Carnet N°2 : L’illusion du libre arbitre

Notes de l’auteur : Tissons notre liberté en acceptant que nous sommes les fils de notre environnement, dont il est le marionnettiste.

Depuis toujours, l’être humain chérit l’idée du libre arbitre. L’idée que nous contrôlons nos pensées, nos actions, nos décisions. Nous aimons croire que nous sommes maîtres de notre destinée, que chaque choix que nous faisons est le fruit d’une réflexion consciente et indépendante.

Mais au fil de mes voyages et de mes observations, j’ai commencé à douter.

J’ai vu des peuples entiers être façonnés par leur culture au point que certaines idées leur semblent inconcevables. J’ai observé des sociétés où l’ambition est considérée comme une vertu, et d’autres où elle est perçue comme une menace pour l’équilibre du groupe. J’ai rencontré des individus persuadés d’avoir choisi leur propre voie, alors qu’ils suivaient un chemin tracé bien avant eux, conditionnés par des influences qu’ils ne percevaient même pas.

Alors, sommes-nous vraiment libres de nos choix, ou sommes-nous les marionnettes d’un programme invisible ?

Si je suis libre de mes choix, alors je décide de choisir. Mais choisir, est-ce réellement décider ?

Prenons un exemple simple. Un matin, vous entrez dans un café et vous commandez un thé au lieu d’un café. Vous vous dites que c’est un choix libre. Après tout, personne ne vous a forcé.

Mais examinons cela de plus près.

Pourquoi avez-vous commandé un thé ? Peut-être que votre corps réclamait une boisson plus douce après une nuit agitée. Peut-être avez-vous récemment vu un reportage sur les bienfaits du thé vert. Peut-être que, plus jeune, votre grand-mère vous préparait du thé et que, inconsciemment, ce choix vous rappelle un sentiment de confort.

Aucun de ces éléments ne résulte d’une volonté purement indépendante. Ce sont des influences, des conditionnements, des expériences passées qui, ensemble, ont orienté votre décision sans même que vous vous en rendiez compte.

Nos choix sont comme les courants d’une rivière. Nous croyons naviguer librement, mais nous suivons en réalité le cours tracé par notre environnement et notre passé.

L’un des exemples les plus frappants de l’illusion du libre arbitre est l’expérience menée par le psychologue Stanley Milgram dans les années 1960.

Des volontaires étaient recrutés pour participer à une étude scientifique sur l'efficacité de la punition dans le processus de mémorisation.

On leur faisait croire qu’ils allaient jouer le rôle d’un enseignant devant administrer des chocs électriques à un "élève", qui est en réalité un complice de l’expérimentateur.

À chaque réponse erronée, l'enseignant devait infliger un choc électrique de plus en plus fort, allant jusqu’à 450 volts. Mais en réalité, aucun choc n’était administré.

L'élève simulait la douleur, en fonction du nombre de volts faussement administré. Du gémissement, à la plainte, jusqu'à supplier d’arrêter, pour finir par devenir silencieux à partir d’un certain niveau.

Résultat : 65 % des participants ont continué jusqu’au niveau maximal sous l’influence de l’expérimentateur, malgré leurs hésitations et leur malaise.

Interrogés par la suite, ces participants ne se considéraient pas comme des monstres. Beaucoup disaient avoir simplement "suivi les consignes". Ils ne réalisaient pas qu’ils avaient été influencés par l’autorité et l’environnement de l’expérience.

Ce que cette étude révèle, c’est que même nos actes les plus graves peuvent être dictés par des forces extérieures, nous donnant l’illusion d’un choix que nous n’avons en réalité jamais eu.

Prenons l'exemple du capitalisme, un système économique basé sur la propriété privée, la concurrence et le profit. Il nous pousse à la surconsommation et à la compétitivité, favorisant ainsi des comportements individualistes. À l'opposé, pour les Yerenis, des nomades avec qui j'ai vécu en Afrique, rien n'appartient à l'homme, tout lui est prêté. Et celui qui s'attache à un lieu, s'attache à une seule vérité. 

"Les gens pensent qu’ils pensent par eux-mêmes, mais ce n’est pas le cas. Ils sont programmés par leur culture. En fin de compte, ils ne sont libres que dans la mesure où leur environnement le permet de l’être.", voilà les conclusions d'un ami qui comme moi tente d'analyser l'influence de l'environnement.

Mais si tout est influencé par lui, existe-t-il un moyen de s’en affranchir ?

Certains diront que la clé est la prise de conscience. Être conscient de nos conditionnements permettrait d’en atténuer l’impact. Mais est-ce vraiment possible ?

Imaginons un individu qui prend conscience de l’influence de son éducation et décide d’agir différemment. Mais même cette volonté de se détacher est un produit de son environnement. Il a peut-être lu un livre, vu un film, ou rencontré une personne qui l’a amené à cette réflexion.

Ce qui semble être une rébellion contre un conditionnement initial est souvent… un autre conditionnement.

Cela signifie-t-il que nous sommes condamnés à être des automates, suivant un programme invisible ?

Peut-être pas.

Certains courants philosophiques, comme l’existentialisme, affirment que la liberté réside dans l’acte de choisir malgré tout. Même si nos choix sont influencés, c’est dans l’instant où nous décidons, où nous affirmons notre volonté, que réside une forme de liberté.

Peut-être que nous ne pouvons jamais être totalement libres, mais nous pouvons apprendre à naviguer parmi les courants de notre conditionnement.

Si l’on suit cette logique, le libre arbitre est une illusion. Mais cette illusion n’est pas forcément une prison.

Nous sommes des miroirs, certes, mais nous pouvons choisir ce que nous reflétons.

Nous ne pouvons pas totalement nous détacher de notre environnement, mais nous pouvons choisir de le modifier, de l’élargir et de l’explorer sous de nouvelles perspectives.

Ce n’est pas en rejetant l’influence de notre environnement que nous nous libérons, mais en comprenant son impact sur nous.

Et si comprendre l’illusion du libre arbitre, c’était finalement la première étape vers une liberté plus grande ?

Je ne prétends pas détenir la réponse. Peut-être que nous sommes des êtres entièrement déterminés par des forces invisibles. Peut-être que la liberté existe, mais sous une forme que nous ne comprenons pas encore.

Je laisse cette réflexion en suspens, comme une invitation à regarder en soi et autour de soi.

Et vous ? Avez-vous déjà eu l’impression d’avoir fait un choix totalement libre ?

Ou bien, en y réfléchissant, trouvez-vous toujours un fil invisible qui vous y a conduit ?

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JFC
Posté le 24/01/2025
Hello,
L’expérience de Milgram. Je connais, un peu lol Ça démontre que l’humain est prêt à tuer, si les circonstances s’y prêtes. Facile de se dédouanant, sous couvert de l’autorité. Ça soulève des questions importantes sur la facilité avec laquelle nous pouvons être influencés et sur notre propension à suivre les ordres sans remettre en question leur moralité.
Il y a d'autres expériences de ce genre, qui remettent en questions le libre arbitre, et notre étonnante facilité à niais l'évidence, par rapport aux choix que nous faisons.

Étudier différents biais cognitifs est important, au moins pour réaliser que l'esprit humain, son attention, est une ressource convoitée. Publicitaires, hommes politiques, et autres mettent en place des stratégies pour réduire au maximum nos choix.

A bientôt
Nakama93
Posté le 24/01/2025
Hello,

Après lors de l'expérience de Milgram, les 65% qui ont été au bout de l'expérience ont apparemment ressenti pour la.plupart de la culpabilité et du soulagement quand ils ont vu que la victime n'avait en fait rien eu. Ça témoigne quand même sur le fait qu'il savait que ce qu'ils ont fait est mal. Ça n'a pas été le cas pour d'autres qui ont simplement rejeté la faute sur l'expérimentateur sous prétexte qu'il savait ce qu'il faisait. Après cela peut être interprétée comme un mécanisme de défense pour se dédouaner de sa responsabilité sur quelqu'un d'autre afin de ne pas se sentir mal.

Mais oui on est facilement influençable selon la circonstance qui se prête à nous, après le vécu de chacun fera que les choix seront différents face à la situation. Les 35% de l'expérience de Milgram qui n'ont pas été au bout en sont la preuve.

Ce qui renforce la théorie d'améliorer son environnement, pour façonner les meilleures miroirs de l'humanité.

Merci d'avoir lu et commenté :)
JFC
Posté le 26/01/2025
Hello Nakama,

"Ce qui renforce la théorie d'améliorer son environnement, pour façonner les meilleures miroirs de l'humanité." :
que sait-on de l'environnement de cette minorité ? Cela a-t-il été étudié ? Quels sont les points commun et les différences entre les sous groupes ? Ceux qui ont plus "d'humanité" sont-ils dans un environnement plus propice à l'empathie ? A-t-on, de fait, les éléments permettant de créer de meilleures personnes ?

Bon dimanche
Nakama93
Posté le 26/01/2025
Hello,

À ma connaissance, l’environnement des 35% qui ont refusé d’aller jusqu’au bout n’a pas été étudié en profondeur dans l’expérience de Milgram.

Après il y a des analyses sur les comportements humains qui incitent à défier l'autorité et surment que des études ont été mené dans ce sens. Ceux qui détestent l'injustice, ceux qui ont un esprit critique, ceux qui font preuvent d'une forte empathie par exemple sont pour moi plus susceptibles de contester l'expérience de Milgram et être dans les 35%.

Donc, on pourrait imaginer que façonner un environnement où l’on encourage la réflexion, l’empathie et l’indépendance de pensée pourrait donner naissance à des individus plus résistants à l’influence et plus enclins à faire des choix moraux.

Après, rien n’est absolu. Il y a toujours des exceptions, et d’autres facteurs qui peuvent entrer en jeu. Mais si l’on part du principe que nous sommes façonnés par notre environnement, alors chercher à comprendre ce qui rend certaines personnes plus résistantes que d’autres pourrait être une piste pour améliorer nos sociétés.

Merci pour ton commentaire qui pousse à approfondir le sujet.

Bon dimanche à toi aussi :)
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