« Viens, monte. Chut, moins de bruit, en silence. Si Granny nous attrape, elle nous mangera...
— Tu dis n'importe quoi ! Granny elle est gentille, elle mange pas les gens ! »
Embêté par les propos de sa sœur, Timothée fit la moue, son petit nez plissé et sa bouche vers le haut. Ses jambes cotonnaient sur l’échelle bancale, son cœur battait vite dans ses tempes et le vide l’attirait sur le parquet de bois.
Plus forte que tout, l’apesanteur tira les fesses de Léa vers le bas, et il vit de près la Hello Kitty cousue sur la poche du jean. Il la trouvait terrifiante, avec sa tête ronde, son nœud rose et cette grosse fraise tout devant. Comment mangerait-elle un fruit aussi énorme ? Timothée se le demandait.
« Dépêche-toi ! s’agaça le petit garçon. J’ai mal aux mains !
— Oui, oui, ça arrive. Elle est pas facile la trappe. »
Le popotin quitta son nez, et il sentit Léa bloquer sa respiration, avant d’entendre un bruit de gond et du bois qui tombe.
« C’est comment ? demanda-t-il, curieux.
— Tout noir, lui répondit Léa ».
Timothée soupira fort. Évidemment que c’était « tout noir » ! Léa était plus âgée, mais elle se montrait parfois très bête.
« Tu as pris la lampe ?
— Non, j’ai pas trouvé.
— Dans le tiroir de la cuisine, je t’ai dit !
— Oui bah j’ai pas trouvé ! »
Agacée, Léa avait monté le ton, et plaqua aussitôt une main sur sa bouche. En contrebas, des bruits de pas s’approchèrent et elle entra dans la pièce, tractant Timothée à sa suite. Granny l’avait dit et répété : « n’allez pas dans le grenier, jamais. Vous êtes trop jeunes ». Si elle les attrapait maintenant ils se feraient gronder, et adieu la tarte aux pommes du goûter.
Silencieuse comme une souris – et non comme ces gros rats turbulents qu’on devinait dans les combles –, Léa referma la lourde trappe, avant de faire signe à Timothée. Sa posture invitait à se taire et le garçon se vexa : il n’était pas idiot, il savait bien.
« On fait quoi, maintenant ? chuchota l’enfant.
— On vit une aventure ! répondit sa sœur. »
Ces quelques mots firent naître un sourire sur le visage poupin de Timothée et – pris d’un courage immense – il se lança au cœur du grenier, aussitôt englouti par les ténèbres. Il courut et courut encore, le regard fixé vers l’avant, chassant la peur, refusant l’appréhension, pour se jeter contre un volet, et l’ouvrir. Un mince rayon de lumière permit aux yeux de mieux voir, sans pour autant éloigner la bouche obscure.
« T’es fou ! »
S’offusqua Léa, tandis qu’elle le rejoignait.
« Non, je suis courageux ! »
Répondit fièrement Timothée. Comme elle ne parvenait pas à le contredire, sa sœur refit ses couettes, pour s’occuper les mains. Il se sentit heureux de lui en avoir bouché un coin. Il l’aimait bien, sa Léa, mais parfois elle pouvait se montrer pénible.
Désormais, leurs yeux s’adaptaient au sombre et ils voyaient mieux. Le grenier regorgeait de formes, pas encore bien distinctes, et Timothée savait à quel point il allait s’amuser. Son cerveau traçait déjà la carte de ses découvertes, peignant un trajet plein d’aventures et d’exploits. C’est qu’elle était grande, cette pièce, et remplie de creux et de bosses, peut-être d’ennemis même, qui sait ?
Il fut le premier à partir, à s’enfoncer dans la jungle des souvenirs oubliés. Ses doigts touchaient les malles et les vélos, faisant voler un nuage de poussière et quelques toiles d’araignée. Moins téméraire, Léa ne le lâchait pas d’une semelle, s’agrippant à sa manche, pour ne pas le perdre.
« On devrait redescendre »
Finit-elle par proposer, la voix tremblante.
« Mais non ! Regarde, tout va bien. Et puis je te protégerai ! »
Il sentit sa sœur sourire. Et oui, bien sûr que c’était possible ! Comme beaucoup d’enfants, il possédait des pouvoirs que les adultes n’ont pas. N’ont plus.
Sans peur, sans reproche – ou peut-être juste un peu, parce qu’ils désobéissaient tout de même –, le binôme avança. Encore. Légèrement plus. Plus loin. Les murs n’avaient pas de limites, semblaient croître à l’infini. Les particules anciennes faisaient tousser, parfois, et des fils de lumières valsaient dans les rayons.
Soudain Timothée freina, les yeux écarquillés derrière la glace de ses lunettes. Léa le percuta, et poussa sur ses orteils pour voir vers l’avant.
Comme son frère, elle découvrit les mannequins sous les voiles. Ses doigts se crispèrent, Timothée recula un peu. Il faisait moins le fier désormais.
« C… c’est juste des genres de statues, c’est rien »
Léa attendit, fixant intensément les silhouettes, persuadée qu’elles allaient bouger, se jeter sur eux pour les manger. Mais elles n’en firent rien, et elle se détendit.
« Qu’est-ce que ça fait dans le grenier ? s’étonna la petite.
— Granny elle cousait des robes, avant, c’est maman qui l’a dit. »
Il plissa les yeux, essayant de distinguer des vêtements. Les trois formes s’offraient, nues, sous des voiles fins, si fins qu’on voyait parfaitement à travers. Son regard s’attarda sur les courbes, les rondeurs fascinantes qui l’hypnotisaient.
« Elles me font vraiment peur, avoua Léa.
— Moi je les trouve belles ».
La dernière syllabe voleta hors de sa bouche, un petit papillon de son, avec des ailes translucides. Elle se posa sur les bras des statues, qui ouvrirent leurs paupières lourdes, sous lesquelles dormait une lueur mauve.
« Timothée…
— J’ai vu.
— Elles…
— Je sais.
— Elles sont…
— OUI C’EST BON ! »
L’éclat attira l’attention des trois femmes, qui tournèrent leurs têtes en direction des enfants, leurs corps toujours immobiles. Les petits n’osaient faire le moindre mouvement, de peur de les éveiller encore plus. Si l’haleine de Léa chatouillait l’oreille de Timothée, lui ne respirait plus. Attendait.
Jusqu’au premier pas.
Puis le deuxième.
Un bruit de terre qui tremble, et leur membre qui remuait.
Elles avançaient vers eux.
Soudain alerte, Timothée pivota, prit la main de sa sœur et courut dans l’autre sens, direction la trappe. Elles semblaient lentes, venaient de se réveiller : avec un peu de chance, ils seraient plus rapides.
Un choc à gauche.
Il tourna la tête.
Elle était là. Et une seconde à droite.
Un cri de Léa.
Une en face.
Encerclés.
Les deux enfants se serrèrent, et Léa passa un bras autour de Timothée, pour lui faire comprendre qu’elle le protégeait. Il eut moins peur, soudain. C’était comme la fois où le chien de M. Schmitt avait foncé sur lui, l’air méchant. Léa n’avait pas hésité, et en criant, elle avait effrayé le monstre.
La dame de marbre, celle face à eux, monta lentement ses mains vers son visage, pour les placer devant ses yeux. À gauche, puis à droite, les deux autres firent de même. Les lèvres s’agitèrent pour former des mots, que Léa fut la première à comprendre.
« Tim… elles… elles comptent ! »
Ah oui tiens… Maintenant que sa sœur l’indiquait, il voyait bien les chiffres se former sur les visages : 1… 2… 3… 4.... 5… 6.
Comme ils restaient immobiles, la statue d’en face découvrit son regard et tendit le bras, signalant un énorme carton plus loin.
Ils ne comprenaient pas.
La femme de droite bougea à son tour, saisissant son voile pour l’enlever, puis le remettre.
La femme de gauche comptait toujours.
« Je crois qu’elles veulent jouer, proposa Timothée.
— À cache-cache, compléta Léa ».
Trois têtes ordonnées balancèrent ensemble, dessinant un oui lourd, au bruit de pierre. Les deux enfants se regardèrent, circonspects.
« Elles n’ont pas l’air méchantes, constata Timothée.
— Ça peut être drôle, confirma Léa
— Allons-y ! annoncèrent-ils de concert ».
Les statues replacèrent leurs mains, et les lèvres reprirent le compte. Sans tarder, Léa fut la première à filer, cherchant la meilleure cachette, là où on ne le trouverait pas. Elle repéra un grand paravent, très chinois, et se pelotonna derrière, entre deux ballots de vêtements. Puis elle patienta.
Après un certain temps, les pierres se mirent à marcher, audibles. Léa gloussait un peu, se demandant si Tim avait déniché un refuge aussi chouette.
Elle attendit 1… 2… 3. Puis elle attendit 4… 5… 6.
Puis 10.
Puis 30.
Et 60.
Puis on cria.
Tim cria.
Aussitôt, Léa bondit. Sa cheville bloqua dans les vêtements mais elle les chassa, courant vers l’origine du bruit, tournant la tête.
Immobilité.
Les trois femmes avaient repris leur place.
Elle chercha Timothée, cria son nom : deux fois. Sa jambe trouva du vide et elle se rattrapa in extremis. Son genou lui fit mal, écorché.
Le regard plongea dans le creux. Lentement, étape par étape.
La nuque de Timothée formait un angle de 90 degrés, et ses yeux fixaient le mur.
Immobiles.
80... 81… 82…
« Léa ? Timothée ? Vous êtes dans le grenier ? Descendez, c’est dangereux ! Et faites attention au trou. »
Mise à part ça, c'est très bien écrit ! on se laisse emporter très facilement par ta plume. Je trouve qu'il y a une certaine fraîcheur dans ce que tu écris
Mais j'aimerai bien savoir ce que sont réellement ces statues ? :D
Alors ça... excellente question... est-ce que la Grand-mère est une sorcière avec des objets bizarres ? Est-ce que les enfants se sont laissés porter par leur imagination ? Est-ce que ce sont des fantômes ? Mystayre... :D
Tu as un véritable talent, tu nous emmènes dans ton monde et on a du mal à en sortir sans émotions !
J'avoue... j'aime tuer des enfants... (je suis prof, c'est pour ça, une sorte de catharsis...)
Oh talent peut-être pas ! Je bosse beaucoup, je fais des plans, je laisse tourner dans ma tête un moment... Jamais de talent, que du boulot et de l'entrainement !
Mais merci beaucoup pour ce commentaire, il fait tout chaud au coeur !
Je continue à penser qu'il y a malgré tout une part de talent :)
Et oui... toujours écouter les adultes... Bon sauf quand ils attendent devant l'école avec des bonbons dans un pardessus... eux... non... on n'écoute pas. JAMAIS
Prenante cette histoire. Mais du coup, ils jouaient tous seuls avec leur imagination ou les statues bougent vraiment ? Là est la question.
Ca aurait été une bonne idée de chute tiens ! J'y avais pensé, mais c'était un peu plus attendu, je trouve...
Puis quoi de mieux que de tuer violemment un enfant ? Je vous le demande !
Héhéhé, une question qui restera en suspens :p
Je suis vraiment trop naïve, je n'ai pas du tout vu la chute venir, ce qui la rend d'autant plus efficace et terrible. Et ta plume ! Elle est si vivante, elle met directement dans l'ambiance.
Bref, j'ai aimé. Mais on va être honnêtes, j'ai jamais douté que ce serait le cas. <3
Ah ça... nos autres enfants m'inspirent souvent, je m'en rends bien compte... j'ai toujours un ou deux GP quelque part dans mes histoires, et des pirates qui n'y ressemblent pas, mais font tout autant de de mal !
Heureuse que ça t'aie plu !
Jusqu'au bout, j'ai espéré un sursaut un peu plus gai ^^
Tu introduis le fantastique tout doucement et nous fait bien douter.
C'est vraiment génial de voir la variété des idées sorties d'une même image !
Bon ok, ça ne fait pas forcément deux... Mais j'aime tuer des enfants, est-ce ma faute ? (oui).
Ouiii ! C'est impressionnant... je pensais qu'on aurait tous un peu les mêmes idées mais absolument pas du tout ! C'est génial !
Encore merci à Aliie pour avoir proposé ce challenge **
Au fil de la lecture, j'ai cru que je voyais le mal partout et que c'était simplement une partie de cache-cache à la sauce fantastique. Je me remettais en question et… BAM! la chute !
Bravo d'avoir joué avec moi ! C'est glauque à souhait, brr…
Avec moi le mal EST partout, on commence à s'y faire quand on me connait un peu :p
Je ne suis même pas arrivée à surprendre Slibb xD
Heureuse d'avour pu jouer à chat avec toi, petit Dé national !
Quand tu imagines que l'histoire va finir bien et de manière poétique mais que PAS DU TOUT ! XD
Excellente intrigue, excellente chute, excellente narration, excellents dialogues, excellente structure, excellents personnages. Excellent x 3000 !
Tu as vraiment un style bien à toi. Il y a une signature Zig dans ta manière d'écrire et je suis presque sûre de pouvoir reconnaître tes textes à l'aveugle.
Encore plus avec tous ces compliments que je ne mérite pas u_u
Même remarque que pour Allie : c'est fou... j'ai l'impression d'être tellement terne et répétitive et lente... C'est peut-être ça mon style propre, tu me diras xD Le style tortue cul de jatte !
J'espère qu'on pourra lire une nouvelle à toi dans ce challenge, j'ai trop enviiiie.
*Montre le bureau à Pétra*
J'ai été bluffé par ton histoire ! J'adore ta façon de raconter les deux enfants aventureux. Le vocabulaire est super riche et varié, et par moments reflète bien l'âge des protagonistes !
J'adore aussi ta façon de nous faire hésiter entre le réel et le surnaturel, entre les "pouvoirs" de Tim, la sinistre interdiction de la grand-mère, le "papillon de son", le mouvement des statues qui pourrait tout aussi bien être un jeu inventé par les enfants...
J'ai vraiment beaucoup aimé ! Et si tu permets le jeu de mots... Belle redéfinition de principe de "chute"...
J'ai relevé cette phrase parce qu'il me semble que la deuxième partie devrait être au pluriel, sauf si j'ai mal compris :
"Un bruit de terre qui tremble, et leur membre qui remuait."
Que de compliments, je rougis comme une tomate face à un boursin °//°
Ah le doute.... la base de toute Nouvelle Fantastique ! Ce n'est pas simple à mettre en place, et j'avais l'impression de m'être bien foirée comme il faut ;_;
Et j'aime faire chuter les enfants... ça devient presque un tic d'écriture à force, il va falloir que je fasse gaffe !
Et je confirme bien ! Il faut un pluriel là-dedans. Merci !
Oh pauvre Timothée :(
C'est vraiment super bien écrit, les mots sont choisis avec soin et nous font imaginer la scène. J'avais le grenier sous les yeux !! ^^
L'image du papillon de son est très jolie !
J'ai vraiment beaucoup aimé, bravo !
Mais non enfin ! Peut-être trouvera-t-il un monde plus doux, plein de confitures et de petits gâteaux (non).
Merci d'avoir lu, et posté un pitit mot gentil ♥
Tu me connais si bien... Ca m'a fait sourire, parce que c'était l'une des deux fins imaginées (la Grand-Mère cannibale).
Puis j'ai vu qu'il m'aurait fallu une structure plus longue, avec au moins une péripétie de plus, et je ne voulais pas dépasser les 2 k
Mais je pense la ré-écrire après le challenge.
Donc tu m'as définitivement bien cernée :p