Black-out

Dans le commissariat, il était une petite pièce blanche et grise, remplie d’un lourd bureau et d’un gros monsieur. Des papiers étaient punaisés aux murs. Tout était propre et trop correct. Habituées à la poussière et au débarras, les jeunes filles fixaient leurs chaussures pour l’une sans lacets, pour l’autre sans semelles.

Le gros monsieur parlait sèchement. Les mots étaient d’une rondeur de bulle et s’écrasaient au plafond. Lyre et Chrysalide ne levaient pas la tête.

— Vous avez émis une pensée grave. Très grave. Vous allez être placées sous surveillance dans une cellule individuelle. Vous êtes trop pauvres, je pense, pour qu’un procès soit financé. Mais votre pensée est grave et sera prise en compte, croyez-moi.

Il claqua la langue et tourna sur son siège à roulettes :

— Un dossier sera fait à votre nom. Comme l’ai-je dit, pas de procès. Et une mise en cellule de quelques jours, pas plus. Votre cas sera traité pendant la détention. Après quoi, vous serez probablement réhabilitées.

Le monsieur marqua de sa salive un bloc de feuilles, les cogna sur la table pour qu’il soit bien droit, sans débordement.

— Réhabilitées ? Qu’est-ce que cela signifie ? murmura Chrysalide.

Il l’entendit :

— Réintégrées à la société, si vous préférez. Et pour que cette réintégration soit possible, quelques détails devront être pris en compte. Vous serez sûrement sous traitement. Mais en attendant…

Il n’acheva pas sa phrase. Les mots esseulés et vaporeux se glissèrent dans l’air propret, puis s’immobilisèrent dans une flottaison, dans la lévitation de leur inachèvement. Les jeunes filles attendirent, en vain. Impassible, leur interlocuteur triturait un stylo au bruit agaçant. Clicliclic. Un malaise s’installa, Lyre et Chrysalide se guignèrent et hésitèrent à joindre leurs mains.

— Ne faites pas ça, les prévint le policier.

— Ah…

Le silence revint, insupportable. Martelé par les clicliclic du stylographe. Décourageant.

— Écoutez… fit Lyre d’une voix empâtée de salive. Je ne comprends pas la raison de notre arrestation. Les événements me dépassent, ce silence me dépasse, j’aimerais des explications. C’est vrai qu’avec mon amie, on est assez mécontentes du système établi. (Elle choisissait méticuleusement ses mots :) Plusieurs choses nous dérangent. Mais nous arrêter pour ça, est-ce nécessaire ? Nous mettre en détention, est-ce nécessaire ? Ce n’est pas ça qui va nous faire changer d’avis. Et si on ne peut même plus penser par soi-même, des fois…

En parlant, Lyre était embarrassée à n’en plus finir. Elle suait abondamment. Chrysalide baissait de plus en plus les yeux, elle se demandait où allait les mener tout ce culot. Bonne nouvelle, le monsieur ne semblait absolument pas scandalisé par ces propos. Il tourna sur son siège à roulettes :

— Mademoiselle, n’allez pas sur une pente glissante. D’ailleurs, vous êtes hors-sujet.

— Euh, comment ça ?

— Ce n’est pas pour votre « mécontentement », comme vous dites, que vous êtes détenues. C’est pour votre, votre…

Le mot le gênait manifestement. Il en choisit un autre :

— Pour votre proximité suspecte.

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