Boîte noire

Par Brook
Notes de l’auteur : Un chapitre qui ne m'a pas pris énormément de temps à écrire, mais qui a été compliqué d'agencer avec les futurs chapitres. Je prends de plus en plus de plaisir à écrire, alors j'espère que vous en prendrez à me lire !

Les deux espaces psychiques fusionnèrent pour ne faire qu'un. Cet espace appartenait à moitié à Ema. L'autre moitié était dense, sombre, vicieuse. Elle éprouvait la présence de cet esprit comme si elle se sentait épiée, sans savoir par quoi, ni d'où cela provenait. Dans ce monde hors du temps et du monde physique, les sens n'existaient plus, Ema était flottante. Soudain, encore plus obscure que la pénombre ambiante, surgit une masse informe , comme un nuage noir, dont l'apparition intensifia l'atmosphère déjà oppressante qui régnait.

 

" Je ne pensais pas te voir aussi tôt."

 

La voix grave paraissait à la fois lointaine et très proche. Ema prit peur. Il le sentit immédiatement. Elle ne s'y était pas vraiment préparée, mais s'attendait à cette rencontre. Néanmoins, le fait de la vivre était infiniment plus puissant. Elle voulait tout de même en apprendre plus sur cet étrange pouvoir qui lui faisait perdre ce qu'elle avait d'humain en elle. 

 

" Ne sois pas si impatiente. Tu viens d'ouvrir une porte, mais il t'en reste encore beaucoup à explorer." 

 

Le silence qui s'ensuivit fut long, car Ema prit conscience, grâce à ces paroles, que tout ce qu'elle avait vécu jusqu'ici (du moins tout ce dont elle se souvenait) n'était que le début de l'apprentissage de son pouvoir. Elle resta muette aussi car elle tentait de maintenir stable le flux d'énergie qui lui permettait cet échange, ce qui était très éprouvant. Elle reprit son calme. 

 

- Qu'est-ce que t'es en fait ? Une sorte de fantôme ?

 

Comme en réponse à la question naïve de la fillette, le nuage se mit à trembler, grésiller, puis soudain s'étira, gonfla, s'allongea sous toutes ses dimensions. Dans ce lieu vide, Ema n'avait pas d'autre choix que d'être insensible face à ce spectacle tout de même délirant : la masse noire revint à sa forme initiale et, lentement, s'étira verticalement. Les traits d'un pied, d'une jambe, d'un bras, d'un visage se dessinèrent peu à peu, jusqu'à former une copie, certes effrayante, mais identique en tous points à Ema. Elle se trouva nez à nez avec elle-même, se voyait depuis l'extérieur, sombre et vide. Son clone lui sourit, et dit avec la même voix que celle du nuage noir :

 

" Je suis tout ce qui te manque. Nous avons tous les deux été conçus dans un but commun. Tu ne t'en rappelles donc pas?" 

 

Avant qu'Ema ne puisse lui répondre, son double s'évapora aussi rapidement qu'il était apparu. La sorte de salle dans laquelle ils se trouvaient se décomposa en une pluie de fragments d'ombre, tous porteurs d'une part de l'esprit de l'épée ou de celui d'Ema. 

Le corps de cette dernière était toujours assis en tailleur, inerte, voûté au-dessus de l'arme, elle aussi restée au même endroit. Ema émergea de sa torpeur, haletante, cherchant du regard un soutien, un point fixe sur lequel s'appuyer, en vain. Elle n'avait évidemment pas bougé de cette pièce qui la tourmentait, qui ne laissait entrer aucun rayon de lumière, à tel point qu'Ema ne pourrait pas savoir quand le soleil serait couché : dans cette cave, le temps n'existait pas vraiment non plus.

Ema restait enfermée avec ses pensées les plus sombres, et avec ce monstre dont elle ne connaissait rien. Il se laissait apercevoir en surface, mais ne laissait jamais émerger ses intentions perverses. 

Ema cogna le plat de la lame d'un coup de poing. 

 

- Non, reviens ! J'ai pas fini de te poser des questions ! 

 

L'épée resta muette. Ema soupira d'agacement et la rangea dans son fourreau. Soudain, elle eut une douloureuse pulsation dans la tête. La première émotion qu'elle éprouva fut la peur, car l'énergie de l'épée, qui devrait être à l'origine de cette pulsation, était éteinte. La seconde pulsation, plus insupportable encore, se propagea dans son corps entier. Elle tenta de se lever et ses jambes vacillèrent. Ema manqua de s'écrouler de peu. Son corps se redressa et ses jambes avancèrent seules, droit vers les escaliers de la cave. Elles montèrent machinalement les marches, contre la volonté d'Ema, qui luttait pour reprendre le contrôle de son corps. 

 

- Qu'est ce que tu fais? cria-t-elle, s'acharnant sur l'épée, qui resta murée dans le silence. 

 

Pas de réponse, la communication était rompue depuis un moment déjà. Ema se mit à panteler, car le danger était maintenant totalement inconnu. Il l'était d'autant plus que son niveau était impossible à déterminer. Son corps ne répondait pas à ses ordres, mais elle sentait cette fois que l'épée n'en était pas à l'origine : Ema n'était pas enragée et sauvage, c'était plutôt comme si son corps bougeait mécaniquement, de manière saccadée. 

Les mains d'Ema poussèrent les portes, qui s'ouvrirent sur un ciel orangé. Le soleil avait entamé sa descente depuis longtemps, les ombres des arbres et des maisons étaient étirées. Le corps d'Ema marcha hors de la cave, attiré par une force extérieure bien trop irrésistible. Alors qu'elle allait se demander ce qu'elle pourrait bien dire à Rik pour justifier cette sortie absurde, elle fut déconcertée de voir, parmi les maisons du village qui était complètement désert lorsqu'elle l'avait traversé la veille, des hommes, des femmes et des enfants avancer dans la même démarche mécanique, vers la même direction. Quelqu'un contrôlait tous ces gens, Ema le savait. Tous ces pantins sortaient de chez eux contre leur gré, y compris Ema. Tous s'arrêtèrent simultanément autour de leur marionnettiste. Leurs visages étaient à la fois horrifiés et consternés. Tous baissaient le regard devant cet homme tout vêtu de noir, aux longs cheveux de la même couleur, sales et gras. Son regard dégageait une lueur jaunâtre visible d'aussi loin que l'était Ema. 

 

- Alors les amis, qui sera l'heureux élu aujourd'hui ? 

 

 

 

 

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