Le soleil filtre à travers le brouillard, posant sur le monde un scintillement caligineux qui enduit tout ce qui nous entoure d’une substance cotonneuse. Les immeubles monumentaux alentours sont plantés dans un sol brumeux, enveloppés d’un écran de fumée qui ne suffit pas à camoufler leurs couleurs fluviales. Le bleu, le vert et des centaines d’autres tons inconnus s’entremêlent ici pour faire éclore la plus parfaite des teintes. Les pieds et les cimes de ces géants colorés sont invisibles, camouflés par les nuages en haut comme en bas. Sans début et sans fin, ils trônent, colosses millénaires, solennels, régnant sur le monde avec une bienveillance en béton. Les façades sont garnies de balcons hétéroclites, certains envahis par des jungles miniatures, ou encombrés d’étendoirs à linge sur lesquels sèchent des draps aux tons chatoyants, tandis que d’autres encore sont occupés par d’immenses bestioles endormies, lovées derrière les larges rambardes noires, dont le souffle profond fait tintinnabuler des myriades de carillons pendus aux balustrades.
Les rumeurs lointaines qui proviennent du sol, les sons, les voix, les respirations se fondent dans une unique mélodie entêtante aux relents urbains. C’est une ville, et plus qu’une ville, c’est la plus sublime des villes, celle qui dégoûte en même temps qu’elle rassure, qui éblouit en même temps qu’elle accable, celle qui sommeille en moi comme j’ai grandi en elle. Tout ne pouvait finir qu’ici. La boucle est bouclée.
Mes yeux sont à l’extérieur de mon corps et je n’ai pas besoin de regarder pour voir. Je ressens le monde, assise à califourchon sur une de ces barrières noires à la peinture écaillée, en équilibre, une jambe vers le vide hypnotisant, l’appel de l’aventure, et une autre vers l’intérieur, le confort, la sécurité bien ordonnée. Funambule. Le garçon-chat quant à lui est nonchalamment installé sur le vieux fauteuil en rotin, les pieds posés sur la table aux reflets argentés sur laquelle repose les vestiges de notre goûter. Ses yeux sont fermés et il hume l’atmosphère avec un plaisir évident, heureux comme un roi, heureux comme moi.
Tout est si beau et si triste, comme la plus belle fleur du monde qu’on installerait dans un vase en sachant pertinemment qu’elle va faner et mourir. Je n’ose pas tourner la tête vers mon compagnon. Après tout ce que nous venons de traverser, j’ai peur de ce que je vais voir dans ses yeux. Je ne crains plus ses disparitions intempestives, non, ces frayeurs-là sont derrière nous. Maintenant, j’ai peur de la tristesse qui ne va pas manquer de m’envahir quand je vais le regarder. Je fais l’expérience de la fatalité : nous n’avons plus que quelques minutes, et la fin est inéluctable. Ma vision est toujours brouillée par une sorte d’écran noir qui s’épaissit de seconde en seconde, et des sensations étrangères à ce monde m’envahissent déjà, malgré l’intense concentration que je mets à me maintenir ici, dans ce présent, avec lui. Ca ne doit pas encore finir.
- Tu as des questions ? demande-t-il.
- Quelques milliers. – Comment tout ça a-t-il été possible ?
- Uniquement grâce à toi. Tu le sais.
Oui, je le sais, et ça fait un peu mal. Je voudrais bien ne rien savoir, continuer à me cacher derrière ses duperies, prolonger les anciennes croyances qu’il me soufflait, avant, il y a des années, lorsque ce monde qui s’ouvrait à moi chaque nuit constituait ma réalité. Lorsque je me réveillais dans un ailleurs où je ne vais pas tarder à rentrer, lorsque j’ouvrais mes yeux encore plein d’images et de sons, pour raconter mes folles épopées d’une voix ensommeillée à des adultes au sourire tendre, devant le traditionnel bol de lait.
- Justement, dit-il d’une voix très douce, il est temps d’aller les raconter, ces aventures…
- Je ne veux pas encore être de retour là-bas. Il nous reste un peu de temps…
- Un peu de temps pour quoi ? m’interrompt-il sévèrement. Tu voudrais que je te raconte d’autres mensonges, que je te dupe encore une ou deux fois ? Tu voudrais que nous fassions semblant, tous les deux, de ne rien savoir ? Comme si tu étais encore une enfant ?
Je me mords les lèvres, malheureuse.
- Ce ne sont pas des mensonges que tu me racontes, je murmure craintivement. Ce sont des histoires. Et je refuse de grandir sans histoires. S’il le faut, je me revendiquerai enfant jusqu’à la fin des temps.
- Je ne te priverai pas d’histoires. Mais aujourd’hui, il y a des choses que j’aimerais te faire comprendre avant que tu t’en ailles.
Pourtant, il ne dit encore rien, et les secondes s’égrènent. Je cogne mes pieds contre les barreaux de métal, au rythme irrégulier du temps qui fuit par vagues.
- À quoi ressemble ce monde quand je m’en vais ?
La question a jailli hors de ma bouche sans que je puisse la retenir. Et maintenant, je redoute sa réponse – j’ai peur que ce monde n’existe plus quand je pars. Mais le garçon-chat sourit, mélancolique.
- Quand tu t’en vas, ce monde retrouve son absurdité première. D’un seul coup, on dirait qu’il se rend compte lui-même qu’il n’est qu’une fable. Un décor de théâtre.
J’acquiesce, un peu douloureusement. Cela, je l’ai déjà compris, et j’ai même fini par l’admettre. Ce monde n’existe nulle part ailleurs que dans ma tête. En revanche, je suis encore incapable de reconnaître que mon garçon-chat, mon guide, mon escroc, mon amour, n’existe pas non plus. Il lâche une exclamation exaspérée, se lève et marche de long en large. Légèrement courbé, les mains derrière le dos, il a une allure de poète exilé.
- Je ne suis rien d’autre qu’un personnage que tu crées.
J’ai beau le savoir, mon cœur en prend un coup.
- Mais tu es bien plus que ça, je proteste, je l’ai déjà compris il y a longtemps ! Tu me souffles toutes mes idées, toutes les images qui me traînent en tête depuis l’enfance, c’est toi qui m’as poussée à lire, à chanter, à écrire… À vivre ! Alors il faut bien que tu existes !
- Oh, si tu le dis, plaisante-t-il. Si tu y crois vraiment…
Je hoche vigoureusement la tête, sans la moindre trace d’humour. Je le crois, et plus que ça, je le sais. Le garçon-chat est le moi que je ne connais pas bien, celui qui m’échappe depuis toujours, tour à tour effrayant, familier, rassurant et étranger, mais constamment plein de cette ancienne tendresse, comme s’il était une partie de moi qui m’a quittée il y a très longtemps.
- Je n’existe pas. Je suis un personnage sans histoire. Ou plutôt, je suis formé de toutes les histoires que tu m’inventes, je me promène dans tes pages… Dans tes rêves… Je ne suis personne et je suis tout le monde.
Sa voix me fait l’effet d’une hémorragie voluptueuse, mon sang fourmille sous ma peau, et c’est monstrueusement délicieux.
- Justement, je souffle. J’ai besoin de toi. J’ai besoin de toi et de ce monde. C’est ici, chez moi, pas là-bas…
Il soupire sans répondre et se rassoit. Je continue sur ma lancée, quelque part en sachant pertinemment que c’est inutile.
- Rien ne va, de l’autre côté. Je ne peux pas vivre dans le réel, ça me dépasse. Ma place est ici, à sauver des êtres bleus, à voler, à consoler le fantôme de mon propre passé… Là-bas je suis impuissante, insignifiante… Ma place est auprès de toi. Si je le décide, ce sera vrai, c’est bien ce que tu m’as dit !
Il se tait. Il attend que j’admette toutes les faussetés de mon discours. Je sais que j’ai tort, mais je m’entête, comme une enfant, je m’accroche à mes chimères parce que les lâcher signifierait mettre les pieds dans un monde hostile où, très vite, je serai prisonnière de la boue du réel.
- Tu sais que tu te trompes, finit-il par dire tout doucement. Tu veux que je te redise pourquoi ? Tu as besoin de le réentendre pour l’accepter, peut-être ?
Non. Je refuse. Je refuserai toujours.
- Tu viens du réel. C’est comme ça. Tu ne peux pas choisir ton monde. Tu n’as pas le droit de te réfugier dans ce monde factice, même si ça t’arrange. Tu n’as pas le droit de renoncer au réel. Tu fais partie de l’autre monde, et tu as le devoir de l’affronter. Et je ne suis pas, et je ne serai jamais cette personne dont tu as tant besoin. Tu le sais parfaitement. Je suis un écho, une ombre, un tas de poussière sorti d’un des tiroirs de ton cerveau, rien d’autre. Je ne fais que réciter ce que tu te dis à toi-même. Je n’ai pas de conscience, pas de libre-arbitre. Un vrai Paächa, en somme, sourit-il.
Je ris malgré moi, tout en sentant les larmes se rassembler dans ma gorge pour former le nœud douloureux du chagrin contenu.
- Nous savons tous les deux que le problème n’est pas mon existence ou ma non-existence. Le problème… Vas-y, dis-le. Dis-le et tu verras que tout ira mieux.
Mais ma voix est nouée. Je ne peux rien dire.
- Le problème, c’est que tu te sens seule. C’est pour ça que tu crois que tu as besoin de moi. Mais tu te trompes.
Non. Je ne me trompe pas. Il ne sait rien de ce que je vis dans le réel. Oh, rien de très grave, je ne peux pas me plaindre. Juste la solitude, qui me détruit morceau par morceau, qui m’entraîne dans des déserts toujours plus immenses où je me replie sur moi-même pour ne pas voir le vide, pour ne pas voir l’absence, pour ne pas avoir à affronter un monde beaucoup trop réel. Je déteste le réel, je le déteste, je le déteste. Voilà ce que je répète dans mon désert, une litanie aux accents de malédiction.
- Tu sais ce dont tu as besoin ? demande-t-il soudain. D’une rencontre. Une rencontre réelle avec quelqu’un de réel. Tu verras alors que le genre humain n’est pas irrécupérable. Et après, tu feras des dizaines d’autres rencontres, et tu t’apercevras de tout ce que le monde recèle comme merveilles. Tu seras bien obligée d’admettre que le bonheur, ça n’arrive pas qu’aux autres.
- Mais combien de temps ça prendra ? Qu’est-ce que je fais en attendant, moi ?
- Eh bien, attends. Rêve, si ça peut te faire plaisir.
Les énormes bêtes de l’immeuble d’en face s’agitent dans leur sommeil. On dirait que je ne suis pas la seule pour qui le réveil est imminent. Encore un peu, un tout petit peu, je ne peux pas me réveiller maintenant…
- Et quand tu auras assez rêvé, quand tu seras fatiguée de répéter ta litanie, quand tu auras le courage de regarder l’absence droit dans les yeux, lève-toi. Marche. Et change le monde.
- Rien que ça ?
Il hoche la tête avec une conviction sereine. Je n’y crois pas. Je sais très bien qu’une fois rentrée, réveillée, une fois de retour dans cette routine glacée qui m’empoisonne lentement dans un monde sans couleur, je sais qu’une fois là-bas, mes vieux doutes, mes anciennes peurs reviendront, et je serai comme perdue dans les corridors effrayants, je serai comme la petite fille que je n’ai pas su sauver, je serai aussi désespérée et acculée que lorsque j’étais poursuivie par les sales types.
- Tu en as le pouvoir, insiste-t-il. Il y a plein de boulot qui t’attend, de l’autre côté, et tellement de choses que tu peux faire pour changer ce qui ne te plaît pas. Ca manque peut-être d’ascenseurs de verre et de couleurs impossibles, mais il y a tant d’autres merveilles de l’autre côté.
- Je ne suis pas d’accord. L’autre côté, c’est nul, et je n’y ai pas ma place, je n’ai rien à y faire.
(Oui, je m’accroche, oh comme je m’agrippe à ces vieilles croyances, à ces dogmes obsolètes ! Je ne peux pas les lâcher ! J’ai l’impression que si je lâche, je ne reviendrai jamais dans le pays des chimères.)
- Au contraire. Le réel souffre d’une terrible carence. Le réel a besoin de toi pour une mission bien particulière. Assez fui ; il est temps de faire face, il est temps d’apporter au réel ce que tu peux –ce que tu dois– lui apporter.
Je ne veux pas aider le réel. Je ne veux pas partir. Je refuse de grandir.
- Refuseras-tu d’aider ton monde ? Le pauvre réel, tu sais ce dont il manque ? Il manque d’imagination. Il manque de rêves. Tu ne crois pas que tu pourrais lui donner quelques coups de pouce dans cette matière-là ?
- Et si je n’y arrive pas ? Si je continue d’échouer, encore et encore, si je continue de me décevoir moi-même et de me piétiner, et si les autres continuent de me piétiner encore plus cruellement, et si aucune rencontre n’arrive jamais, comment je ferai ? Est-ce que je serai même capable d’apporter quelque chose au réel ?
- Tu trouveras, affirme-t-il sans défaillir. Tu trouveras parce que tu veux trouver. Il suffit de dire, si tu le dis, ça marchera. Il suffit de raconter… d’écrire. Et tout ira de mieux en mieux. Tu verras. Fais-toi confiance.
Il détruit minutieusement, une à une, les barrières que j’ai construites autour de moi dans mon désert. Le vent souffle à nouveau jusqu’à mes poumons, et j’ai l’impression que l’air porte des bourgeons d’espoir qui ne demandent qu’à éclore. Des machins minuscules qui se battent bec et ongles pour exister, de la même manière que de l’autre côté, des fleurs poussent dans le sable, pour de vrai. Le réel n’est-il pas, finalement, plus merveilleux que n’importe quel autre monde ? Pour la diversité des sentiments qu’il m’inspire, la force de l’accablement qu’il fait peser sur moi tout comme les ravissements fabuleux qu’il m’offre chaque jour, peut-être qu’il mérite une chance. Oui, au fond, le réel est un monde étrange aux lois extraordinaires…
Le garçon-chat a le sourire aux lèvres. Je ne vois presque plus rien et j’ai l’impression de sentir mon esprit retourner dans mon corps, là-bas, retomber lentement, goutte à goutte, dans ce grand corps empêtré dans ses draps, ce corps qui me cloue au sol, qui me fait mal, avec qui je me bats depuis ma naissance pour me sentir bien. Un autre obstacle, en somme.
Mais ça aussi, ça changera, je le vois dans les yeux du garçon-chat.
- Tout changera, promet-il. Il suffit que tu le décides. Un jour, tu seras heureuse de vivre dans le réel. Tu y découvriras des choses que ce monde ne peut pas t’apporter.
- Je veux bien te croire. Je veux bien essayer – je veux dire, je vais me lever, je vais marcher, vraiment. Mais il y a une chose qui m’effraie encore plus que le réel. – Toi, ces immeubles mous, les êtres bleus, les vols au-dessus du bush… Tout ça, je ne veux pas le perdre. Est-ce qu’accepter de vivre dans le réel ne va pas détruire le monde des chimères ? Est-ce qu’accepter de grandir, ça signifie que je dois dire adieu à mes rêves d’enfant ?
- Tu ne leur dis pas adieu, objecte-t-il gentiment, tu les regardes d’un peu plus loin. Pour donner de l’imaginaire au réel, il faudra bien que tu le puises quelque part. Ce sera ici. Tu reviendras, toutes les nuits, même quand tu ne t’en souviendras pas, tu reviendras faire le plein de merveilleux pour rendre ton monde encore plus merveilleux. Ça ne s’arrêtera jamais…
- Tu ne me laisseras pas, n’est-ce pas ? Tu resteras vraiment avec moi ?
- Toujours.
J’ai envie de lui dire que je l’aime, mais ce serait inexact. Entre nous, ce n’est pas de l’amour, quoi que j’aie pu en penser tout d’abord. Entre nous, c’est une tendresse infinie entre deux êtres millénaires qui ont vieilli côte à côte, étroitement cramponnés l’un à l’autre, à l’intérieur du même corps et du même esprit, et pourtant éloignés par les antipodes qui séparent le réel de l’imaginaire.
- Si tu le dis, ce sera vrai. N’oublie pas.
J’ai aussi envie de lui dire merci, mais ce serait superflu. Il me semble. À travers le brouillard de mes yeux, je le vois esquisser un sourire.
Les draps suspendus aux séchoirs, aux rambardes, s’agitent et s’envolent, les bêtes endormies chantent dans leur sommeil, les immeubles bleus scintillent dans le soleil vaporeux, et moi je me demande si tout cela sera détruit quand je me réveillerai. Ou bien si cet endroit continuera sa petite vie tranquille, quelque part à l’intérieur de moi.
Je connais la réponse.
Et je sais qu’il est temps.
Je pose mes mains sur la rambarde à la peinture noire écaillée, sans m’étonner de ne plus bien ressentir le contact du métal contre ma peau. Mes sensations viennent déjà d’ailleurs, un ailleurs plein de draps, d’oreillers et de fraîcheur matinale. Bien équilibrée, je me hisse lentement et pose mes pieds sur le rebord, jusqu’à me retrouver debout sur la balustrade, au bord du vide. Ce n’est pourtant pas le moment de jouer les équilibristes. Tout mon corps est ébouriffé par les rafales de vent qui m’entraînent, voluptueuses, vers l’autre monde. Je m’accroche au balcon supérieur, déterminée à résister le plus longtemps possible, et je reste là, tandis que derrière moi, le garçon-chat suit mes mouvements du regard. Je voudrais me retourner pour le contempler, mais c’est inutile. Je suis le monde. Je vois tout.
Il sourit, les yeux tristes, et s’accoude au balcon à côté de moi. J’aimerais poser mes mains sur son visage et dans son cou, j’aimerais qu’il me serre dans ses bras pour les millénaires à venir.
Devant nos yeux fatigués, le monde est en fête. Le monde s’éveille et l’air résonne d’échos de vie et d’odeurs de petit-déjeuner, de bâillements et de pannes d’oreiller, tandis que ma vision diminue lentement et que je sens mon corps réel, celui qui est lourd et encombrant, se retourner dans ses draps, dans mes draps. Je goûte avidement à mes dernières secondes de fête. Aux dernières secondes que je passe avec lui.
Je l’entends soupirer, à côté de moi.
- Il va quand même falloir que tu rentres chez toi, lance-t-il.
Je sais. Il faut que je laisse ce monde tourner tout seul dans ma tête, il faut que je lâche prise sur les chimères de mon sommeil. Il faut que j’aille me confronter à la vraie vie.
- C’est tellement loin, chez moi…
Le vent saisit mes mots au vol et les embarque dans une course folle, tout autour du monde. Alors, doucement, tendrement, j’étends mes mains autour de moi comme un avion au décollage, et la rambarde tremblote sous mon poids tandis que je prends mon élan sans plus rien voir de ce qui m’entoure que des tâches de couleurs floues. Je ne peux plus voler, il est trop tard, mais il est temps de me laisser planer.
Je me jette dans le vide, ivre de joie, je laisse l’air me porter en même temps qu’il caresse toutes les courbes de mon corps, je me laisse couler et c’est le seul adieu que je pouvais faire à mon garçon-chat, c’était comme ça que les choses devaient finir. Je ferme les yeux pendant ma chute, laissant le vent me chahuter comme une feuille morte, sans craindre un seul instant de m’écraser à terre puisque la terre aura disparu avant que je n’ouvre à nouveau les yeux.
Et effectivement, quand je soulève les paupières, c’est dans une chambre ensoleillée, teintée d’orange et d’or par la lumière qui filtre à travers les rideaux, c’est dans une chambre au sol rêche, aux couvertures enfantines, aux trois lits jumeaux, dans cette chambre aux murs couverts de souvenirs, c’est dans la chambre que je connais par cœur que je m’éveille. Avec le cœur qui bat et la sensation vertigineuse d’avoir vécu des milliers de vies pendant les quelques heures que j’ai passées loin de ce monde.
Je n’ai jamais revu le garçon-chat. J’ai compris, depuis, que c’est toujours lui que je cherche – sans que ce soit exactement lui toutefois, en fait je cherche le guide rassurant qui me tirera hors de mes ténèbres, qui m’entraînera loin du désert, tout bonnement. Dans mes cauchemars, je le cherche pour ne plus être si seule et si effrayée. Lorsque ce sont des poursuites, j’espère toujours qu’il viendra me tirer de là. Dans mes quêtes oniriques, j’ai besoin de lui pour m’accompagner. Et parfois, je me surprends à le chercher aussi dans le réel. Mais je ne le trouve jamais, pas ici, et c’est très bien comme ça. À la place, je trouve des choses merveilleusement réelles.
Alors oui, maintenant, je crois que je peux vivre dans le réel, parce que le rêve continue en moi et continuera toute ma vie. Je veux continuer à me réveiller les yeux éblouis par toutes les merveilles qui dorment de l’autre côté, pour pouvoir ensuite les offrir à mon réel qui manque d’imagination.
Je veux que cela ne s’arrête jamais. Et si j’y crois suffisamment fort, si je le dis, si je le pense sincèrement, c’est comme ça que ça se passera.
Ça ne s’arrêtera jamais.
FIN.
Cette petite historie m'a fait vibrer, crois-moi. Comme la narratrice, j'était emportée dans une spirale chimérique, colorée, fantastique, absurde, théâtrale, florissante, étoilée, biscornue... et encore beaucoup d'autres adjectifs pourraient qualifier ton texte... sans le qualifier vraiment non plus.
J'ai franchement adoré cette histoire, c'est pourquoi je l'ai dévoré d'un coup. Merci de m'avoir transporté dans l'univers pittoresque de tes rêves !
Puisse tes pensées fleurir et se multiplier comme les coquelicots ^^
Pluma.
Belle inspiration à toi aussi :)
Oh, c'est drôle comme hasard :D Ça doit en jeter, dans un livre imprimé, ce genre de chose !
Je suis ravie que ça t'ait plu, Mayonette <3 Je ne savais pas que la thématique du rêve te parlait particulièrement, à toi aussi, mais il semble qu'on soit assez nombreux dans ce cas-là sur PA et c'est toujours super chouette d'en discuter, j'espère qu'on en aura l'occasion ! Moi aussi je rêve régulièrement de zombies, mais il y a des fois où c'est effrayant, et d'autres juste bizarre. En tout cas, même si tu ne l'as pas vue venir, je suis contente que tu aies apprécié, ça me touche, cette histoire a une place spéciale pour moi ! (bon ok... toutes mes histoires ont une place spéciale dans mon coeur xD)
Merci à toi !! Et au plaisir <3
Je comprends tes réticences, ça me fait un peu le même effet avec les textes personnels. C'est peut-être justement pour ça que je me suis appliquée à ne pas trop en dévoiler non plus, à rester dans le romancé... À la base, comme j'étais censée être la seule à lire ce truc, je m'étais pas gênée, j'en avais fait des caisses dans la psychologie, mais quand j'ai décidé de le publier quand même, j'ai effacé tout ça et ça me plaît bien mieux comme ça. Ça partait dans tous les sens, parfois beaucoup trop pronfondément, il n'y avait plus d'histoire, seulement des dialogues sans suite. Alors ouais, je suis contente que tu t'y sois bien sentie, et si ça peut t'aider d'une manière ou d'une autre à alléger la pudeur par rapport à tes propres rêves, j'en serais contente ; parce que ton univers onirique a l'air tellement riche que ça donnerait envie d'en avoir un aperçu, même bref.
Aha, bravooo, t'as gagné le pompon :D Oh ben ça me fait plaisir que tu les aies perçus ces p'tits indices, parce que cette histoire ressemble tellement à un patchwork avec son intrigue décousue et tout qui change tout le temps que c'est pas évident d'y voir un fil conducteur, je crois.
Mark ? Il a même un prénom, c'est génial ! Mark. Il apparaît chaque fois de la même manière pour toi ? C'est beau en tout cas, l'évolution de votre relation. Oh oui, il faudrait qu'on ait une discussion plus approfondie sur les rêves >.<
Le garçon-chat a vraiment existé, il était dans le rêve de base. C'était un des rares trucs à y être d'ailleurs : je me souviens du compte à rebours dans un vaisseau spatial (mais c'est flou) et de la scène du balcon, en tout cas de la fin, quand il me dit "Va falloir que tu rentres chez toi" (et ce souvenir-là est tellement précis que c'est lui qui m'a obligée à tout écrire pour que l'histoire finisse comme ça). Mais jamais je ne l'ai revu dans un autre rêve, et je ne l'avais jamais vu avant. Par contre, j'ai souvent des personnages qui m'accompagnent, et ils ont toujours l'air de cacher quelque chose ; et souvent, quand je suis séparée d'eux, ça tourne au cauchemar, et je passe tout le rêve à les chercher. Donc je les associe au garçon-chat, même s'ils sont jamais les mêmes...
Ça je pense que c'est très général comme moteur d'écriture, cette envie de réenchanter le monde ! Contente de partager ça avec toi en tout cas, mih <3 Merci encore pour tes commentaires et ta lecture, et ça pour une première plongée, t'as choisi l'histoire la plus intime effectivement xD Mais je suis super heureuse que ça t'ait plu, justement parce que je sais que tu as toi aussi beaucoup de choses à dire à propos des rêves, alors si tu n'as pas trouvé que ça dénotait, c'est vraiment chouette pour moi !
Des bisous et à très vite Babeul <3
Tu as vu, je progresse, j'arrive à tenir mes promesses dans des délais de moins en moins longs :D
Eh bien, la fin est relativement (très) différente des chapitres précédents… mais c'est très bien ainsi. D'ailleurs, en parlant de relativité, il y a un principe engendré par l'invariance de la vitesse de la lumière (et le fait qu'aucune vitesse ne peut dépasser 300000km/s) : lorsque tu te déplaces, les longueurs se contractent et le temps s'allonge. C'est exactement ce qu'on peut ressentir dans un rêve je trouve, et c'est comme ça que je vois ton histoire : comment tant de choses peuvent se passer en une seule nuit ? J'y vois comme la métaphore du passage à l'âge adulte en gardant la promesse de toujours conserver son âme d'enfant. C'est beau :-)
J'ai aussi bien aimé le fait que tu passes un certain temps pour décrire tout ce qui se passe autour avant de finalement venir sur les deux protagonistes. Il y a du suspens après la fin du pénultième chapitre, et on ne sait pas encore si on est de retour dans le monde réel ou si finalement, tout ne s'est pas écroulé. Je les voyais dans un tableau, représentant un port de la Méditerranée, avec beaucoup de soleil, la mer bleue, et un calme absolu que seule la brise vient déranger en faisant claquer les draps sur leur cordon à linge. Tu as une manière de décrire toute en poésie, c'est beau à lire, et ça me fait me sentir terriblement illettrée :')
Merci pour ce beau voyage au pays de tes rêves. Puissent-ils te donner d'autres idées pour de belles histoires ♥ D'ailleurs, je crois que l'une des prochaines choses que je vais faire, c'est lire ta Trilogie sans Nom qui me fait de l'œil :D Alors à très vite !
J'ai vu, et ça me fait super plaisir que tu aies lu toute la fin comme ça, d'un coup !
J'adore quand tu mêles des trucs scientifiques à tes commentaires, ça me fait écarquiller les yeux comme les démonstrations de Lise, ça sonne tellement poétique ! Cette fin est bien différente, c'est vrai. Je viens de la relire, et pour le coup, c'est sans doute le passage le plus personnel de toute cette histoire... Mais tant que "message" est perceptible, ça me convient :)
(Toi, illettrée ! Ce qu'il faut pas entendre !!) Merci beaucoup, j'ai vraiment mis tout mon amour des mots dans cette description, je crois. Je suis vraiment contente que ça t'inspire de belles images ! Et merci à toi d'avoir suivi ce voyage, c'était un plaisir de lire tes commentaires ♥ J'espère aussi que mes rêves ne me laisseront pas tomber ^^ Oh, prends ton temps pour la Trilogie, mais ça sera chouette de recevoir ton retour là-dessus !!
Merci encore beaucoup beaucoup, et à très vite !
Dans cette fin, particulièrement, qu'on a absolument tous éprouvé. Ca m'a serré le coeur en lisant, et en même temps c'est très encourageant ce que tu as écris, très positif !
Et c'est beau, vraiment très beau. Tu maitrises une belle magie avec les mots, tu sais les assembler pour en faire quelque chose de juste beau <3 Merci d'apporter tes couleurs à notre réel !
Merci pour ce texte qui donne envie de croire qu'on a tous un monde comme ça dans un recoin de la caboche. Qui fait se sentir bêtement moins seul avec nos rêves et nos chimères.
<3
Merci infiniment pour ce que tu dis sur les mots, je crois que le Rêve est vraiment un texte où je me suis fait plaisir, où j'ai fait ce que je préfère sans chercher à me mettre des contraintes, c'est tellement réjouissant de recevoir de tels compliments dessus...
Oh je suis sûre qu'on a tous ça dans la caboche, comme tu dis, différent pour tout le monde sans doute, mais bien là ; un petit hyptraespace privé. Autrement on ne pourrait pas écrire ! Merci, merci, merci encore <3 (et encore navrée d'avoir tellement tardé à répondre)
Pardon d'arriver si tardivement pour lire la fin de ton rêve. Dire que je l'ai lu serait superflu, je l'ei dévoré oui. Et je ne sais pas si j'arriverai à tout dire, tellement il y a de choses, justement à dire.
Tout d'abord au début lorsque que tu as parlé des couleurs imaginaires, j'ai ri parce que j'ai vu les mêmes, pour moi elles sont le symbole de la frontière entre notre monde réel et le monde imaginaire, même inconscient collectif serait plus juste. Ensuite, comme je le soupçonnais ton garçon chat est tout à la fois deux figures, l'une unique : l'équivalent de mon mat qui peut prendre aussi la forme d'un chat, et l'autre protéiforme parce qu'elle revêt plusieurs figures et fonctions, mais qui fondamentalement n'en est qu'une. (si tu veux je pourrais te donner quelques pistes).
Mais ce qui je pense est le plus important, c'est je ne vais pas dire la conclusion du rêve, mais ce que le garçon chat te dit à propos du réel : raconte tes rêves pour émerveiller le réel et surtout en faisant cela, tu ne perdras jamais ton garçon chat. L, j'ai cru relire mon poème l'Oracle du Mat
Je pourrai encore en dire beaucoup, tellement je vois de points communs avec mes propres écrits, même si les miens sont nettement plus sombres.
Tu m'as beaucoup ému avec cette histoire.
Diogène
Je suis aussi très émue en lisant ton commentaire, c'est drôle comme on peut retrouver des similarités dans l'univers onirique. Je trouve ça formidable que ce soit ça qui t'ait poussé à écrire, c'est fou ce que ce monde imaginaire peut avoir comme influence sur le monde réel, et inversement...
Je pense qu'on peut sans problème employer le terme de "conclusion du rêve"... Et tu me rends très curieuse de lire ce poème !
Merci encore Diogène :)
Je reviens vers « un rêve » avec toujours autant de plaisir. Non... plus en fait, car je trouve ce chapitre conclusif vraiment magnifique. Nous sommes à la croisée entre rêve et réalité, enfance et âge adulte. Tu as placé la narratrice dans les chapitres précédents sur le fil d’une révélation imminente, qu’elle repousse, mais quand finalement elle l’accepte, le lecteur qui l’attendait aussi n’est pas déçu, car il n’y a rien d’artificiel ou de forcé, on est dans la sincérité la plus pure et ça se sent.
J’aime beaucoup la raison que tu invoques pour revenir vers le monde réel. C’est une belle conclusion à ton histoire, presque une « morale », ou une philosophie de vie, et elle te correspond bien je trouve. *_*
J’aime aussi l’idée que les rêves sont uniques, et que la narratrice ne revoie jamais le garçon chat, parce que c’était une sorte de guide pour l’enfant, ou alors parce qu’il n’a été là qu’une fois, dans ce rêve singulier.
D’une certaine manière, ta fin renvoie aussi chaque lecteur à ses propres rêves, à la relation qu’il entretient avec eux et aux liens entre eux et le monde réel.
Bref, j’ai trouvé cette fin très signifiante, et écrite de manière toujours aussi juste, belle et sensible. Bravo !
J’ai juste relevé un détail :
Tu ne crois (pas) que tu pourrais lui donner quelques coups de pouce dans cette matière-là
Je suis vraiment contente que cette fin t'ait plue et que tu aies perçu tout ce que je voulais y mettre :) C'est le passage qui me tenait le plus à coeur, et ça a beau être en grande partie de la fiction, je suis restée le plus sincère possible. Cette fin était le morceau de l'histoire qui me tenait le plus à coeur : en fait, ce rêve que j'avais fait, celui qui m'a poussée à écrire tout ça, je n'en avais comme souvenirs qu'un passage dans un vaisseau spatial (mais très vague), et cette fin-là. Ces deux phrases en fait, quand le garçon-chat dit qu'il faut que je rentre chez moi, et que je lui réponds que c'est tellement loin chez moi. Ca, je m'en souviens comme si je l'avais réellement vécu. Toute l'histoire n'existe que pour parvenir à ces deux phrases... Oups, je me suis embarquée dans une longue explication mais je tenais à raconter ça ^^'
Renvoyer le lecteur à ces propres rêves, peut-être le conduire à s'y plonger ou à y réfléchir, c'est le petit espoir que j'avais aussi en écrivant tout ça. C'est un monde tellement génial, les rêves, et il y a tant de gens qui n'y font pas attention... Si cette histoire renvoie un tant soit peu le lecteur à sa relation avec ses rêves, ça comble toutes mes espérances à propos de ce texte !
Merci infiniment d'avoir suivi et apprécié cette histoire :) merci également pour le mot manquant, que j'ai vite été corriger !