aigu, le train s'arrêta. Il faisait au moins deux fois ma taille, c'était très impressionnant. Les portes s'ouvrirent et les gens s'engouffrèrent par l'escalier afin de monter s'installer. Je pris mon frère par la main et l'aida à monter. Sur la deuxième marche, alors que je m’apprêtai à monter aussi, sa valisette renfermant ses trésors s'ouvrit et laissa s'échapper tous les petits objets auxquels Céstaidon tenait tant sur la voie ferrée.

  Cétaidon se mit à pleurer, voyant ses trésors éparpillés sous le train et je commençai à paniquer.

  Je vis le contrôleur s'avancer vers nous pour nous presser de monter. 

  Il nous cria par dessus le vacarme "Montez les gosses, dépêchez vous, j'ai le train à faire partir moi !"

  Voyant mon frère en larmes et tout ses petits objets éparpillés sur la voie ferrée, il siffla trois coups. Je crus qu'il faisait partir le train, mais non, à ma grande surprise le train arrêta son bruit. Le préposé rassura Céstaidon "Bouge pas de là, je vais aller te les chercher, tes objets".

  Sur ce, il passa sous le train pour aller ramasser entre les cailloux les objets tombés de la mallette de mon petit frère.

  Je vis aux fenêtres du train les passagers curieux, là tête dépassant de la fenêtre pour voir ce qui avait arrêté le départ de leur train. J'étais rassurée que l'on puisse récupérer les trésors de Céstaidon, sans quoi il aurait refusé de partir...

  Le contrôleur remonta et tendit entre ses mains ses objets à mon frère, qui renifla entre un sourire timide, et les reprit pour les remettre dans sa valise. Je remerciai le préposé et monta dans le train avec mon frère.

  Quel gentil contrôleur !

  Un coup de sifflet se fit entendre, et le train se remit en route dans un ronronnement.

  Je peux vous dire que depuis ce jour là, Céstaidon serre fort sa valise entre ses doigts, quand il monte dans un train. Ses trésors restent cachés dans sa valisette, et, à part moi, peu nombreux sont ceux qui ont la chance de savoir ce qu'elle renferme.

  Une valise, ça renferme des secrets.

  L'impossible tient dans une main, il ne faut pas l'oublier...

 

 

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Haro
Posté le 21/03/2024
C'est écrit avec tellement d'humour et de tendresse que je ne pouvais pas m'empêcher de sourire plusieurs fois en lisant ce chapitre.
J'adore ta plume! Je m'en vais de ce pas lire d'autres de tes histoires :-)
Haro
Fy_
Posté le 21/03/2024
Oooh merci beaucoup !
Ton commentaire me fait très plaisir ^^
Ce texte a été écrit il y a longtemps, je n'écris plus autant depuis les études c'est vrai, mais ça me donne envie de m'y remettre ! :)
Merci pour tes encouragements, au plaisir de te lire !
Fy
Prudence
Posté le 17/04/2020
Wouaaah ! Ce chapitre est très réussi ! L'ambiance, tout ça, tout ça. Tu as vraiment une plume magnifique ! Et puis quelle humour ! J'ai bien aimé la fin, elle est plutôt "mystérieuse"... et adoré le début (les passants, tu les décris vraiment bien) Bref : bravo !

Bon, passons aux choses sérieuses :'D

"une flûte de bambou" -> en bambou, je trouve que ça sonne mieux (après ce n'est que mon avis)

"Elle était remplie d'objets de toutes sortes : Des tickets, pièces, bouchons, boutons de manchettes, soldats de plomb, perles, glands, galets, anneaux, et carreaux de céramique polie peuplaient sa malle aux merveilles." -> pas de majuscule à "Des".

" Je remariai le contrôleur et monta dans le train avec mon frère." -> remariai ?

Dernière pitite remarque : on passe du plus-que-parfait (je crois, hein) au passé simple, [dans le souvenir], et ça m'a fait un peu bizarre. Je ne sais pas comment ça marche la concordance des temps... Mais ça m'a un peu perturbée, c'est tout ce que je peux écrire.

Voili voilou, en espérant que ça ait pu t'aider ! :-)
Prudence
Posté le 17/04/2020
oups ! * quel humour =.=
Fy_
Posté le 17/04/2020
Oh merci ! :) Tu me combles de compliments ;)
Merci pour tes petites remarques, j'ai corrigé tout ça ;)
Ton avis m'est précieux ma chère Prudence :) Que ferais-je sans toi ?
Pour les changements de temps, je ne pourrais te dire si c'est juste ou pas, j'ai écrit comme cela venait... Bon, ben j'imagine que ça doit être juste ?! :D
Merci à toi d'être passée commenter, ça fait toujours plaisir ;)
Bonne suite ;)
Fy
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