Au pays de Davarock, les hommes étaient une denrée rare. Nombreux étaient les pères et les fils tombés aux combats. Nombreuses sont désormais les mères et les filles endeuillées.
Au cœur d’un bourg sans nom perduraient les membres d’une famille ravagée par la guerre et la famine. Le maitre de maison vivait encore malgré les douleurs l’assaillant sans cesse. L’homme était vieux, abimé. Il avait vu périr ses fils et ne pouvait plus le supporter. Il passait ses ultimes jours à couper du bois, à prendre soin de son dernier mâle, son précieux trésor.
Pourtant, l’épouse de l’homme donnait naissance à de nombreux enfants, mais des garçons il n’y en avait plus qu’un. Lui, « Zénithiope, Troisième du nom », s’amusait en compagnie de ses sept sœurs. Insouciant, l’enfant était dorloté. Il était trop jeune pour aller en guerre et son père se doutait qu’il n’y en aurait plus. Les batailles d’antan avaient cessé d’exister. Les monstres étaient trop nombreux à fouler Trézéhence, les hommes l’apprenaient et se regroupaient. Le peuple vivait un âge de paix qu’il devait à la peur.
Toutefois, le vétéran ne souhaitait pas voir son dernier fils sombrer et devenir un faible, un garçon oisif aimant le confort. L’homme savait sa fin proche, il désirait faire de son fils un pilier pour la famille qu’il aurait à nourrir. Auparavant, le père aurait marié ses nombreuses filles et le lignage aurait perduré. Désormais, seul le fils comptait, les sept filles n’étaient plus bonnes à rien. Des filles personne n’en voulait, elles étaient faibles, laides et sans éducation. Observant son fils jouer avec ses sœurs, le père sut qu’il ne devait pas laisser son espoir s’étioler en compagnie de jeunes chipies.
***
Zénithiope leva deux grands yeux argentés en direction de son père. Tous deux étaient assis sur le tronc d’un vieux chêne à demi calciné.
— Prends, fils, déclara le père, tendant à son enfant une minuscule bille de métal. Avale.
— Qu’est-ce ?
— Du plomb, de l’acier. Soit comme l’acier.
L’enfant obtempéra, suivant son père dans ses lubies. Zénithiope eut des haut-le-cœur, goutant à l’acier tombant dans sa gorge.
— Je peux aller jouer ? demanda l’enfant.
— Non, reste. Observe nos terres.
— Elles sont brunes…
— En effet. Si tu désires leur redonner de l’éclat, tu dois être comme l’acier.
— Oui père…
L’homme toussa et cracha une bile sanguine. Zénithiope regardait son père souffrir sans véritablement comprendre le chagrin du vieil homme. L’enfant parut troublé, l’horizon fluctuait sous ses yeux et son estomac lui faisait atrocement mal. Forçant son esprit à répéter l’axiome de son père, Zénithiope négligea les douleurs.
Le garçon se leva et s’empara de la hache de son père sous le regard amusé de ce dernier. L’enfant souleva l’arme et l’enfonça dans un jeune arbre sans réussir à le pourfendre. Sentant ses os trembler, Zénithiope laissa tomber la hache.
— Je veux être fort ! Fort comme vous, père !
L’homme sourit et se leva à son tour, ramassant la hache et cognant l’arbre que son fils avait décidé d’abattre. Le coup puissant fendit le tronc de l’arbre. Les yeux de Zénithiope brillaient. Le garçon voyait en son père un héros, un dieu. Malheureusement, le dieu chut. Le père tomba à genoux, serrant les dents et se tenant le ventre.
— Père ?
— Tout va bien, mon garçon. Je suis comme l’acier.