Baba la blanche

Ils restèrent interdits devant le spectacle qui s’offrait à eux, la neige avait disparu, les perce-neige aussi. À leurs pieds s’étendait à perte de vue un magnifique champ de fleurs bleues et odorantes, des jacinthes des bois. Une petite maison au toit de chaume se dressait sur leur droite à quelques pas. Le mont Osmana était toujours là, mais recouvert d’azur. Plus une touche de poudreuse. Les zèbres avaient disparu. Une femme entre deux âges les observait tout sourire, habillée d’une longue tunique vaporeuse d’un vert éclatant, contrastant avec son interminable chevelure blanche ondulée. Elle portait un petit diadème en bois ouvragé décoré de perles de citrine. Elle avait la peau d’un bleu très pâle, diaphane, peut-être un métissage avec un ou une Nergaléenne et de grands yeux pers hypnotiques. On ne voyait pas la forme de ses oreilles, cachées par ses lourdes boucles immaculées.

— Alors ? Que me vaut l’honneur de votre visite ? demanda-t-elle en les désignant de la main. Je vois deux humains parmi vous, ce n’est pas anodin, aussi vous ai-je accordé le passage.

Elysandre se cachait derrière Zéphyr, elle lui serrait la main, tremblante.

— Bonjour, Baba la Blanche ! Je suis Sliman, pour vous servir, fanfaronna le trublion. Voici notre chef d’expédition, Zéphyr, et derrière lui Elysandre, l’humaine que vous avez sentie ainsi que son frère jumeau Morgan. Et là, ajouta-t-il en la désignant de la main, c’est Margod qui nous a parlé de vous et qui pense que vous allez pouvoir nous aider dans nos recherches et pour nous défendre de la belliqueuse Kaëlig...

— Sliman, merci pour les présentations, l'arrêta Zéphyr, mais je vais reprendre les explications depuis le début si ça ne te gêne pas.

— Je t’écoute Zéphyr, lui sourit Baba tout en observant avec bienveillance Sliman faire quelques cabrioles comme à son habitude.

Il semblait tout à coup de nouveau très enjoué et jovial, comme si l’atmosphère régnante lui donnait une nouvelle énergie.

— Bonjour, Baba la Blanche ! Tout d’abord, merci de nous avoir ouvert le chemin jusqu’à vous, commença-t-il avec déférence. Comme le disait Sliman, c’est notre amie Margod qui nous a soufflé l’idée de venir vous voir. Selon ce qu’elle a lu dans les ouvrages de la grande bibliothèque d’Hector, vous pourriez peut-être nous aider.

La sorcière observa un court instant Margod puis s’adressa à Zéphyr.

— Ah ! Ah ! Ce vieil escargot, comment va-t-il ? s’exclama Baba. Toujours à traîner sa coquille ? Il y a longtemps que je ne suis allée lui rendre visite, au moins un quart de siècle, soupira-t-elle, une moue indéchiffrable sur le visage.

— Hector semble bien aller, Baba. Puis-je vous exposer notre requête ?

— Oui, bien sûr, je suis tout ouïe, sourit-elle.

— Nous sommes partis en mission pour Hywel, il y a quelques jours. En chemin, nous avons découvert ces deux jeunes humains dans la cascade des Brumes. Nous avons décidé de les aider à retourner chez les humains en les présentant à notre nymphe protectrice. Mais nous avons croisé le chemin de Kaëlig et celle-ci a tenté d’enlever Morgan, expliqua Zéphyr en désignant le jeune homme de la main.

— Je vois ! siffla et cracha Baba.

La sorcière marqua un silence. Elle observa Elysandre, Morgan, puis Sliman, et sourit de nouveau en apercevant son lynx revenir de la chasse un trophée dans la gueule.

— Te voilà mon bon ami, dit-elle en lui caressant avec affection la tête. Nous avons des invités, tâche de ne pas les effrayer ou les importuner.

L’animal émit une sorte de ronronnement guttural en réponse, puis alla s’installer sur la branche maîtresse d’un chêne centenaire.

Baba, qui avait retiré le lapin de la gueule de son compagnon, se tourna vers ses hôtes.

— Venez, entrez dans mon humble demeure. Nous allons discuter de tout cela devant un bon thé, leur intima-t-elle radoucie.

Ils la suivirent sur le chemin de pierres plates jusqu’à l’entrée de la maison, Ergad fermait la marche, le visage renfrogné. Il craignait de ne pas pouvoir passer la porte basse et étroite de la chaumière. Les pans vaporeux de la robe verte de la sorcière voletaient autour de ses chevilles. Morgan observait ses pieds nus, ornés de tatouages insolites et colorés.

Elysandre tenait toujours la main de Zéphyr un peu moins craintive qu’à l’apparition de Baba. Sa douce chaleur se propageait dans tout le corps de Zéphyr. Il se sentait prêt à soulever des montagnes pour elle, elle, qu’il ne connaissait que depuis quelques heures, une humaine de surcroît. L’étrangeté de leur rapport ne lui échappait pas, mais il n’en comprenait pas l’origine. Alors qu’il s’interrogeait sur ce qu’Elysandre pouvait elle-même ressentir, Baba ouvrit sa porte et leur fit signe d’entrer.

Zéphyr entra le premier, suivi d’Elysandre. Ses compagnons suivirent. Au tour d’Ergad l’ouverture s’agrandit d’elle-même sous l’œil suspicieux du colosse. Il franchit le seuil d’un pas buté. Aussitôt, la porte reprit sa taille initiale. Elysandre ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes devant ce charme. Cela fit rire Baba.

— Jeune humaine, il va falloir t’habituer à la magie et ses pouvoirs, ils sont monnaie courante dans notre monde, tu as déjà dû t’en rendre compte tout de même ? La maison d’une sorcière comme moi est enchantée, cela va de soi, ajouta-t-elle en la regardant avec chaleur.

Baba leur désigna une grande table ovale et les invita à s’asseoir. Elle s’éclipsa quelques instants et revint les bras chargés d’un grand plateau rempli de tasses et d’une grosse théière. Elle claqua des doigts trois fois et chacun se retrouva avec une tasse fumante devant lui. Elysandre sursauta encore ce qui fit pouffer Sliman dans son coin. Zéphyr lui lança un regard réprobateur.

— Maintenant que nous sommes bien installés, je vais vous poser quelques questions et si vous répondez juste je vous aiderai.

Zéphyr opina du chef, ses compagnons firent de même. Margod et Erin ne semblaient pas étonnées. Ergad et Tewenn paraissaient très surpris et un brin nerveux. Sliman souriait de toutes ses dents. Elysandre, assise à côté de Zéphyr, ne pipait mot. Son frère, morne et silencieux, regardait dans le vide. La sorcière entama son questionnaire.

— Ma première devinette : on l’entend chanter le matin, il symbolise la fierté pour certains, l’orgueil pour d’autres, les hommes le préfèrent jeune. Qui est-ce ?

Alors qu’ils réfléchissaient à la question, Elysandre souffla à l’oreille de Zéphyr :

— Je pense qu’il s’agit du coq.

— Très bien jeune fille, j’ai une excellente ouïe ! Aussi aurais-tu pu me répondre directement, mais j’accepte ta réponse tout de même.

Elysandre vira rouge pivoine, Baba lui sourit pourtant avec douceur.

— Ma deuxième question : de ses ailes les premiers ont hérité, la couleur bleue l’a enchanté, il a provoqué la colère de la dame du grand milieu, qui est-ce ?

Erin leva la main.

— Je pense qu’il s’agit de notre père à tous, Nergal.

— Oui jeune Nergaléenne, tu as raison.

Baba tapota trois fois la table, un plateau de pâtisseries apparut au centre de la table.

— Ma troisième et dernière devinette : de ses yeux multiples il vous suit, de ses griffes il peut vous arracher les yeux, son étrange beauté nous fascine, il est rare, mais s’il vous choisit comme compagnon, il vous sera fidèle et son ronronnement vous enchantera. Qui est-ce ?

Ils semblaient tous réfléchir, sauf Sliman qui trépignait sur sa chaise, un large sourire aux lèvres. Il leva la main et prit la parole.

— Je sais ! Je sais ! C’est un chat-paon, j’en ai vu une représentation dans les couloirs de la bibliothèque ! Il était magnifique, peint de dos le regard tourné vers le passé. Je rêve d’en croiser un en chair et en os un jour !

— Bravo, Sliman, tu as raison, il s’agissait bien du chat-paon. Un jour peut-être en croiseras-tu un, lui répondit-elle avec bienveillance. Maintenant, régalez-vous de mes pâtisseries. Je vais aller préparer de quoi vous aider à vous défendre de Kaëlig.

Ergad, à l’estomac toujours dans les talons, se jeta sur les pâtisseries le premier. Sliman le suivit de près. Les gâteaux formaient une petite montagne sur le grand plateau. Il y en avait de toutes sortes et de toutes les couleurs. Leurs odeurs, sucrées et épicées, étaient alléchantes. Zéphyr jeta son dévolu sur un serpentin tout blanc. Dès qu’il l’eut croqué, son goût anisé lui emplit la bouche. Succulent. Il en mangea un deuxième en forme d’étoile mauve. Sa texture fondante et son goût de violette lui plurent encore plus que le précédent. Baba était une pâtissière hors pair. Ils étaient ravis de goûter ces merveilles. Tous souriaient, détendus. Son thé à la bergamote se mariait à la perfection au festin.

Elysandre vit la sorcière revenir dans la pièce, les bras chargés. Elle passa un talisman autour du cou de son frère. Il était fait de petites plumes fichées dans une pierre triangulaire opalescente, retenue par un lacet de cuir noir.

— Garde-le précieusement, mon petit, il te protégera de cette folle furieuse de Kaëlig.

Baba se tourna vers le reste du groupe, faisant tourbillonner sa robe verte au passage.

— Je vois que vous appréciez mes pâtisseries, dit-elle en souriant d’un air entendu. Il se fait tard, la nuit est déjà bien avancée de l’autre côté. Je vais faire vite. Voici plusieurs potions et quelques armes pour vous battre contre Kaëlig. Cette fiole au bouchon blanc contient un filtre aveuglant. Celle-ci avec le bouchon noir renferme un filtre assourdissant, pour l’utiliser vous devez la lancer aux pieds de votre adversaire. Ce sachet est rempli de guimauves bleues en forme d’oreille de lutin des bois de Loch, ils contiennent un puissant somnifère. Il vous servira pour neutraliser les phacochères rougeoyants. Je vous donne aussi un carquois de flèches enduites de baume paralysant. Cette pelote est un filet magique. Dans cette capsule se trouve un antidote au charme de Kaëlig que vous devrez administrer au jeune homme si jamais elle réussit à l’enlever malgré le talisman que je viens de lui passer autour du cou. Il y a encore deux ou trois fioles étiquetées dans cette besace. Vous les utiliserez en cas de besoin. Je suivrai votre progression jusque chez vous avec mon pendule, afin d’être sûre qu’il ne vous arrive rien de fâcheux.

— Je vous remercie pour votre aide précieuse, Baba la Blanche. Ma reconnaissance vous est acquise désormais, ajouta Zéphyr.

— J’y compte bien, jeune Zéphyr, tu me rendras la pareille un jour, lança-t-elle en souriant. Sur ce, permettez-moi de vous raccompagner au passage. Vous pouvez emporter le reste des gâteaux, ils se conservent très longtemps dans cette boîte métallique.

Ils la suivirent jusque dehors. Elle étendit les bras vers le ciel, prononça quelques mots dans un jargon connu d’elle seule. Ils clignèrent des yeux devant l’éclair de lumière qui en jaillit. L’instant d’après, ils avaient les pieds dans la neige. Il faisait nuit noire. Les zèbres étaient toujours là, ils dormaient imperturbables. Les compagnons rentrèrent vite dans leurs tentes respectives. Il leur fallait dormir quelques heures avant de repartir.

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