Beta

Notes de l’auteur : Après  réflexion (et cette idée qui m'obsède depuis un moment) je me lance dans un second jet. Jet qui clos définitivement ce dyptique amoureux. 
  

C’est arrivé un beau jour. Je me suis réveillé ainsi. Avec la certitude de m’être fourvoyé toutes ces années durant, sans vraiment me souvenir de ce que j’y avait fait.

J’étais neuf. Doté d’une toute nouvelle mémoire, celle d’un traqueur. Celle d’un tueur. Je devais exécuter ma propre justice.

J'enchaînais les contrats, sans jamais rien ressentir. Ni haine, ni pitié, ni compassion. Rien. Un vide sidéral à la place du coeur. Pratique dans mon métier. Utile contre les cas de conscience et les crises de remord.Puis un jour…

D’humeur plus joueur, je laisse à ma nouvelle proie le fol espoir de s’en sortir. Son désespoir au moment de mourir en sera plus jouissif. Je le file dans les rues désertes et devine son trajet, sa destination. Le parc départemental. Je m’y promène parfois, les jours libres, profitant de cette arborescence de couleurs. Un vrai plaisir pour l’oeil. Mais le parc est le lieu de prédilection pour se débarrasser d’un corps. Enfantin.

Je le course, entendant sa respiration saccadée siffler dans ses poumons, m’indiquant que la course s’apprête à prendre fin. Une excitation gazouille au creux de mon ventre. J’ai hâte.

Je n’ai pas prévu de témoins, et pourtant...

Un regard d’une fraction de seconde. Un millième de seconde durant lequel elle ne peut voir mon visage nettement. Néanmoins, je sens son âme transcender la mienne. J’en suffoque. Que se passe t-il au fond de moi ? Mon coeur me serre à en étouffer. Les larmes me montent aux yeux inexplicablement. Je ravale mes émotions.

Elle est la prochaine…

D’abord parce qu’elle m’a quand même vu, mais en plus pour avoir usé de sorcellerie.

Je rattrape ma proie initiale, décidé à en finir avec elle. J’ai perdu tout goût de jouer. Dommage, je m’amusais bien jusqu’ici. C’est une punition expéditive, sans aucun plaisir de l’achever. Néanmoins, il m’est impossible de la laisser en vie. La charité et moi…

Une fois le cadavre en lieu sûr, je reviens sur mes pas, et la vois, là, immobile. Parfaitement immobile. Les cheveux au vent, la peau frissonnante malgré les rayons de soleil. Un état de grâce. Je ne peux la quitter des yeux, tandis que les siens semblent perdus dans une incompréhension totale. Qu’a t-elle découvert durant mon absence ? Son regard est insondable.

Je n’ai jamais vu une telle beauté, et je la regarde s’éloigner.

Je la suis de loin, et je l’observe vaquer à ses occupations, sans vraiment se rendre compte de ma présence, et moi, sans vraiment me cacher. Au contraire ! Je cherche son attention. Pourquoi ? Et… me remarque t-elle ?

Je la piste toute la journée, jusqu’à ce qu’elle rentre chez elle, à la nuit tombée.

Elle a compris… Elle sait qu’en croisant ma route, elle ne rencontrera que la Mort. C’est la seule issue possible, la seule raisonnable.

Le froid mord ma peau sous mon costume sombre et une bruine infernale vole dans l’air, couvrant mon corps d’une pellicule humide. Les lumières filtrent à travers les fenêtres de la maison. Un lieu certainement chaleureux et douillet, où j’aurais aimé rentrer chaque soir. Vivre, l’aimer et lui faire l’amour dans la douceur des draps. Un lieu interdit pour les gens de mon espèce, mais que je m’apprête néanmoins à souiller de mes mains tâchées de sang. Le sang de toutes mes victimes.

Son ombre dansante se découpe de la lumière. Je m’approche à pas de loup avec cette sensation étrange qu’elle m’attend à bras ouvert. Je délire ! Je fantasme !

Mon revolver, calé contre mon flanc, me brûle. Que veut-il me faire comprendre ? Que j’obéisse à ma destinée ou que je tourne les talons ? Impossible ! Je ne pourrai jamais oublier ce visage angélique. Il restera gravé dans ma mémoire jusqu’à finir fou.

La brûlure devient de plus en plus insupportable. J’en perds la raison. Certainement. Et je grimpe avec agilité jusqu’à sa fenêtre ouverte. Elle me guette. La caresse des voilages sur mon visage apaise mon âme et mon coeur gonflés.

Elle est assise, drapée dans son peignoir de soie nacré. Ses longs cheveux humides collés le long de son visage, que je distingue dans le miroir face à elle.

Je ne quitte plus son regard, ni affolé, ni apeuré. Elle est parfaitement sereine. Elle paraît prête. Le pourrais-je seulement ?

Elle se retourne pour me faire face, doucement, et pour la première fois, notre distance ne dépasse pas le mètre cinquante. Un grain de sable.

Pourquoi me souris-tu ? Sais-tu au moins ce qui m’amène ? As-tu conscience de ce que je représente ? Le libérateur !

Oui, visiblement. Alors arrête-moi !

Mais qu’attends-tu ? Enfuis-toi ! Je t’en supplie ! Je ne veux pas te…

Elle se lève et s’approche. Je me tends. Notre proximité me dérange et mon coeur s’emballe encore. Pourquoi ? Ses yeux brillent de mille feux et son visage me remercie silencieusement. Non ! Non !

Je ne peux rien t’offrir d’autre sur la mort et la douleur ! Alors arrête avant qu’il soit trop tard !

Je dégaine. Je ne me suis même pas vu effectuer le geste. C’est tellement instinctif, c’est même primitif. Comprendra t-elle mon message ? Mon arme est une extension de mon âme. Je ne changerait jamais, c’est fini. Il aurait fallu que je la rencontre des années auparavant.

Je ressens des choses incompréhensibles qui créent des tempêtes dans les profondeurs de mon être. Je ne veux pas la tuer...

Que fais-tu ? Pourquoi tu continues ? Pourquoi tu me touches ? Non ! Arrête ! Stop !

Mon dieu ! Je me sens foudroyé lorsque ses doigts de fée ont attrapé ma main. C’est comme recevoir 10 000 volts. Toutes les parcelles de mon être vibrent comme jamais.

Oui… viens et ne me quitte plus !

Sa bouche entrouverte m’invite à la saisir. Je la prends tout entière. Sucrée comme une friandise et douce comme une fleur.

Oh oui Vie ! Inonde moi de tes bienfaits ! Je sais que trop bien que ça ne durera pas.

Plus fort ! Encore plus fort !

J’enrage de ne pas avoir connu ça plus tôt !

Mes yeux dans les siens, je capte toutes les nuances de bruns qui se reflètent. Un ocre profond, un brun écorce d’arbre qui me renvoi des images de forêt sauvage. C’est magnifique et je décèle toutes ses émotions. Mon apprentissage accéléré. Je l’aime, oui je l’aime !

Elle hoche légèrement de la tête, me donnant le signal que j’attends depuis le début. S’aggripant à moi, la détonation part. Ses iris se voilent, sa peau diaphane semble briller tandis que le sang coule à flot. J’embrasse une dernière fois ses lèvres vermeille avant de coucher cet ange dans son cercueil de soie aux senteurs de jasmin.

La Vie n’a pas de voix.

 
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