Bloody Mary 6

Par Dédé

 

Walnut Grove – 30 octobre 2012

 

— Il est où, Steve ?

Justin était revenu dehors, avec les autres. Le teint blême, il était au bord de l'évanouissement. Ce qu'il avait vu... C'était impossible... Seule Amanda essaya de le retenir. Will était trop occupé à râler : elle avait réussi à le faire rester malgré son intuition qui l'intimait de fuir au plus vite. Quant à Darlene, elle était toujours recroquevillée sur elle-même, dans un coin.

— Je... Je...

Voyant qu'elle n'obtiendrait aucune réponse de la part du garçon, elle rentra à l'intérieur :

— Will, tu veux bien venir avec moi, s'il te plaît ?

Comme s'il avait le choix... Il avait bien compris que s'il voulait passer la nuit avec la jeune femme, il devait céder à ses moindres caprices. Même si ceux-ci s'avéraient dangereux au possible. Rien qu'en mettant un pied dans la demeure, tout son corps trembla d'un frisson indescriptible. Une forte odeur désagréable emplissait l'air. La lumière faiblissait de minute en minute en émettant des grésillements étranges.

— Steve ! Steve ! hurla Amanda.

Aucune réponse. Personne dans le hall d'entrée. Ni même dans le salon dont l'angoisse émanait des nombreux tableaux sombres représentant diverses personnes folles de rage. Les deux amants entendirent comme un bruit de tonnerre. Les grésillements s'amplifièrent. L'obscurité dévorait progressivement toute la maison. Will ignorait ce qui l'effrayait le plus : le silence des débuts ou tous ces bruits étranges et angoissants.

— Je rêve ou tu flippes ? le nargua Amanda.

— Tu flippes pas, toi, peut-être ? se défendit Will.

— Pas le moins du monde.

— «Will, tu veux bien venir avec moi ?», l'imita-t-il d'une voix aiguë.

— Tu m'imites très mal...

Le silence s'empara de la pièce. La lumière continua de lutter entre lumière et ténèbres. Un grand vent emplit le salon. Certains tableaux en profitèrent pour s'effondrer au sol. Will eut l'impression d'avoir entendu comme l'écho d'un rire qui lui glaça le sang.

— Sans doute un courant d'air, expliqua Amanda. Avec ces conneries, on a toujours pas mis la main sur Steve. Allez !

L'étudiant se rendit compte du ridicule de la situation : il était dans une espèce de maison hantée en compagnie de la fille de ses rêves, à la recherche d'un rival potentiel. Il faudrait être fou pour se laisser entraîner dans pareille situation...

Alors qu'ils approchaient de la porte donnant sur une autre pièce, un cri aigu retentit et toutes les portes claquèrent avec fracas. Le vent souffla à nouveau. Will aperçut pourtant, par la fenêtre, les quelques arbres au loin, encore immobiles malgré le vent à l'intérieur. Cet air violent ne venait pas de dehors... Il eut un sursaut d'effroi, ce qui lui valut une autre remarque de la jeune femme :

— Un peu de vent et tu te ferais presque pipi dessus ? C'est pas très viril tout ça...

Malgré la beauté d'Amanda, en dépit de tout le désir qu'il éprouvait pour elle, il était à deux doigts de la remettre à sa place. Il savait que s'il disait quoi que ce soit, leur relation se terminerait. Il n'était pas parfait lui non plus. Il lui avait menti à plusieurs reprises sans le moindre scrupule. La connaissant, la sentence serait irrévocable. De fait, il préféra s'abstenir de répondre.

Will avait craint d'être enfermé. La porte s'ouvrit sans mal. Les grésillements furent de retour. Cette fois-ci, ils s'accompagnèrent d'un air macabre, joué au piano.

— Cet abruti de Steve sait jouer du piano ? demanda Will.

— Qu'est-ce que j'en sais, moi...

— Ah ! Oui... J'oubliais... Ce n'est pas le genre d'infos qui t'intéresse chez un mec..

Amanda se montra vexée par la remarque.

— Parce que si ce con s'amuse au piano, on va bien vite le retrouver. Il suffit de suivre la musique. On se barre d'ici, et on en parle plus.

Son amant ne regretta aucun de ses propres, ni même le ton sec employé. Il avait juste envie d'en finir avec cette recherche stupide, pour sortir de la maison et rentrer chez lui. Il n'avait toujours pas digéré le guet-apens qu'elle lui avait tendu. Se retrouver dans un tel endroit avec Darlene et les deux ahuris... Il ne pouvait pas tolérer cela. Tant pis si Amanda mettait un terme à leur relation. Il aurait dû s'écouter dès le début. Ne pas boire les paroles de son amie. Ils ne passeraient pas la plus torride des nuits en cet endroit. Il ne trouvait rien d'excitant dans cette ambiance, même avec tout l'effort du monde.

La mélodie macabre se fit de plus en plus forte. Elle semblait venir de partout, et de nulle part à la fois. L'idée de Will de suivre la musique pour retrouver Steve tomba vite à l'eau.

— J'ai peur, avoua Amanda.

Will savait bien qu'une personne sensible se cachait derrière ce masque insupportable et perfide qu'elle affichait à longueur de temps. C'était à cause de ce masque que rien de sérieux et de durable n'était possible. À cause de son propre masque aussi. Celui du séducteur sans scrupules ni cœur.

— Non, je déconne ! reprit-elle. Mais tu aurais dû voir ta tête, c'était tordant !

Pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, Will vit Amanda autrement. En cet instant, il avait cessé de la voir comme la femme qu'il désirait plus que tout. Elle était vicieuse, méchante. Elle n'avait aucun respect pour lui, ni pour personne. Il n'était qu'un pion avec qui elle s'amusait quand elle n'avait rien de mieux sous la main. Will avait toujours choisi ses conquêtes sur le physique. Amanda n'en faisait pas exception. Mais là, elle lui demandait d'accepter trop de choses. De renoncer à sa fierté, son amour propre. Il n'en pouvait plus de son comportement :

— Tu fais ce que tu veux mais je retourne dehors. Je me casse. J'aurais dû le faire depuis le début.

— Si tu fais ça, tu sais que toi et moi... ce sera fini.

— Amen !

Par fierté, Amanda ne tint pas compte du départ de son ami. Will disparut rapidement de son champ de vision.

 

***

 

Amanda continua ses recherches. En quittant le salon, elle rejoignit la chambre à coucher. L'air macabre s'arrêta quelques secondes afin de jouer des notes encore plus terrifiantes.

— Arrête de blaguer, Steve ! Où que tu sois... Darlene n'est même pas dans la baraque. Tu te fais chier pour r...

Son regard s'arrêta sur le lit une place, posé de travers dans un coin de la pièce. Quelqu'un y était allongé. De là où elle se trouvait, elle ne pouvait rien voir distinctement. Encore moins avec la lumière qui faisait des siennes. Elle s'approcha. Encore. Plus près. Jusqu'à ce qu'elle soit capable de reconnaître l'ami qu'elle cherchait depuis plusieurs dizaines de minutes.

— Steve ! Tu fais chier ! Qu'est-ce que tu fous ? Tu crois que c'est le moment de roupiller ? Qui t'a dit que tu pouvais dormir là ?

Les yeux de Steve s'ouvrirent comme des billes. Ils étaient noirs, teintés de reflets rouges. Il affichait un sourire si large qu'il en devenait terrifiant. La musique s'intensifia. Les grésillements aussi. Le vent souffla de toutes ses forces.

Une voix puissante et rauque émana du jeune homme, si bien que sa tête bascula en arrière :

— C'est. Moi. Qui. Décide.

S'ensuivit un rire démoniaque qui les plongea entièrement dans l'obscurité et le silence.

 

***

 

Comme s'il venait de courir un marathon, Will fut ravi de s'être extirpé de cette vieille bâtisse. Justin avait repris un peu de couleur. Pour autant, il restait plongé dans le mutisme.

— Mec, si tu as un minimum de dignité, tu ferais comme moi et tu ficherais le camp d'ici. Amanda ne te mérite pas. Elle ne mérite aucun d'entre nous, affirme Will en fixant Darlene du coin de l’œil.

Elle se dandinait d'avant en arrière, d'arrière en avant, toujours dans son coin. Elle n'avait pas changé de place depuis son arrivée. Ni même prononcé un mot. Sans savoir ce qui le poussait à agir ainsi, il s'avança vers elle. Darlene marmonnait quelque chose. Il était incapable de comprendre la teneur de ses propos :

— Darlene, tu cherches à me dire quelque chose ?

Elle ne remarquait même pas sa présence. Son dandinement s'accéléra. Elle se tenait la tête si fort que Will ne parvenait pas à la regarder droit dans les yeux.

— Darlene, qu'est-ce qui t'arrive ?

Même Justin s'approcha d'eux. Il tremblait de la tête aux pieds. Son teint était toujours blême. Il ne pouvait pas leur raconter ce qu'il avait vu. Ils ne le croiraient pas. Personne ne le croirait. Même lui avait du mal à le faire. Pourtant, il savait ce dont il avait été témoin. Steve...

— Darlene, réponds-moi !

La voix de Will ne la fit pas réagir. Elle grogna, continua de marmonner. Justin se pencha vers elle, juste à côté de Will. Puis, il se recula dans un sursaut effroyable :

— «Tous nous tuer. Elle va tous nous tuer.»

— Si tu crois que c'est le moment de déconner, franchement, s'énerva Will.

Justin haussa les épaules :

— Je ne fais que répéter ce qu'elle répète en boucle... Et, pour être honnête, je crois qu'elle a raison... On va tous y passer si on s'acharne à rester là. Comme Steve...

Will s'éloigna de Darlene et de Justin. En reculant, il perdit l'équilibre à plusieurs reprises. Il ne se sentait plus du tout en sécurité. En s'éloignant, il remarqua que Darlene avait arrêté de bouger. Elle ne marmonnait plus inlassablement. Elle fixa Will intensément du regard, comme pour lui confirmer les dires de Justin :

— Tous nous tuer. Elle va tous nous tuer. Tous nous tuer. Elle va tous nous tuer. Tous nous tuer. Elle va tous nous tuer...

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vylma
Posté le 09/04/2020
Sympa la petite possession de Steve !
Amanda est encore plus détestable que ce que l'on avait pu voir d'elle auparavant, ce qui n'était déjà pas très reluisant. C'est dur de se dire qu'elle fait ça par amitié pour Darlène (est-ce vraiment le cas ?)
Niveau stéréotypes de persos de films d'horreur qu'on retrouve bien dans ton récit (le sportif, la fille aguicheuse, la "vierge"...), je pense forcément au film "La cabane dans les bois" de 2012, est-ce que tu l'as vu ? Il est vraiment excellent et vu ce que tu écris, ça pourrait te plaire ! ^^
Dédé
Posté le 09/04/2020
On me l'a conseillé depuis des années mais non, il fait partie des films que je n'ai pas encore vu. Mais je me le note ! ;)

Oui, je m'aperçois que c'est désagréable d'écrire des personnages stéréotypés. J'ai encore plus envie que mes lecteurs de tous les tuer, ou presque :P

Je te remercie pour ta lecture, Vylma ! :D
Vous lisez