Les gens, majoritairement des femmes et des enfants, à l’intérieur de l’église ont cédé à la panique. Quoi de plus normal que d’angoisser lorsque l’on sait que ses minutes sont comptées ?
Elle, elle est stoïque. Elle trouvera forcément un moyen de s’échapper de cet endroit. La patience finira par payer à un moment ou un autre.
Après la découverte il y a quelques semaines d’un homme rôdant autour du cimetière communal, les politiciens de la ville sont devenus complètement fous. Un témoin l’a identifié mais dans le cadastre, le rôdeur était enregistré comme étant mort. Le maire a alors décidé de déterrer le corps et, selon les dires, le cadavre était intact : la peau et le blanc de l’œil vermeil, un peu de sang qui coulait depuis les commissures des lèvres. Pour le maire, s’en était trop. La chasse aux sorcières, qui n’est pas si lointaine que ça, a laissé de vives blessures. La récente folie aux vampires venue de l’Est ne fait qu’empirer le douloureux souvenir. Le maire a fait appelé un exorciseur qui lui a conseillé de nettoyer sa ville.
C’est comme ça qu’elle s’est retrouvée avec toutes ces femmes, emprisonnées dans l’église, à attendre d’être brûlées. Elle remplissait toutes les conditions qui faisaient d’elle une vampire : rousse, célibataire, très proche de la nature et plus active dès que le crépuscule pointe le bout de son nez. Le fait de vivre avec son frère lui a sauvé la mise plus d’une fois.
Elle vivait tranquillement, personne n’est jamais venu lui chercher des noises. Jusqu’à ce qu’elle s’amourache du fils du maire. C’était la première fois qu’elle tombait amoureuse depuis la mort d’Uhtred.
Elle a naïvement cru que quelque chose était possible entre eux. Elle lui a fait des avances, il a refusé, la trouvant repoussante avec ses cheveux oranges, sa peau pâle et ses taches de rousseur. Elle n’a pas accepté de se faire rejeter et s’est emportée.
Lorsque la police est venue la chercher à son domicile, son frère ne s’y est pas opposé. Il a même dit que ça lui servirait de leçon, qu’elle ne peut pas fréquenter des gens qui sont différents d’elle.
Elle a su dès le début pourquoi ils étaient venus l’arrêter. Elle s’est laissée faire et les deux agents de police l’ont jetée dans cette église hurlante de désespoir.
Même si le fils du maire avait accepté sa déclaration, il l’aurait vite dénoncée.
Elle soupire en resserrant son châle autour d’elle. Cette fois-ci, elle ne pourra pas compter sur l’aide de son frère pour s’échapper.
Elle observe les gens autour d’elle. Certaines familles sont regroupées dont les membres s’étreignent tous en attendant le moment fatidique. Les plus vieux vont soutenir et réconforter les plus jeunes.
Elle est seule face à son destin.
Ils ne le sentent pas encore mais elle parvient à détecter l’odeur de fumée. Ça y est, ils ont allumé les bûchers. Ce n’est plus qu’une question de temps maintenant. Elle va devoir profiter de la panique générale et de la fumée épaisse pour trouver une brèche et se faufiler à l’extérieur.
La lumière émise par les flammes est à présent visible à travers les vitraux. La fumée passe sous la porte. Les femmes se mettent à crier. Le peu d’hommes présents ne parviennent pas à les calmer. Elle lève les yeux au ciel. Incapables.
Bientôt.
Le feu se propage rapidement. La charpente en bois du toit s’effondre sur l’autel, embrasant sur son passage les quelques personnes qui se trouvent non loin. Les premières torches humaines courent partout dans l’église en hurlant de douleur pour échapper aux flammes mais c’est impossible. Le feu leur colle à la peau.
L’odeur de chair brûlée embaume ses narines et réveille ses sens. Le craquement au-dessus de sa tête l’avertie de la chute imminente du reste de la charpente.
Le bas de sa robe et de son châle s’embrasent également. Il faut qu’elle sorte au plus vite. La chaleur des flammes se fait plus vive. Elle commence à brûler, elle aussi.
Il ne reste plus grand monde de vivant. Soit ils ont été brûlés vifs, soit ils ont été étouffés par l’épaisse fumée causée par l’incendie.
Maintenant.
Elle se rue comme elle peut vers la sortie mais la poignée lui échappe de la main et la porte s’ouvre. Son frère se tient devant elle. Elle l’interroge du regard.
— Je me suis occupé d’eux. Je n’allais quand même pas te laisser là-dedans, répondit-il en désignant l’église.
Tandis qu’il l’entoure de sa grande veste pour étouffer les flammes, elle regarde autour d’elle. Les cadavres des policiers et des villageois ayant participé au massacre jonchent le sol. Elle ne réagit pas, sonnée par la douleur.
Il la soulève pour la soulager et la ramener à leur domicile. Il la déshabille et l’installe dans la baignoire, puis, il quitte la pièce. Elle l’entend vaguement descendre les escaliers et sortir de la maison. Puis, un cri féminin. Un deuxième. Il revient ensuite à elle et un doux liquide chaud l’enveloppe. Cette odeur si familière lui remplit les narines. Elle sourit faiblement. Elle ne va pas mourir.
Elle n’a, à ce moment-là, aucune idée que ce geste va devenir légendaire.