Je n’avais jamais songé à la mort jusqu’ aujourd’hui. C’était une idée abstraite, lointaine, et sans formes aucunes. Pas de visage ni de corps, une vague notion refoulée dans un coin de ma tête.Je ne peux plus en dire de même. Ce ne serait jamais arrivé si je n’étais pas restée plus que de raison à contempler ce superbe paysage, si je ne m’étais pas retournée au bruissement des feuilles, si je n’avais pas dévisagé la Mort. Pouvait-elle être si belle ?Dans peu de temps, je l’affronterai de nouveau pour une dernière fois, une ultime fois. Écrire à l’extérieur avait toujours été mon péché mignon, ma plus grande source d’inspiration. Mais aussi ma perte.
L’absence de voix humaines était reposante, seul le vent me chuchotait les mots, en me soufflant les encouragements nécessaires.Aujourd’hui fut un de ces jours productifs où j’avais noirci plus de pages qu’accoutumée et où je m’étais éternisée plus qu’il ne le fallait.La Mort ne fut qu’un courant d’air fugace, mais suffisamment perspicace pour comprendre que je l’avais vu. Un flot de cheveux jais, un iris de feu. Voilà tout ce que j’avais vu. Une fraction de secondes pendant lesquelles j’avais compris que mon tour serai le prochain. Et je me surpris à l’attendre, presque impatiemment.
Je fermai les yeux et ressentis le courant d'air dans ma nuque tandis que mes voilages se soulevèrent dans les airs tels des marionnettes, au gré de la brise. Le feu crépita à ma gauche laissant les ombres onduler sur mon visage. Je guettai sa venue, le cœur battant. Pourquoi tant d'impatience ? Avais-je autant envie de mourir ?
Le froissement de tissus alerta mes sens, Je vis son reflet dans le miroir ovale face à moi, sans avoir même remarqué qu'il fut entré. Il m'observa depuis l'ombre, silhouette fantomatique. Je me levai doucement pour ne pas le brusquer, dans jamais le quitter du regard. Ses yeux brillaient dans le noir comme les billes d'un chat. Un pas après l'autre, il passa de l'obscurité à la lumière et je pus enfin voir à quoi il ressemblait. Ses longues mèches de jais devant les yeux ne lui cachaient pas complètement les yeux mordorés, légèrement en amande. Il me scruta tel un rapace, cherchant à savoir pourquoi je n'essayai pas de m'enfuir. Il me dominait de deux têtes et son corps athlétique mettait en valeur son costume sombre. Je voyais la bosse sous sa poitrine et reconnus les contour d'un revolver. Je couvais des yeux les courbes de la crosse, devinais le cran de sûreté et le canon. Son but ne fut pas de me le dissimuler, au contraire. Il n’attendait qu'un signe pour dégainer. Je me rapprochai de lui et commençai à sentir son parfum musqué, enivrant comme une promesse de douceur. Cet homme était un dieu de la mort. Ma Mort en personne.
Un mètre a peine nous séparait maintenant. Je pris une grande inspiration et tandis doucement la main vers lui. Je voyais la finesse de son visage, et son regard perçant s'était changé en réelle curiosité. Avais-je vraiment déstabilisé mon invité ? Je perçus un léger tremblement de son corps, mes doigts le toucha presque quand il dégaina son arme. Presque comme le prolongement de son bras, j'eus l'impression que cela lui permis de maintenir une distance de sécurité. Je ne m'arrêtai pas pour si peu. Je glissai mes doigts le long du tube argenté pour l'atteindre. Il tressaillit. Ma main sur la sienne, je lui souris. Son arme contre mon coeur, nous nous affrontâmes dans un duel de regard que je sus perdu d’avance. Son bras se replia de lui-même quand j’avançai d’un pas. Son souffle caressa mon visage, un dernier pas nous sépara, puis je fus contre lui. Je ressentis toute la chaleur de son corps, son désir aussi. L’arme, toujours en pression contre mon coeur me lançait des piques de douleurs, mais ce n’était rien comparé à l’euphorie que je sentais. Jamais je n’aurai cru pouvoir ressentir ça un jour. Ma vie, jusqu’à maintenant, était vide, et je remplissais sur les pages de mes manuscrits tout ce que j’espérais profondément. Plus que jamais, je me sentis vivante. Je glissai ma main dans sa nuque et approchai mon visage du sien. Nos bouches s’unirent, sensuelles et langoureuses. Son corps n’était que violence mais sa bouche ! Ses lèvres ! Un paradis... Je sentis la caresse de sa langue brûlante, il happa mes lèvres entre les siennes. Et son regard or ne me quitta plus. Notre étreinte s’intensifia pour en devenir presque bestiale. Sa main libre attrapa l’arrière de ma tête maintenant parfaitement la pression de nos deux bouches. Une larme coula sur sa joue, glissa sur la mienne. Je compris.La douleur explosa dans mon coeur, le brisa en mille morceaux.La Mort n’avait pas de voix.