Bloody Mary 7

Walnut Grove – 30 octobre 2012

— Il est encore temps de fuir, avertit Will pour la dernière fois.

Darlène ne bougea pas et répéta sans cesse sa même rengaine. Justin était tiraillé entre le réflexe de fuir et son envie de sauver les autres. Sûrement parce qu'il s'en voulait pour Steve. Il n'avait rien pu faire pour son ami. Il ne pouvait pas abandonner Amanda et Darlene dans un tel endroit. Il ne pourrait pas se regarder dans un miroir.

— Je ne vais pas les laisser là, trancha-t-il.

Will referma la portière et démarra le moteur de sa Ferrari. Justin le regarda s'éloigner quelques mètres avant de voir le véhicule s'arrêter net. Darlene continua de s'agiter et se cogna à plusieurs reprises contre la façade de la demeure :

— Tous nous tuer. Elle va tous nous tuer...

— De qui tu parles ?

La jeune femme ne l'écoutait pas. Elle était comme enfermée dans son propre monde, les yeux presque fermés. Justin se sentait désemparé. Il regardait Darlene se frapper de plus en plus fort contre la façade. Il la plaqua au sol, la maintenant la plus immobile possible. Il craignait qu'elle ne se tape cette fois-ci contre le parterre du porche.

— Darlene, qu'est-ce qui t'arrive ? On se connaît pas mais tu dérailles, ma pauvre. Ressaisis-toi !

— Tous nous tuer. Elle va tous nous tuer... Tous nous tuer.

Justin détourna la tête. Le véhicule de Will était toujours à l'arrêt, à quelques mètres de sa place de stationnement. Il en profita pour exprimer toute la frustration qu'il éprouvait quant au fait de ne pas pouvoir raisonner l'amie d'Amanda.

— Ressaisis-toi ! hurla-t-il un peu plus fort, ne pouvant plus contenir sa rage et son désespoir.

Darlene cessa de parler et s'évanouit. Amanda n'était pas revenue de son expédition dans la maison. Will était encore dans sa Ferrari, désireux de fuir. Justin était donc le seul à pouvoir les sortir de cette situation. Il ignorait comment. Il savait seulement qu'il n'avait pas le choix.

Quelques secondes suffirent pour que Darlene rouvre les yeux :

— Qu'est-ce qui s'est passé ? souffla-t-elle, paniquée.

Elle tenta de se relever, tant bien que mal.

— Où sont les autres ? insista-t-elle.

Le jeune homme ne répondit pas de suite. Un flot d'émotions l'avait de nouveau envahi. Il craignait pour sa vie, pour leur vie à tous. Mais, il se sentait rassuré également de constater que Darlene avait repris ses esprits, dans tous les sens du terme.

— Ce qu'il s'est passé ? Tu racontais un tas de trucs bien flippants en te faisant du mal, expliqua-t-il en lui indiquant son front bleuté qui saignait légèrement. Tu semblais partie dans une espèce de délire psychotique et j'ai dû te plaquer au sol pour t'empêcher de continuer.

Perplexe, elle se toucha son front du doigt et observa les traces de sang. La douleur qu'elle ressentit à cet endroit ne mentait pas.

— Je disais quel genre de... trucs bien flippants ? demanda-t-elle en reprenant les mots de Justin.

— Tu disais qu'elle allait tous nous tuer. Et tu répétais ça sans t'arrêter. C'était assez flippant...

— Qui ça, elle ?

Darlene essaya de rester concentrée. Elle avait un millier de questions. Le fait qu'elle ne se souvienne de rien depuis son arrivée dans ce lieu sordide la terrifia. Elle n'avait jamais eu de telles pertes de mémoire auparavant. Elle devait obligatoirement recoller les morceaux, récolter les informations qui lui manquaient. Parce qu'une théorie invraisemblable prenait place dans son esprit. Aucune explication rationnelle ne pouvait la chasser. Or, elle devait trouver le moyen de la faire disparaître. Autrement, elle perdrait pied.

— Je n'en sais rien, avoua Justin. J'ai essayé de te demander mais tu ne m'as jamais répondu. Tu étais ailleurs, comme... possédée.

— Tu m'as lancé de l'eau bénite en prononçant quelques mots en latin et j'ai repris mes esprits, c'est ça ? ironisa la jeune femme.

Elle en arrivait à prier intérieurement pour que l'étudiant sportif le lui confirme. Croire en une blague d'Amanda et des garçons était plus facile à croire que le reste.

— Pas du tout... Je te jure que je te dis la vérité. Avec Steve qui est probablement mort dans ce taudis, dit-il en montrant la maison du doigt, je ne suis pas d'humeur à plaisanter. Au contraire, je suis l'un des seuls à vouloir te sauver. Parce qu'avec ce qui est arrivé à... Steve... je n'avais pas envie de vous abandonner toi et Amanda ici.

— Qu'est-il arrivé à Steve ? Et Amanda ? Will ? Où sont-ils ?

Justin sentit un poids peser sur sa poitrine. Raconter les derniers événements lui semblait impossible. Cela revenait à admettre leur authenticité tout en les revivant.

— Avec Steve, on a voulu explorer la baraque... C'était vraiment glauque... Une femme a surgi de nulle part. Tu vas me prendre pour un fou... Moi-même j'y crois pas... Mais on aurait dit un esprit qui flottait dans les airs. Elle a entraîné Steve avec elle et... Tout est flou après ça. Tout s'est passé si vite.

Darlene déglutit. Même si elle voulait s'accrocher à l'idée que l'étudiant jouait la comédie face à elle, elle devait se rendre à l'évidence. Soit il était un excellent comédien digne du grand écran, soit il disait la vérité. Compte tenu de ses tremblements dans la voix, dans son corps, elle se devait de le croire.

— Et Amanda ? Will ?

— Amanda est encore à l'intérieur. Je sais pas ce qu'elle fout mais ça fait un moment qu'elle y est toute seule... Will y était avec elle mais il est ressorti en courant. Il voulait fuir et nous laisser là. Alors que Steve était laissé pour mort, Amanda en grand danger et toi... toi qui marmonnais qu'on allait tous crever...

Darlene aperçut la voiture de Will qui s'était déplacée. Elle était certaine qu'il ne s'était pas garé là, à son arrivée. Justin disait qu'il avait pris la fuite. Elle sentait plusieurs zones d'ombre sur ce point, le danger omniprésent l'étouffait progressivement :

— Will est parti ?

— Il en avait l'intention. Mais ça fait quelques temps que la voiture est à l'arrêt. Lui qui étais si déterminé à nous abandonner, je comprends pas. Il a peut-être changé d'avis et n'ose pas sortir de sa Ferrari chérie.

La jeune femme ne pouvait détacher son regard du véhicule. Quelque chose ne tournait pas rond. Elle le sentait au plus profond d'elle.

— Tu parlais d'un esprit flottant, tout à l'heure... Tu crois que tout ceci peut être l’œuvre d'un esprit... ?

Elle se trouvait ridicule d'avoir posé la question à voix haute. Elle était obligée, pourtant, de chasser ce doute de son esprit.

— Si tu me demandes si je crois aux esprits, la réponse est non. Après... Vu ce que j'ai vu ce soir, je sais pas trop...

Darlene prit une profonde inspiration avant d'exposer sa théorie. Elle n'attendait pas de Justin qu'il valide ou rejette ce qu'elle s'apprêtait à dire. Elle souhaitait seulement savoir ce contre quoi elle devait se battre. Car, quelqu'un ou quelque chose leur voulait du mal.

— Il y a deux siècles de ça, une ado ou une jeune femme, je sais pas vraiment... a été tuée ici. C'était chez elle. Elle est tombée malade. Son père a eu peur de la contagion et de la honte qui allait se répandre aux alentours. Il l'a enterrée vivante. En l'entendant hurler jusqu'à son dernier souffle...

— Putain... D'où tu sors ça ? s'exclama d'effroi Justin.

— Euh... C'est une longue histoire... Disons que je pense que Mary... la fille en question... a cherché à entrer en contact avec moi. Je sais que ça paraît dingue. Mais ça expliquerait tout.

L'étudiant plongea ses mains dans ses cheveux. Le mauvais rêve dans lequel il se sentait plonger durait depuis bien trop longtemps.

— Peu importe qu'elle s'appelle Mary, Jeanne ou Gisèle, si elle était le fruit de mon imagination, une taularde en pleine évasion ou un esprit, on va récupérer Amanda et filer d'ici. En vitesse.

Darlene se tut à nouveau avant d'approuver ce semblant de plan :

— D'accord. Mais Will va nous aider. Il est hors de question qu'il reste planqué dans sa belle voiture, affirma-t-elle.

Justin hocha la tête et ils se dirigèrent tous les deux vers la Ferrari noire immobile et silencieuse.