Vendredi 14 mars, 17h21. Le dos et la queue du Diable s’agitent sur une femme dont ne dépassent que les pieds et les bras comme des colliers de chair autour de son cou, un amas de cheveux d’or enroulé autour de ses cornes. On entend le Diable haleter et la femme soupirer. TILITILILITTTTT… La sonnerie éjecte le Diable du fantasme dans lequel il était en train de se complaire. Il enroule le drap autour de sa taille tout en saisissant son iPhone d’une patte.
LE DIABLE
Allô ? Vous encore ! Rien ne vous arrête vraiment ! Vous ne voyez pas que je suis occupé ?
(Il halète encore un peu et appuie sur le bouton de la télécommande pour mettre le film qu’il était en train de regarder sur pause.) Et qui vous a donné mon numéro ?
J’ai oublié notre rendez-vous ? Quel rendez-vous ? Avec qui ? Impossible, je suis dans un autre rendez-vous beaucoup plus important !
Vous êtes sûre ? Sachez que je note toujours très exactement mes… Pardon ? Ah, vous aussi ? Soit, je vais vérifier quand même. (Il trifouille son iPhone.) On est bien mercredi aujourd’hui ? Vendredi ? Déjà ? C’est du pareil au même et… Non, aujourd’hui, il y a seulement écrit… Eliz… Errrr… Vous avez raison. Ce n’est pas grave, je vais fermer un œil. Sur quoi ? Ben sur le fait que vous m’avez dérangé en plein, en plein euh… travail.
Vous préférez peut-être me rejoindre. (Il tapote le lit.) Comme ça je n’aurai pas besoin de me rhab… Si je voulais dire reporter ? Non, non, c’est bon, j’ai congédié mon autre rendez-vous pour vous. (Il jette un coup d’œil de regret à la blonde sur l’écran.) Ah, dans ce cas, on peut faire la session par téléphone ? Oui, pourquoi pas. Comme ça je peux rester au pieu… au pieud, pied levé, pardon, oui merci. (Il attrape la télécommande. Le film se remet en marche sur la blonde qui pousse un cri et le Diable se met à parler très fort en appuyant frénétiquement sur le bouton du volume.)
Ce n’est rien, c’est juste une souris. Je lui ai marché sur la queue sans faire exprès. (Il baisse le son et soupire en regardant la blonde se lever et partir vers le bar, nue.). Euh, on en était ? Ah, vous venez de m’envoyer une invitation ? Si, si, je suis tout ouïe, je vous assure. (La blonde attrape un pic à glace et commence à piler rageusement la glace autour d’elle.) Quel bruit ? Non, ce n’est rien, juste des ouvriers qui… Attendez, je vais leur dire de cesser tout de suite ! (Il coupe le son et regarde les fesses de la blonde qui continuent à bouger en silence au rythme du pic sur la glace) ARRÊTEZ CE RAFFUT ! Ça y est, et nous en étions ? Vous appréciez que j’accepte de partager mon intimité avec vous… Mais de rien de rien, j’en suis ravi. Vous ouvrir à moi de la sorte… Ça me donne des idées. (Il rappuie d’un air distrait sur la télécommande et le son se remet en marche). Ces ouvriers sont infernaux, décidément. Je… Non, non, tout va bien, continuons. (Le Diable attrape une paire de menottes à côté de son lit à baldaquin et commence à jouer avec.)
Je transfère ma frustration ? MOI ? C’est possible, mais ils n’ont qu’à moins faire de bruit, ces abrutis d’ouvriers ! Pas sur… Mais sur qui alors ? Vous êtes jalouse c’est tout. Vous êtes comme toutes les autres. Vous souhaiteriez l’exclusivité avec moi. Je vous signale que j’ai l’embarras du choix et que vous n’en faites pas partie ! (Le Diable appuie sur un bouton, le film fait place à la médiathèque érotique.)
Je pousse un peu loin ? C’est vous qui essayez de me pousser dans les orties, mémé ! Ça crève les yeux que je ne suis pas frustré, sinon je n’aurais pas autant de relations épanouissantes. (Le Diable zappe d’une paire de seins à une paire de fesses à…) Et si j’étais frustré, je jetterais plutôt mon dévolu sur… sur… sur… (Il hésite avant d’appuyer sur deux jolies demoiselles en tenues d’infirmières.) une ou deux jeunes filles de la moitié de mon âge plutôt que sur une vieille peau comme… Pardon ?
Ce doit être FRUSTRANT ? N’importe quoi ! Comme si j’étais assez pervers pour vouloir de vous dans mon lit. Je sais parfaitement bien que notre relation est purement contractuelle. Eh bien expliquez-moi plus en détail si ce n’est pas ce que vous avez voulez dire, Madame la Prude. Non, pas du tout, enfin, oui, non, si, si, je suis juste un peu agacé que vous m’ayez interrompu en plein… en plein travail !
Ce n’est pas votre impression ? Eh bien laissez-moi vous dire ce que j’en pense de vos impressions. Je crois que vous prenez vos désirs pour des réalités, voilà la vérité ! (Il sort un soutien-gorge rouge d’un tiroir et le renifle.) Ce n’est pas grave. Ce qui est bien avec les séances téléphoniques c’est que ça crée une juste distance. Vous pouvez vous confier à moi sans crainte d’être jugée, vous pouvez tout me dire. Je suis très ouvert d’esprit et aussi en matière de relations. Nous pourrions par exemple… (Il fait cliqueter les menottes.)
Un peu de retenue serait la bienvenue ? « Retenue » ? Ah je vois ce que vous voulez dire, coquine… Non, c’est bon, ne vous retenez surtout pas pour moi. (Il se passe une menotte autour du poignet et l’autre autour d’une colonne du lit.) Il fallait bien qu’on parle de libido un jour ou l’autre. Enfin, de la vôtre surtout parce que de mon côté tout va bien, je vous remercie. Ou peut-être avez-vous peur de vous ouvrir à moi ? Vous voyez ce que je veux dire ?
Très bien même ? Vous êtes dotée de plus d’imagination que je… Oh vous n’avez pas besoin d’imagination, hummm… car… car… vous avez tout vu ? QUOI ? Quelle caméra ? Non, Madame, je n’ai jamais accepté votre invitation FaceTime !!!
Le Diable se précipite pour éteindre son iPhone en oubliant qu’il s’est menotté au lit qui cède dans un fracas de bois qui casse et de drapés qui se déchirent.