Caravanes

Par Lyrou

- Tu crois que ça va tourner à un moment donné ?

- Aucune idée.

Perdus dans une vaste toundra sur une interminable route droite parfaitement goudronnée, deux silhouettes avançaient comme des fourmis dans l'immense platitude des environs. La basse végétation colorée leur permettait de voir très loin devant eux et ainsi apercevoir quelques formes éloignées, un peu plus élevées au dessus du sol, desquelles ils se rapprochaient tant bien que mal. Des dégradés d'oranges, de rouge et d'ocre qui les entouraient, la route se distinguait sans difficulté et se poursuivait encore loin devant, tout droit. Les bandes blanches se profilaient jusqu'à l'horizon et se fondaient dans l'éclat du soleil sur un ciel d'un bleu bien trop pur. Louna et neuf marchait tranquillement sans savoir où ils allaient exactement de chaque côté des rectangles en pointillés qui coupaient la route en deux. Ils auraient pu sortir des sentiers battus et marcher dans la toundra sans direction fixe, mais c'était s'exposer à se perdre complètement dans une immensité qu'ils avaient du mal à mesurer tant ils étaient minuscules sur ce morceau de goudron qui s'enfilait dans les terres sans s'arrêter. En restant dessus ils avaient plus de chance d'avoir une destination, si inconnue soit-elle. Alors ils marchaient vers l'horizon, bercés par les cris aigus de rapaces tournoyant haut dans le ciel, les grognements des caribous qui broutaient ou se battaient au loin, et le grésillement des grillons. Se dégageait de l'ensemble une certaine sérénité que Louna sut apprécier à sa juste valeur. Le pot de mandarine accroché à sa lanterne-citrouille et son sac sur le dos, sa seule main libre se balançait doucement d'avant en arrière, comme le faisait le chapeau de paille de Neuf, secoué par la brise. Un vent léger qui faisait voler les petites feuilles des plats-arbustes qui parsemaient la toundra, tachetant par endroit le goudron d'étincelles de couleurs.

Les contours des formes dont ils s'approchaient doucement commencèrent à se dessiner, lacérant le bleu du ciel avec de la rouille. Des caravanes et des vielles voiture envahies par le temps et la végétation mêlaient le marron de leur fer à l'ocre de la toundra au bord de la route. Des portières déglinguées écrasaient des fleurs qui passaient ainsi dans le trou qu'avaient laissé les vitres. Rehaussés par la rouille et le soleil, le rouge ou le bleu de certaines voitures tranchaient sur la douceur des plantes qui les dévoraient petit à petit. Les caravanes, elles, s'élevaient plus haut au dessus du sol et semblaient intactes dans leur parties supérieures. Au bruit que fit Neuf en se cognant dans une portière en s'approchant des carcasses de métal leur répondit la chute d'une boîte de conserve rouillée depuis l'une des caravanes. Les deux voyageurs s'immobilisèrent immédiatement et attendirent quelques instants. Un grognement aux consonances métalliques s'échappa du même véhicule d'où était tombée la boîte et une silhouette en sortit. Elle se pencha pour la ramasser puis vit les deux étrangers en se relevant. C'était un robot de taille moyenne, moins rouillé que le reste des carcasses présentes mais tout de même plutôt usé. Sa tête en forme d'un œuf que l'on aurait coupé en deux dans la largeur et posé partie bombée vers le haut et ses yeux en led vertes cerclées d'un anneaux de métal clouté tournés vers eux, il les fixa sans bouger, l'air intrigué. Les bras ballant le long de la télévision cathodique qui lui servait de tronc, une de ses mains tenant en pince la conserve qui était tombée, les jambes arquées et bien enfoncées dans les énormes bottes en métal qui devaient être ses pieds, il resta immobile longtemps, sans un bruit. Puis sans signe avant coureur il jeta la canette sur le front de Louna qui sur le coup ne sut réagir. Le robot partit dans un grand rire grésillant puis se dirigea vers les deux nouveaux venus toujours immobiles. Il plongea ses yeux dans ceux de Louna, qui déglutit, puis souleva les quelques mèches brunes qui s'étaient logées devant son front.

- Lou-na, y lu-t-il, c'est un joli nom.

La fente qui coupait le bas de sa tête en deux dans la largeur et qui semblait lui servir de bouche ne put pas sourire mais le ton de sa voix le tenta pour lui. La concernée murmura un merci, mal à l'aise, puis sursauta quand neuf grimpa sur sa tête pour se mettre à la hauteur du nouveau venu. Il plongea ses orbites noires et vides dans les led du robot qui soutint son regard.

- Et toi, comment tu t'appelles ? demanda la voix métallique.

- Numéro neuf.

- Enchanté, moi c'est Öyün. Qu'est ce que vous fabriquez par ici?

- On suivait la route depuis la montagne.

- Mais c'est loin ça ! Tu dois être très fatiguée petite créature de brume.

- Oui, et elle aussi je pense, dit-il en désignant Louna qui ne bougeait toujours pas.

- Très réaliste comme robot.

- Je ne suis pas un robot, finit-elle par déclarer.

- Je sais bien, je plaisantais, ria-t-il en lui secouant la touffe de cheveux de sa main articulée après que Neuf soit descendu ; venez chez moi j'ai de quoi dormir. Et puis, je m'ennuie tout seul.

Puis il leur tourna le dos et se dirigea vers l'une des carcasses de caravane. Neuf lui courut après et Louna finit par les suivre à son tour. Il pénétrèrent dans l'une d’elles par le trou qu'avait laissé la portière et eurent vite fait d'observer l'intérieur. Sur la gauche, deux banquettes dont il ne restait que la base en bois se faisait face et encadrait un vieux matelas poussiéreux posé sur le sol. Une guirlande lumineuse longeait le plafond et fit dériver leurs yeux vers la droite où une vieille table pliante sur laquelle trônait une grosse radio était entourée de trois chaises, pliantes également, de gazinières et de piles de boîtes rouillées. Le robot se tourna vers eux, et, les led de ses yeux clignotantes de fierté, il s'exclama :

- Bienvenue chez moi !

Épuisé, Neuf se jeta sur le matelas dès qu’il en eut l’autorisation tandis que Louna s'installait autour de la table de camping avec Öyün.

- C'est... spartiate.

- C'est vrai, mais ça me convient. Il me faut juste de l'huile et de l'essence après tout.

Comme en réponse aux sources d'énergie du robot, le ventre de la jeune fille se mit à gargouiller. Elle sortit l'un des bocaux de maïs qui lui restait ainsi qu'une canette de jus de citron tandis qu'Öyün bidouillait sa radio pour la faire démarrer.

- Pourquoi vous suivez la route au fait ?

- On sait pas trop. On voudrait voir ce qu'il y a au bout je crois.

- Bonne chance alors, par ce que c'est vraiment grand comme espace vide ici.

Louna répondit par un haussement d'épaule alors que des grésillements commençaient à s'échapper du poste. La voix qui essayait de se faire entendre tressauta. « Perdus de la toundra bonsoir. Aujourd'hui, comment bien cuisiner ses épines de buisson, comment éviter les campements d'Ouhtrok et où trouver les nouveaux postes d'essence. »

Louna reporta son attention du maïs vers la radio tant ce que le gus avait à lui dire lui sembla fascinant. Öyün, la tête entre les mains et soutenue par ses coudes sur la table, écouta attentivement son petit bonheur quotidien. Le présentateur, qui apparemment s’appelait Kozög, parla d'abord en long en large et en travers de gratin d'aiguillons à l'huile et aux pétales. Les possibilités qu'ouvraient les plantes basses de la toundra rendit le maïs de Louna si fade qu'elle finit par ne plus avoir faim. La suite elle ne la comprit pas vraiment. Il semblait expliquer la localisation des camps d'une tribu qu'il nommait Ouhtrok mais elle ignorait qui ils étaient. Öyün lui parut particulièrement attentif lorsqu'il aborda le problème de l'essence. Une fois les noms des lieux concernés énoncés, il eut l'air plutôt content. Louna aurait pu passer des heures à écouter la voix de Kozög et à observer les réaction du robot mais bientôt l'émission prit fin et ils diffusèrent une petite musique celte à la flûte. Öyün éteignit la radio puis se releva d'un coup. Louna l'interrogea du regard, ce à quoi il répondit :

- J'ai besoin de me refaire une réserve d'essence, et pour une fois c'est pas trop loin d'ici.

- Tu pars maintenant ? C'est urgent ?

- Pas vraiment mais au moins ce sera fait.

Louna jeta un œil à Neuf qui dormait encore sur le matelas crasseux dans une position étrange, son chapeau toujours sur la tête mais cette fois pour cacher ses yeux de la lumière.

- J'ai pensé que Neuf voudrait peut être venir aussi, si on attendait qu'il se réveille ?

Öyün la fixa quelques instants puis hocha la tête dans un grincement. Les articulations de son cou devaient être rouillées. Il fit volte face et ramassa une grosse boîte en métal à ses pieds. Aux motifs qu'il restait sous l'usure, il devait s'agir d'une boîte de bonbons. Il la posa sur la table qui manqua de s'effondrer quand il trébucha sur sa chaise et s'appuya dessus pour rester en équilibre . Il finit finalement par se rasseoir et ouvrit le couvercle tandis que Louna, intriguée, avait gardé sa cuillère en suspension au dessus de son bocal, encore rempli de maïs. Il en sortit un manche rétractable en plastique et une série de petites balles en cuivre, qui avaient perdu leur orange pour un vert clair tirant sur le bleu, puis s'exclama fièrement :

- Si tu veux je t'apprends à jouer !

- Dehors alors.

- Bien sûr.

Louna finit sa canette de jus de citron et referma son bocal puis le suivit à l'extérieur. Il dégagea un petit espace de terre entre les plantes, y fit un trou avec son talon et clouta une planche sur le manche en plastique. Puis il lui expliqua les règles. Il s'agissait de lancer une des balles le plus haut possible au dessus de soi, puis de parvenir à faire rentrer une autre balle dans le trou avec le manche avant que celle lancée en l'air ne retombe. Louna, amusée par un jeu d'apparence si simple, laissa Öyün commencer. Sa force mécanique couplée à sa connaissance du jeu fit qu'à peine il se fut débarrassé de la première balle, l'autre était déjà dans le trou. Ses led en clignotèrent de fierté tandis qu'il tendait le manche à Louna. À la première tentative elle n'eut même pas le temps de taper dans la deuxième balle que la première manqua de lui tomber dessus. À la deuxième elle y parvint mais elle ne rentra pas dans le trou. Elle se rua dessus pour l'y pousser de nouveau mais le temps était écoulé, la gravité avait ramené la première balle au sol. Öyün proposa de lui montrer une nouvelle fois mais elle garda jalousement le manche en lui assurant que ce sera son tour quand elle aurait réussi une fois. Elle essaya encore et encore tandis que la nuit tombait doucement. Les grillons redoublèrent d'effort pour percer le silence de la Toundra alors que les led du robot, assis depuis un certain temps, se mêlaient doucement aux lumières des vers luisant. Un « Wouhou! » vint rompre le calme environnant lorsque la deuxième balle rentra dans le trou, suivi du bruit de la chute de la première sur la terre.

- J'ai réussi ! T'as vu ?

- C'était super, répondit-il joyeusement en levant une pince.

- À toi du coup ?

- Je pense qu'il vaudrait mieux aller réveiller... Neuf ? Avant qu'ils ne changent la station d'endroit .

- Hum oui tu as sans doute raison, allons-y.

Ils rejoignirent la caravane avec les balles et le manche, rangèrent tout dans la boîte puis Louna secoua doucement neuf, toujours étalé sur le matelas sale du fond de la roulotte. Il émit quelques grognements puis sortit de sa torpeur. Il se redressa lentement tandis que Louna lui expliquait la situation.

- Vous devriez prendre toutes vos affaires. Presque personne ne passe par ici mais on n'est jamais vraiment sûrs pas vrai ?

Louna acquiesça et ramassa son sac qu'elle mit sur son dos, prit sa lanterne puis se saisit délicatement de son pied de mandarines. Il avait beaucoup souffert dans la neige mais le soleil de la toundra qui semblait pourtant toujours à l'horizon et jamais au dessus d'eux, lui avait redonné de sa vivacité. Neuf se saisit également de ses affaires et ils rejoignirent Öyün qui les attendait déjà au dehors où un voile sombre s'abattait peu à peu sur les ocres du jour. Ils prirent la direction opposée à la longue route rectiligne et s'enfoncèrent dans les bas buissons de la toundra. Ils marchèrent longtemps dans le bruit des grillons qui avait décuplé au tombé du soir, en évitant d'écraser les énormes insectes, essentiellement des scarabées d'une vingtaine de centimètres, qui se baladaient sur le sol nu entre les rases plantes. Quand le fourmillement qui secouait la plaine se calma peu à peu avec l'avancée de la nuit, ils furent plongés dans un étrange silence que seuls brisaient le crissement de leurs pas sur les buissons confondus dans la poussière. Les lanternes et les yeux du robot brillèrent d'un éclat nouveau dans ce noir naissant.

Puis au loin, d'autres lumières et les grésillements des néons de la boutique qu'ils devaient rejoindre. Au fin fond ce désert, la bicoque était complètement perdue au milieu de nulle part. Des guirlandes lumineuses étaient accrochées aux bords du toit et éclairaient les vielles planches qui semblaient grincer, malgré l’absence de vent. L'enseigne sur le côté éclairait le devant de la cabane ainsi que les quatre pompes à essence, rouillées et couvertes de tags colorés, sagement alignées sur le goudron que rejoignait la route la plus proche. Ils s'approchèrent doucement de l'endroit, contournant les véhicules qui s'étaient probablement garés là pour la nuit et d'où jaillissaient la lumière des lampes torche de leurs occupants. Ils poussèrent les vielles portes du magasin par lesquelles l'éclairage s'échappaient via les fenêtre crasseuses qui l'habillaient un peu. Öyün entra le premier et se dirigea aussitôt vers le comptoir tout au fond pour avoir son bidon d'essence, suivit de près par Louna et Neuf qui, eux, restèrent en arrière. La boutique baignait dans une semi-obscurité, la faute à un éclairage uniquement constitué de quelques ampoules usées et de guirlandes colorées. Le long des murs, de très longues étagères supportaient toutes les marchandises, ni rangées ni étiquetées, que le gaillard qui tenait l'endroit avait à proposer. Il y avait de là quoi faire pâlir n'importe quel collectionneur. S’étalaient jusqu'au fond des carcasses de scarabées, des fleures fanées en pot, des piles de livres jaunis et écornés, des lunettes abîmées, des petits bijoux divers et variés, des tasses et des bol, des vêtements, des petits appareils grésillants et des corbeilles de fruit ayant une plus ou moins belle tête. Dans les foulards accrochés au porte-manteaux près le l'entrée, l'un d'eux attira l'attention de Neuf.

- Regarde, on dirait les mêmes rayures que celles du pull d'Eddo.

- Tiens oui c'est vrai... tu peux le prendre si tu veux.

Neuf s'avoua qu'il en avait bien envie. La jeune fille n'était plus là pour le porter mais il pouvait bien s'en charger. De son côté Louna, qui s'était dégoté une nouvelle casquette pour remplacer celle du vieux pêcheur, s'approcha des petits appareils en forme de minces calculatrices avec une antenne qui s'alignaient au fond d'une étagère un peu plus loin. Elle s'en saisit d'un et appuya sur l'un des boutons qui semblait être là pour démarrer l'engin. Sur l'écran brun s'afficha un petit menu sur lequel elle pouvait lire:

« Routes

Réserves

Essence

Troupeaux

Ouhtrok

Radio»

Elle cliqua sur « Routes » avec le rond au centre des flèches et s'afficha sur l'écran une carte simpliste des environs où les axes routiers formaient de long trais noir au milieu du vide brun de la toundra.

- Neuf, Neuf, regarde !

Le foulard dans les mains, l’intéressé s'approcha et Louna se mit à sa hauteur. Devant la carte, le brumeux eut la même réaction qu'elle.

- Il nous faut ce truc.

Ils rejoignirent Öyün au fond du magasin, alors en pleine négociation pour son prix d'essence. L'homme avec qui il parlementait se détourna de lui en apercevant les deux nouvelles têtes qui s'était placées derrière le comptoir aux côtés du robot, l'un à peine à la bonne hauteur. L'homme sentait l'essence, les cendres, et la liqueur de noisette.

- Qu'est ce que vous me donnez contre ces articles ?

Louna interrogea Öyün du regard.

- Ici ça fonctionne sur le troc, pour prendre ça il faut lui donner des choses en échange.

Alors que Louna cherchait des objets dont elle pouvait se séparer dans son sac, le vendeur donna enfin ses deux bidons à Öyün qui partit les remplir dehors. Au final, tout ce qu'elle se sentait en mesure de donner, c'était de la nourriture.

- C'est quoi ces machins orange?

- Ça ? Des mandarines, ce sont des fruits.

- Connais pas. Y'en a où ?

Louna réfléchit quelques instants, essayant de choisir la réponse qui donnerait le plus de valeur aux fruits.

- Sur une île pas mal loin d'ici.

L'homme les observa avec envie, puis déclara :

- Tu m'en donnes six et trois boîtes de conserves et tu peux partir avec l'engin, la casquette et le foulard. Ok ?

Louna hocha la tête, sortit trois boîtes de son sac et cueillit six fruits au pied de mandarines qui s'en trouva moins nu que ce qu'elle avait imaginé.

- L'engin ne fonctionne qu'en zone toundra par contre.

- Ça s'étend jusqu'où ?

- Si vous traversez un village c'est que vous en êtes sorti.

Louna n'eut pas le temps d'acquiescer qu'un bruit sourd se fit entendre au dehors. Elle et neuf sursautèrent et se précipitèrent hors du magasin pour rejoindre Öyün tandis que le vendeur, peu surpris, se contenta d'un « Oh non pas déjà... ».

À la lueur des néons, un groupe armé pointait comme un seul bloc les canons de leurs pistolets tout autour d'eux, y compris sur Öyün qui tentait autant qu'il le pouvait de trouver un échappatoire. Quand il vit Louna et Neuf sortir, ses LED s'affolèrent. Le vendeur sortit derrière eux et lança une grenade au milieu de l'attroupement. Ils se dispersèrent sur les côtés mais elle n'explosa pas.

- Elle est pas dégoupillée celle là, mais les prochaines le seront si vous ne voulez pas comprendre pour pour avoir de l'essence il faut payer.

Öyün, bien malgré lui, lança les hostilités en reprenant ses bidons pour prendre ses jambes à son cou. Quelques coups de feu furent tirés, ricochèrent sur le métal de sa carcasse et vinrent se planter dans les planches du magasin. Visiblement mécontent qu'on ose abîmer sa cabane, le vendeur poussa Louna et Neuf de devant l'échoppe et lança une autre grenade, dégoupillée cette fois. La masse de silhouettes se dispersa une nouvelle fois et l'explosion les éclaira bien mieux que ne le faisaient les néons et les lampes de poches qui s'étaient réveillées dans les voitures avec les premiers coups de feu. Ils étaient six. Les étincelles retombèrent en une gerbe de poussière et de flammes et les tirs reprirent, sur le vendeur cette fois. Louna et Neuf se ruèrent derrière une camionnette pour éviter des balles perdues. Un échappatoire leur apparut alors, juste devant. Un petit scooter de type livreur de pizza bleu pastel leur tendait les bras, aligné aux côtés de véhicules qui n'étaient pas là quand ils étaient arrivés.

- C'est l'un des leur, chuchota Louna en désignant le scooter.

- Ce serait du vol, grogna neuf en réponse avant de se retourner vers le magasin, inquiet à chaque fois qu'il entendait une balle ricocher contre le robot.

- Il faut bien qu'on se sorte d'ici d'une manière ou d'une autre.

Sur ces quelques mots, Louna se dirigea vers l'engin, accroupie pour rester dans la protection de l'ombre de la camionnette, malgré les protestations silencieuses de Neuf. Les clés étaient sur le contact et le moteur encore chaud. Elle jeta un coup d’œil au réservoir d'essence qui ne se portait pas trop mal, ils ne devaient pas être venus pour remplir celui là. L'occasion était trop belle. Elle grimpa sur le siège, installa ses jambes devant elle, les pieds bien à plats dans ses grosses chaussures et invita neuf à la rejoindre. Il hésita puis se précipita vers elle lorsqu'une balle vint s'écraser tout près de lui. Elle l'aida à monter et l'installa juste derrière elle. Puis elle fit tourner la clé et le moteur vrombit comme un gros bourdon. Les coups de feu stoppèrent lorsque le scooter surgit de derrière les camionnettes. Il eut le temps de rejoindre la pompe à essence où se tenait toujours le robot, immobile avec ses deux bidons dans la main, avant que toutes les armes ne se dirigent contre eux. Mais par peur de viser le réservoir et de le percer, ils n'osèrent d'abord pas tirer. Neuf grimpa sur les épaules de Louna et Öyün, après être resté quelques instants sans réagir, finit par monter à l'arrière avec ses bidons entre les jambes. Dans un nouveau vrombissement et sous une pluie de balles et d'injures, l'engin quitta l'agitation du magasin pour s'enfoncer dans la toundra vers la caravane du robot. Les lumières agressives des néons et des flammes des grenades disparurent pour laisser place au noir de la nuit. Entre l'étendue de la plaine qu'ils traversaient et celle du ciel parsemé d'étoiles, le scooter sembla n'être qu'un grain de poussière visible seulement avec ses phares timides et les led des yeux d'Öyün. Les grillons s'étaient tus depuis un moment déjà et tout ce que l'on entendait c'était ce gros bourdon bleu perdu dans la toundra. Ils arrivèrent finalement près du cimetière de voitures d'où ils étaient partis, la route étant ainsi moins longue qu'à pied. Öyün descendit le premier avec ses bidons, un peu sonné.

- Pourquoi il y a eut tout ce bordel ? commença Louna en descendant à son tour, Neuf toujours sur les épaules.

- Il arrive souvent qu'il y aie des cambriolages dans les stations qui veulent bien distribuer de l'essence. J'avais déjà été pris dans l'un d'entre eux mais jamais à ce point là, dit-il en désignant les impacts de balles qu'il avait sur l’écran de la vieille télévision qui lui servait de torse. Vous avez trouvé où ce machin là?

- Derrière une camionnette. Tu penses que tu peux nous remplir le réservoir avec l’un de tes bidons? 

Oyün acquiesça, arguant qu’il en prenait toujours plus que nécessaire au cas où, puis s’exécuta. Ils passèrent ensuite le reste de la nuit dans la caravane à s’échanger des histoires avec en fond sonore les musiques que diffusait le gros poste de radio. Quand la lumière du jour commença à se diffuser lentement dans l’atmosphère, Louna décida qu’il était temps qu’ils repartent. Le robot ne sut pas vraiment comment réagir, il les connaissait depuis peu mais il s'était bien amusé avec eux. Il se leva le premier puis ils sortirent tous les trois pour rejoindre le scooter et Louna s’installa derrière les guidons.

- Oh si, j’aurais une question avant que l’on parte.

Louna leva un sourcil tandis que Neuf se saisit du sac-mérou pour en sortir le livre qu’il avait ramené du désert.

- Tu connais cette langue ?

Numéro neuf lui montra la page qu’il avait repéré dans la tour, celle qui, à grand renfort d’illustrations, semblait parler de l’histoire d’un lieu précis du monde qu’ils arpentaient. Oyün fixa le texte de longues minutes avant de secouer la tête.

- Hm… Les Ouhhrok ont un dialecte similaire, sauf que personne n’a jamais pu rentrer en contact avec eux. Mais dans les Grandes Brumes je sais qu’il y a quelqu’un qui les étudie ou les a étudié, il est venu ici il y a quelques temps… Viktor je crois.

- Les Grandes Brumes ?

- Une autre zone de la toundra, continuez sur cette route et vous la traverserez de toute façon.

Neuf hocha la tête, prit mentalement en note le nom de Viktor et Louna demanda :

- Tu es sûr de ne pas vouloir venir avec nous? 

Ils avaient émis cette possibilité dans la caravane alors que les deux voyageurs contaient l’une de leurs étapes sur une île tropicale où ils avaient rencontré des animaux encore plus étonnants que les énormes scarabées de la toundra. Et s’il avait sérieusement considéré cette proposition sur le moment, il lui suffit cette fois de réfléchir quelques instants avant de déclarer simplement:

- J'aime bien cet endroit, je crois que si je le quittais il me manquerait beaucoup. Mais si vous revenez dans le coin je serai toujours là.

Louna lui tendit la main avec un large sourire.

- Si on se recroise je veux ma revanche.

Le robot hocha la tête et lui sera la main. Puis elle rejoignit neuf qui s'était déjà installé à l'arrière du scooter, garé sur la longue route qu'ils avaient parcouru si longtemps jusqu'ici. Elle salua Oyün de la main qui leur souhaita un bon voyage, puis tourna la clé dans le contact. Le moteur vrombit et l'engin partit doucement avant d’accélérer de plus en plus vers l'horizon où le soleil s'arrondissait doucement, déversant son orange mandarine sur le monde.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Rimeko
Posté le 25/07/2017
Coucou Lyra !
Bon, oui, je sais, ça fait des jours que je dois faire ces commentaires XD
<br />
Suggestions :
Chapitre 5 :
"Tout semblait comme figé autour d'eux." Le "comme" est de trop, ça a des allures de pléonasme tout ça ^^
"aucuns (aucun) des néons qu'arboraient fièrement les commerces qui pouvaient se les payer n'étaient allumés (n'était allumé - s'accorde avec "aucun")"
"que les bouteilles diverses et variées lançaient un peu peu (coquillette) partout"
"La plupart des conserves qu'il trouva étaient périmées (était périmée - s'accorde avec "plupart") depuis bien longtemps déjà, étaient (était) vide, ou s'étaient faites écrasées (s'était faite écrasée) et laissaient (laissait) s'échapper les aliments goutte après goutte"
"Quand neuf apparu(t) dans l'encadrement avec pleins (plein) de morceaux de verre sur les pieds, elle rougit encore d'avantage (davantage)"
"- Normal c'en est pas un mais une (un) matricule"
"dans laquelle Aytozi (Ayotzi) et elle s'étai(en)t établis depuis un moment déjà"
"Eddo raconta qu’ils n'avai(en)t jamais su ce qui avait poussé les gens"
"conclu(t) Louna en reprenant du chocolat."
"Eddo grelottait devant le feu qui peinait à brûler les bûches qu'ils avaient entassé(es) à l'entrée d'une grosse (grotte ?)"
"Louna et Ayotzi étaient partis depuis quelques jours à la recherche d'un chalet ou d'un abris (abri) quelconque"
"clairsemée de parcelles de terre arides (aride) et d'herbes (herbe) jaunâtre" Singulier ou pluriel, décide-toi XD
"Il repensait à toute(s) ces nuits à observer les étoiles"
"Ils dormirent encore toute la matinée qui suivie (suivit)"
"Louna pris (prit) une grande inspiration"
Chapitre 6 :
"Tant ils étaient minuscule(s) sur ce morceau de goudron"
"Des caravanes et des vie(i)lles voiture envahies"
"il jeta la canette sur le front de Louna qui sur le coup ne su(t) (comment ?) réagir"
"La fente qui coupait le bas de sa tête en deux dans la largeur et qui semblait lui servir de bouche ne pu(t) pas sourire"
"La suite elle ne la compris (comprit) pas vraiment."
"Louna fini(t) sa canette de jus de citron et referma son bocal puis le suivi(t) à l'extérieur"
"Un « Wouhou! » vint rompre le calme environnant lorsque la deuxième balle rentra dans le trou, suivit (suivi) du bruit de la chute de la première sur la terre"
"Devant la carte, le brumeux eu(t) la même réaction qu'elle."
"Louna hocha la tête, sortit trois boîtes de son sac et cueilli(t) six fruits"
"À la lueur des néons, un groupe armé pointait comme un seul bloque (bloc) les canons de leurs pistolets tout autour d'eux, y comprit (compris) sur Öyün"
<br />
Je dois bien avouer que je me souviens plus trop du chapitre 5 (voilà ce que c’est que de procrastiner tout le temsp), à part que la mort d’Eddo m’a tiré une larme alors même qu’on ne la connaissait pas trop, et que cette vision de la ville fantôme était très belle…
En général (et c’est loin d’être la première fois que je te dis ça XD) j’aime beaucoup tes descriptions dans cette histoire, ça oscille entre poésie, magie, absurdité et esthétisme, ça me fait toujours de si belles images en tête <3
J’ai l’impression que Louna et Neuf sont les seuls capables de bouger, de voyager… peut-être les seuls qui survivent aussi, puisqu’on perd de vue tous ceux qu’ils ont rencontrés au cours de leur marche, et aussi parce qu’il y a plein d’endroits abandonnés… Par contre je me souviens que sur ton JdB tu parlais d’un fil conducteur qu’on découvrait dans ces chapitres, mais je dois bien avouer que je suis pas sûre de l’avoir saisi :/ Enfin, j’ai l’impression qu’ils cherchent à comprendre, et on se demande aussi s’il y a une fin à leur voyage, puis y’a le livre qu’ils cherchent à traduire, mais… ça reste flou. En même temps, moi, ça me dérange pas, c’est le style de l’histoire ce côté un peu onirique ^^
J’ai hâte de découvrir la suite !
Lyrou
Posté le 25/07/2017
Coucou Rimrim! Désolé de te répondre si tard et merci pour ton commentaire
Tes corrections orthographiques me sont toujours d'une grande aide merci beaucoup pour ça. Je m'en veux un peu de laisser passer autant de fautes comme ça mais je peux compter sur toi pour faire un filetbis et ça c'est chouette
 Pour ce qui est du fond je suis content que les descriptions te plaisent toujours autant! En ce qui concerne le fil conduceur c'est à prendre entre de très gros guillemets, c'est """"fil conducteur"""" à l'échelle de Mandarines donc rien de bien foufou et c'était effectivement le livre (j'en ai parlé uniquement parce qu'à lorigine dans ces chapitres il n'y en avait pas du tout, rien qui les relient et que donc en soit c'est un fil mais il n'a pas d'importance prédominante, c'est le voyage qui reste au premier plan)
à bientôt rimrim!
Vous lisez