Bivouac

Margod désigna de la main le mont Osmana. Zéphyr en avait en tendu parler, mais il ne savait pas à quoi il ressemblait. Une pente abrupte le détachait du ciel sur leur gauche. Le haut paraissait tronqué, et sur la droite se dessinait une pente plus faible, s’étalant loin vers le sud. Le versant par lequel Margod voulait les faire passer semblait aussi monter en pente douce.

— Il faut suivre les touffes de perce-neige, si vous laissez vos yeux vagabonder, en les suivant, vous verrez qu’elles forment un sentier discret. Baba la Blanche vit quelque part le long du chemin. Si je me souviens bien, il faut monter aux deux tiers de la pente pour tomber sur l’entrée de son antre. Je l’ai lu dans les grimoires de la bibliothèque d’Hector. Mais d’après les textes, elle ne laisse entrer que ceux qu’elle choisit.

— Très bien, Margod, continuons donc, le soleil est de plus en plus bas, je crains que nous ne devions passer la nuit sur le flanc de la montagne.

Les zèbres trottaient en humant l’air, eux aussi appréciaient l’odeur suave des fleurs blanches au cœur vert. Mais Sliman et Carambole se faisaient discrets, ils avançaient, têtes basses, un peu en arrière de la troupe. Sliman avait les traits tirés. Se sentaient-ils coupables de la tentative d’enlèvement de Morgan ? Pourtant, ils avaient, comme les autres, fait le plus possible attention en traversant ce pont. On ne pouvait pas leur en tenir rigueur pour ce qu’il s’était passé. Kaëlig était pour sûr à l’affût, prête à se venger de l’affront qu’ils avaient osé lui faire au début de leur voyage. Cette nymphe des bois était d’une nature belliqueuse et revancharde, Hywel la méprisait aussi pour cela. La haine et la colère d’Hywel envers sa mère Koliana entretenaient ce penchant de Kaëlig pour les conflits et les coups bas. Toute occasion de faire enrager Hywel était bonne à prendre. Mais Zéphyr ne comprenait pas pourquoi elle s’en était prise à Morgan, un humain. Qu’avait-elle à y gagner ? Pourquoi n’avait-elle pas plutôt tenté de prendre l’un d’entre eux ? Ceci restait un mystère. Sortant de ses pensées, Zéphyr regarda droit devant lui et réalisa qu’ils avaient bien avancé. Le coucher de soleil derrière la montagne était somptueux. L’astre n’était plus visible lui-même, seul un halo orangé dépassait, les tons de rouges, roses et violets se mêlaient entre les longs nuages s’étirant sur tout l’horizon.

— Mes amis, arrêtons-nous là pour la nuit, nous reprendrons, la route aux premières heures du jour.

Ils firent quelques pas de plus pour s’installer entre deux grosses touffes de perce-neige. Tewenn et Ergad s’occupèrent de transporter quelques grosses pierres pour former les bases des futurs abris. Tewenn usait de son pouvoir pour faire sortir les pierres de sous la neige et le colosse les récupérait pour les disposer en cercle. Pendant qu’ils s’attelaient à leur tâche avec application, Erin, Sliman et Zéphyr déployèrent les toiles qui formeraient les deux dômes. Légères comme des cocons de papillons, pliées et enroulées dans leurs sacs, elles ne prenaient que très peu de place. Mais une fois déroulées et installées, elles pouvaient tous les abriter en s’assemblant les unes aux autres. Leur texture devenait alors rigide, à l’épreuve du vent et des précipitations, un grand bâton au milieu soulevait l’ensemble. Leur base était maintenue par les grosses pierres. Deux dômes furent construits, l’un abritait Erin, Margod et Elysandre, l’autre plus grand, le reste de la troupe. Les zèbres Ensi s’étaient installés juste à côté les uns contre les autres, au bord du sentier. Tewenn fit sortir encore quelques pierres plus petites pour fabriquer les deux foyers. Sliman se proposa pour préparer le repas. Il semblait très soucieux de se faire pardonner bien qu’il ne soit pour rien dans l’affaire du pont Ardent. Elysandre montra un peu de curiosité et vint l’aider en apportant quelques brindilles et petites branches pour le feu. Zéphyr l’observait, fasciné. Margod lui avait prêté une grande tunique noire et chaude, ceinte d’une ceinture large en mailles. Un pantalon et des chaussures d’Erin complétaient la tenue. Le châle qu’elle avait reçu plus tôt lui couvrait la tête et les épaules. Mis à part la couleur de sa peau, elle avait un peu la même allure qu’Erin, mais plus grande d’une demi-tête. Il souriait en la regardant.

— À table ! annonça Sliman à la cantonade.

Une bonne soupe fumante attendait dans la petite marmite posée sur le foyer. Tout autour des petites boules de pain finissaient de cuire. Elysandre distribua les bols au fur et à mesure que Sliman les remplissait. Elle avait un air absent. Une fois le service fini, elle vint s’asseoir à côté de Zéphyr. Sliman attrapa avec sa pince les petits pains et les déposa sur la pierre à côté du feu. Ergad se jeta dessus le premier et se brûla les doigts.

— Gros malin ! s’esclaffa Sliman, tu vois bien que je viens de les sortir du feu ! 

— Je vais en faire de la charpie de ce nabot ! s’énerva le géant aux cheveux blancs en s’approchant, tout courbé, vers Sliman qui riait de toutes ses dents.

— Ça suffit tous les deux ! Sliman, je suis heureux de voir que tu as retrouvé le sourire, mais n’en rajoute pas. Et toi, Ergad, détends-toi, tu t’es jeté dessus comme un Nergaléen affamé sans réfléchir. Assume, l’interrompit Zéphyr.

Erin et Margod pouffaient derrière leurs bols de soupe. Tewenn aussi se bidonnait en arrière de son compère. Même Elysandre et Morgan ne purent s’empêcher de sourire devant ce spectacle. Le colosse se rassit, et mangea le reste de son repas en bougonnant. Margod et Erin discutaient entre elles, tour à tour souriantes, incrédules, sérieuses. Elles parlaient grimoire de magie et pouvoir des plantes. Tewenn massait le dos de son ami pour le détendre. Sliman avait distribué les petits pains tiédis. Ils étaient très bons, parfumés à la racine de manïan. Elysandre approcha le pain de son nez, en croqua un morceau et sourit jusqu’aux oreilles.

— Qu’est-ce que c’est bon ! Ils sont à quoi, ces petits pains ? demanda-t-elle, curieuse.

— Ils sont à la racine de manïan, j’ai appris cette recette par mon oncle. Ils sont faciles et rapides à faire, le manïan se conserve des années une fois séché. Il n’y a plus qu’à l’humidifier pour qu’il reprenne son poids et ses qualités originelles. J’en emporte toujours quand je pars en promenade ou en voyage. Ça et un petit sac de farine de châtaignes sauvages.

Morgan observait leurs nouveaux amis. La peau bleutée de ces derniers l’émerveillait, ils ressemblaient à des elfes avec leurs oreilles pointues, mais implantées assez haut. Ils étaient pourtant différents de ces derniers. Tous n’étaient pas filiformes, et n’étaient pas tous d’une grande beauté comme dans la plupart des romans et films qu’il avait pu lire et voir. Ils avaient en commun un nez un peu épaté et presque crochu au bout malgré la grande finesse de leurs autres traits. Il fut interrompu dans ses pensées par le tintement cristallin d’une clochette, puis une voix s’éleva de dehors.

— Bonsoir ! Que me vaut l’honneur de votre visite, Nergaléens ? Accompagnés d’humains qui plus est ? demanda la voix nasillarde derrière la paroi de leur tente.

Ils sursautèrent tous au son de cette voix inattendue.

— Ne soyez pas surpris de ma présence, alors que vous êtes venus ici même pour me rencontrer ! s’esclaffa-t-elle. Je suis votre hôtesse, Baba la Blanche, sorcière, à mes heures perdues. Sortez donc ! Que l’on puisse faire connaissance, ajouta-t-elle un grand sourire aux lèvres.

Ils émergèrent les uns après les autres du dôme, en affichant chacun à leur tour une expression incrédule, face au spectacle qui se jouait devant eux.

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