Concours 1 : Brain Storming

Par Zig
Notes de l’auteur : Nouvelle en marge du concours du 29 février 2020 !

« Salut les gars ».

Tous les matins, Chemisette-cravate – comme l'appelaient ses collègues de travail – arrivait avec cette petite phrase toute faite, éternel salut mi-décontracté, mi policé. La particularité du jour ? C'était le soir, et non le matin, parce que Chemisette-cravate taffait de nuit. Toute la semaine il avait pété les reins de sa team, répétait à qui voulait l'entendre que lui, sans son sommeil, il n'était bon à rien. A ce moment les « copains » s'étaient entre-regardés l'air de dire : « ouais... bah le matin non plus, c'est pas ça. »

L'avantage de Chemisette-cravate, c'est qu'il apportait toujours du café. Buvable, en prime, un luxe rare, et avec un nuage de lait. Lorsqu'il débarqua avec ses gobelets – trois en tout – il prit le temps de compter ses camarades, fronçant les sourcils en constatant la couille dans le kawa.

« … Quatre ? Gabi qu'est-ce que tu fous là ? T'étais pas en RTT ?

— Je devais, mais le vieux cochon m'a fait rappliquer.

Merde... jamais bon ça. Quand mister « cojones flottantes » faisait sauter les repos, ça puait sévère. Un peu dépité, le nouvel arrivant demanda, serrant ses petites fesses moulées :

« Connerie ou lubie ?

— Lubie, lui répondit ledit Gabi. Puis alors corsée celle-ci... installe-toi, tu vas voir ».

Et c'est ce qu'il fit : Chemisette cravate laissa tomber son auguste personne, déviant légèrement sa chaise roulante. Il alluma sa Pomme, agita sa souris et checka les notes de service dans le Cloud.

« Oh putain le con... »

Des hochements confirmatoires vinrent souligner la justesse du propos. Oui. Le con.

« Mais... pourquoi ?

— D'après Michou il s'est fait plaquer par sa gonzesse, le big boss. Du coup faut tout nettoyer depuis l'ouverture de la start-up.

— Non mais... c'est pas possible... y'en a pour une éternité.

— C'est ça. Gabi est là depuis ce matin. »

Chemisette-cravate tourna vers le malheureux sa gueule enfarinée. C'est qu'il compatissait sévère, il y avait du boulot pour au moins mille personnes, et ils n'étaient que quatre par fournée.

« On s'organise comment, du coup ? Je prends quelles dates ?

— Un an par personne, sur quatre ans, et on tourne.

— Mais... c'est couillon...

— C'est pas nous qu'avons décidé. »

Ça avait l'air de bien le chauffer, d'ailleurs, Gabi ; et de plus en plus. Il avait des cernes jusque dans le slibard et l'air du type prêt à étriper des chatons. D'ailleurs, à force de laisser monter la pression, il fit sauter la cocotte et jeta le dossier qu'il avait en main, furax.

« Moi c'est fini, je me casse. J'ai supporté le coup de la livraison de pomme, cette connerie avec les lentilles, l'écriture de ces foutus commandements, son délire avec les veaux mais là... ras-le-cul le Gabi. Il se CASSE ».

Et c'est ce qu'il fit. Ni une ni deux il chopa les clefs de sa Fiat luxe, et traîna ses pénates jusqu'à la porte, fusillant du regard le portrait du « grand pape », accroché à la sortie.

« Il est tendu un peu, fit remarquer Chemise-cravate.

— Toi aussi tu le seras d'ici quelques heures, tu vas voir. Ah il nous en a chié des pendules, le couillon, mais des comme ça... jamais. »

L'employé leva les yeux, fixant un instant l'auréole lumineuse des néons blafards.

« C'est vrai cette histoire de nana ?

— Ouais, lui répondit Michou. Elle lui a signifié que c'était mort entre eux, du coup il nous demande de supprimer sa date d'anniv' du calendrier. Et faut tout re-calibrer. »

Un soupir, suivi de plusieurs autres. Les cafés ne seraient décidément pas de trop, l'équipe en avait pour la nuit.

« C'est quelle date du coup ?

— 29 février, mais faut virer le 30 aussi, sinon ça fait un trou.

— Heureusement qu'elle n'est pas née en plein milieu du mois, constata Raph', moins vindicatif que les autres.

— T'as qu'à poursuivre le job de Gabi, le coupa Michou. Tu vires les 29 et le 30 février et dès qu'on a fini, on va se rincer le gosier à coup de roteuse. »

Gabi l'ouvrait grand mais il bossait bien, aussi Chemise-cravate se montra-t-il plus que satisfait par l'arrangement. Avec un peu de bol, son collègue s'était déjà farci les trois quarts du calendrier depuis la création, et il pourrait bâcler vite-fait le reste avant de foutre les doigts de pied en éventail.

Désireux de bâcler le bousin en vitesse grand V, l'immense feignasse se pencha sur le dossier, et lança un rapide coup d’œil sur le boulot déjà plié.

Il fit défiler.

Encore.

Et encore.

« Les gars... vous m'avez dit 30 ET 29, hein ?

— Ouais, pourquoi ?

— Parce que Gabi il a supprimé que le 30.

— Oh le con ! »

Michou fit rouler sa chaise ergonomique, fournissant de petits pas ridicules mais qu'il parvenait presque à rendre sexy : le privilège de l’entraînement.

« Merde t'as raison.

— Ah nan, ronchonna Chemisette-cravate, je me re-tape pas tout.

— Mais, on n'a pas vraiment le choix, tempéra ce suce-boule de Raph'.

— Rien à foutre, y'a quasi un millénaire de rectifié là. En plus faut reboot la matrice non, c'est cramé je gère pas ça. »

Les quatre hommes – oui parce qu'on l'oubliait souvent, mais Joph aussi se trouvait là – se regardèrent et communiquèrent assez simplement leur décision.

« En soit... il vérifie jamais le patron.

— C'est vrai, confirma Michou. Regardez, on a foiré avec Moïse et il a jamais rien su.

— Puis c'est de sa faute aussi, enchaîna Joph, y'a trop de trucs à gérer et on n'est pas assez. Faut embaucher à un moment.

— C'est ça, valida Raph', et puis entre ses lubies et ses erreurs... c'est difficile de toujours passer derrière.

— On fait quoi alors ? conclut Michou.

— On laisse ce qu'a fait Gabi, trancha Joph. »

Et ils firent comme ils avaient dit. Chemisette-cravate continua tranquillement à supprimer les 30 février de la liste, permettant à ses 29 de survivre tranquille pépouze, là où tous les autres se voyaient joyeusement éradiqués. Après un moment Michou – qui décidément savait toujours tout – grommela pour tous :

« Parait qu'il a fait un bâtard l'autre saligaud. D'ici qu'il nous demande de caler une fête sur la date de naissance et d'en faire un jour férié, y'a qu'un pas.

— Ah non hein, c'est super chiant à mettre dans le programme ça. Je vous jure il nous fait un truc du genre je me barre.

— Le prends pas comme ça Luci, l'apaisa Joph. C'est qu'une rumeur, le vieux est quand même pas aussi con.

— Je me barre, je vous dis, je vous préviens. »

Et, deux mois plus tard, il fit ce qu'il avait dit.

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Yvaine
Posté le 16/06/2020
Hello !
Je suis totalement d'accord avec GreatFondue, le style est très particulier, il nous emporte directement dans l'histoire et c'est très agréable ! L'entreprise semble si réelle qu'on ne se dit même pas "c'est pour expliquer le 29 février, ce texte", non, on laisse couler et c'est génial. Et puis la fin... Tu as quelque chose avec les chutes !
J'ai adoré ❤
Zig
Posté le 18/06/2020
Coucou !

Ah ça... j'avais très peur que le côté très "familier" ne passe pas, je trouve d'ailleurs qu'il y a parfois des termes qui sont trop peu naturels et trop forcés ("cojones flottantes", par exmeple), et je vais le remanier quand j'en aurai la possibilité, je pense !

Merciiii ! Les chutes c'est ma grosse angoisse... Pour moi, une nouvelle = une vraie chute, et je passe des heures à chercher quelque chose qui puisse vraiment surprendre. C'est d'ailleurs très dur de ne pas aller vers les mêmes choses et se répéter :/

Un gros merci de me lire et me commenter, c'est adorable !
Yvaine
Posté le 18/06/2020
Je trouve ça génial et original, mais c'est toi qui vois !
Si ça peut te rassurer, tes chute sont toujours parfaites, alors félicitations ♥️
GreatFondue
Posté le 15/06/2020
Aaaah j'adore ! Je me demandais bien de quoi ça parlait, et les diminutifs m'ont permis de faire le rapprochement !
Le style est très vivant, efficace et prenant.
Bravo !
Zig
Posté le 18/06/2020
Coucou !

Merci d'être passé.e lire par ici ! Le challenge lancé par nos admines était vraiment sympa et j'avoue que je me suis bien amusée !

La structure est maladroite et je la retravaillerai un jour, mais je suis déjà contente qu'elle puisse plaire en l'état !
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