À Santerra vit une Artiste.
Cette artiste, c’est la fille d’un grand musicien. Un homme qui a parcouru le monde avant de revenir dans sa ville et la couvrir d’or. Devant l’Académie, sur la place principale, il y a une statue de lui et de son instrument. En été, les jeunes gens l’entourent et rient, comme protégés par son ombre.
L’Artiste, elle, ne descend pas souvent. Son atelier est dans le grenier de l’Académie, au-dessus du cinquième étage. Quand les enfants sont en pause, certains montent et jouent à cache-cache au milieu des œuvres. L’Artiste les laisse faire, souvent, et profite de l’instant comme d’une pause.
Ce jour d’été, ils sont deux à visiter. Une petite fille et un petit garçon. Cela fait longtemps qu’ils ne sont plus montés - l’Artiste avait gardé l’entrée fermée plusieurs mois. Mais cette fois, ils ne se sont pas trompés : le panneau ”NE PAS DÉRANGER” a été enlevé.
Lorsque Camilla et Timéo finissent d’escalader l’échelle qui mène à l’Atelier, ils restent un instant stupéfaits : c’est que les lieux, avec les mois, ont changé.
C’était connu, à Santerra : l’Artiste faisait de tout. Mais là, entre les murs poussiéreux, ils ne voient que des statues. Figées dans la pierre, elles sont si détaillées que Camilla et Timéo retiennent leur souffle en se glissant parmi elles : figures longilignes et menaçantes, femmes pensives et maussades, toutes semblent suivre les enfants de leur regard sans âme alors qu’ils s’avancent. Un peu plus loin, là où les combes ne laissent plus tant d’espace, il y a un coin de vie. Une couche sommaire, une cuisine d’appoint, et un bureau sur lequel l’Artiste est affalée.
- Madame ?
Ses épaules frémissent doucement. C’est Camilla qui s’approche en premier et qui, de sa petite main, tire doucement le tablier de l’adulte. Cette dernière se redresse avec vivacité et son regard parcourt la pièce avant de prendre conscience de la présence des petits. Un reniflement, ses yeux sont bouffis. Elle s’essuie le visage de sa manche avec fébrilité.
- Camilla, Timéo... ça faisait longtemps, hein ? Désolée pour le désordre.
La petite fille hausse les épaules alors que son comparse s’approche à son tour.
- Vous avez beaucoup sculpté, madame !
Elle leur répond d’un rire qui les rassure, avant de s’activer.
- Je n’ai plus de biscuits, mais il me reste des tisanes... asseyez-vous !
Ni l’un ni l’autre n’obtempère. Devant leur silence, l’Artiste se retourne. Camilla a fait quelques pas et lui tend une série de feuilles chiffonnées.
- Qu’est-ce que c’est ? C’est pour moi ?
Sourires timides.
- Oui ! Ça vient des copains de la classe.
Avec des gestes empreints de fragilité, l’Artiste s’empare des feuillets et les fait glisser, admirant chaque dessin comme un trésor inestimable. Dans ses yeux, un petit éclat se débat contre une tristesse ancrée.
- ... c’est très beau. Merci beaucoup Camilla, merci beaucoup Timéo.
Le garçon - qui, à son tour, s’est approché - se blottit soudain contre le tablier de l’Artiste. Cette dernière s’immobilise puis, doucement, lui rend l’étreinte. La petite fille les observe avant de les rejoindre.
- Quand vous avez fermé la trappe... on a eu peur. La maîtresse nous a dit qu’il vous fallait du temps, mais...
Elle ne finit pas sa phrase. La main de l’Artiste, calleuse et pourtant délicate, se pose sur son épaule.
- Je n’ai pas disparu. J’ai juste combattu des cauchemars et j’ai fait des statues. Vous les avez vues ?
Timéo hoche la tête.
- Elles font super peur !!
La tête que tire l’Artiste les fait tous deux rire. Elle finit par sourire doucement, avant de hausser les épaules.
- Ce sont des essais.
Son regard s’égare vers le centre de l’Atelier, où se dresse une forme cachée par un drap immaculé. Les petits suivent et se détachent, comme attirés par le spectre. Plus calmement, l’Artiste les suit.
- Y’a quoi, derrière ce drap ? C’est une statue de quoi ?
- C’est encore une dame ?
Camilla et Timéo font le tour du piédestal alors que l’Artiste arrive à leur niveau. Son regard s’égare vers le haut, suit les contours du drap.
- Vous verrez.
- Allez ! Vous nous donnez même pas un indice ?
La Sculptrice se laisse désirer finit par céder.
- Mon indice, c’est que si je la réussis, ce sera la plus belle œuvre jamais créée.
- Wooow !
- Un autre !
- Encore ?
Les deux petits s’exclament à l’unisson :
- Oui !!
Cette fois, l’Artiste rit de plus belle.
- Mon deuxième indice, c’est que c’est l’heure de rentrer à la maison.
- Nooon !
Sans se concerter, Camilla et Timéo partent chacun de leur côté. La jeune femme soupire et lève les yeux au plafond, comptant jusqu’à 20 en réponse.
- Prêts ou pas, me voilà !
Sa voix s’étrangle sur la dernière syllabe : voir du monde lui avait manqué.
***
Lorsque le soir tombe et que les enfants sont rentrés, il n’y a plus un bruit, dans l’Atelier. L’Artiste ferme la trappe et revient à son bureau, qu’elle éclaire à l’aide d’une lampe de fortune.
Cela fait presque un an qu’elle n’est plus revenue à la maison.
Sur la table, ses outils n’ont pas bougé. Aujourd’hui, elle n’a pas eu la force de les utiliser. Les dessins des élèves sont posés dans un coin, rangés les uns sur les autres. Un courant d’air parcourt le grenier, fait vaciller la flamme et danser les ombres. Le mouvement guide son regard vers la petite carte en papier glacé, celle que l’on a laissé là et que l’Artiste ose à peine toucher.
La veille du soir où elle avait pris la décision de ne plus rentrer, une femme était venue la voir. Au milieu de la procession, vêtue comme une veuve, un chat noir à pattes blanches sur les épaules, elle avait fendu la foule. Les habitants de Santerra lui avaient à peine laissé le temps de l’approcher qu’ils sifflaient déjà, l’insultant à voix basse sans pour autant la toucher :
”Sorcière ! Sorcière !”
Ignorant le venin, la femme avait posé dans ses mains crispées une carte qui pulsait comme un cœur.
”Pour l’instant, tu pleureras. Mais, madame l’Artiste, quand tu auras fini... je pourrais peut-être t’aider.”
Et elle avait disparu, comme avalée par le vent.
La date inscrite en lettres d’argent sur la carte se rapproche, et la Sculptrice tente de l’ignorer. Mais les mois avaient défilé, ses mains s’étaient agitées et avaient tant créée. Jusqu’à en saigner, jusqu’à en oublier le vide intense qui la croque.
Elle le sait, quelque part, cette quête l’a aidée.
La date se rapproche.
***
Lorsqu’elle prend sa décision, personne ne s’y oppose. La voir sortir au grand jour les a tant étonnés que, lorsque la Sculptrice annonce son départ, les regards s’échangent mais personne n’ose rien dire à part quelques encouragements craintifs :
”Fais ce qu’il faut pour aller mieux mais reviens-nous.”
Comme ton père, reviens-nous couverte d’or.
Ils n’ont rien dit, mais l’ont pensé trop fort.
La gare de Santerra n’est jamais bien remplie. L’Artiste y attend, d’abord au café puis sur un banc, lorsqu’il faut fermer. Contre la poche de sa chemise, le papier chauffe et pulse. Dans cette ville comme ailleurs, on se méfie des Sorcières et leur magie secrète, mais la Sculptrice n’en a cure.
Qu’a-t-elle réellement à perdre ?
Un vent désagréable se lève alors que la pendule indique 2 heures du matin. Penché sur un livre qui la tient à peine éveillée, la Sculptrice ne voit pas tout de suite arriver le train. Ce dernier, noir comme la nuit, se glisse sur les rails sans un bruit avant de s’immobiliser. Ce n’est que lorsqu’un passager la hèle que l’Artiste sursaute, glisse son livre dans les poches de son manteau et, entraînant le grand étui de son instrument avec elle, se précipite à l’intérieur.
Devant la porte, un contrôleur lui tend la main. C’est maladroitement que la jeune femme lui présente la carte. Ce dernier l’examine quelques instants avant de hocher la tête et la lui rendre. D’une voix lourde de baryton, il ajoute :
- Ce ticket vous sert aussi d’entrée à la Foire. Ne le perdez pas.
Ce n’est qu’au moment où il se retourne que l’Artiste aperçoit les deux ailes noires qui prennent racine sur son dos.
Un frisson la parcourt, sans que sa résolution ne faiblisse : dans le monde que les Sorcières fréquentent, de telles choses sont courantes.
Les wagons ne sont pas bondés, mais il lui faut tout de même trouver un endroit où son étui ne dérangera personne. Au bout d’une recherche éreintante, la jeune femme finit par s’asseoir dans un carré quasi désert, en face d’une femme âgée vêtue de noir. Cette dernière l’observe en souriant.
- Vous vous rendez à la Foire ?
L’Artiste hoche la tête avant de caler l’étui entre sa place et les rideaux tirés de la fenêtre. Une fois qu’elle y parvient, elle soupire et s’adresse à son interlocutrice :
- Est-ce qu’il y a quelque chose qu’il faut savoir, avant de s’y rendre ? On ne m’a pas dit grand chose.
La femme resserre sa prise sur le pommeau de sa canne.
- Vous êtes invitée, vous n’avez donc jamais vu d’Esprits intangibles.
Sans attendre de confirmation, elle laisse un rire malicieux franchir ses lèvres.
- Ils sont susceptibles. Si vous ne vous écartez pas sur leur passage, ils risquent de vous traverser et prendre un peu de vitalité.
L’Artiste ne répond rien, bien que le frisson qui escalade ses vertèbres en cet instant parle pour elle. Dans sa poche, la carte s’est remise à pulser, lui rappelant qu’elle n’est pas si loin.
Alors que sa voisine se détourne d’elle, la jeune femme sent le train ralentir sa course. L’idée de descendre à cet arrêt l’effleure, mais le souvenir de la statue sous le drap balaie tous doutes.
L’idée la visse à son siège, avec une détermination renouvelée.
Si je la réussis, ce sera la plus belle œuvre jamais créée.
***
Lorsqu’elle pénètre à l’intérieur de l’immense grotte, ses sens sont assaillis de toutes parts. Derrière elle, des créatures dont elle ignore la nature hurlent à la foule de s’organiser. À droite, une fillette demande à son père de lui ”acheter un fantôme”. Un peu plus loin, deux silhouettes composées d’ombres dégustent des brochettes où sont piqués des petits cœurs écarlates. Perdue, l’Artiste se laisse bousculer avant de reprendre ses esprits. Plus loin, elle distingue, en-dessous des milles lampions qui illuminent la caverne principale, l’entrée de grands tunnels creusées dans la roche.
L’un d’entre eux la mènera à la Sorcière, mais lequel ?
Il faudra bien qu’elle marche, pour le trouver.
À force de parcourir les galeries, l’effet de surprise laisse place à une curiosité presque enfantine : si son regard croise parfois celui d’autres êtres humains, la Sculptrice se rend bien compte qu’ils sont en minorité. La Foire abrite bien plus de créatures - humanoïdes ou non - de Sorcières et d’Esprits, parfois tangibles. Plus d’une fois, un vendeur ou l’autre l’a arrêtée, curieuse de voir le contenu de son étui, mais l’Artiste a décliné : ici, il n’y a qu’une personne qu’elle souhaite voir.
Alors qu’elle débarque dans une énième caverne - remplie cette fois d’enfants qui s’amusent autour d’une fontaine aux eaux dorées, la jeune femme finit par se décourager. Laissant glisser l’étui de son dos, elle s’assied sur un banc de pierre et pose la tête dans ses mains.
Quel mal lui ferait-il, de s’endormir sous les lampions ? Est-ce qu’un Esprit ou un Hybride lui volerait son cœur pour le dévorer ? À cet instant, l’Artiste ne trouve pas la pensée si désagréable.
C’est alors qu’un miaulement, suivi d’un frottement contre ses mollets attire son attention. Rouvrant les yeux, la jeune femme avise un chat noir à pattes blanches, qui ronronne contre ses jambes. Soudain ses yeux s’écarquillent.
- Tu es...
Comme s’il la comprenait, l’animal laisse échapper un miaulement joyeux et file, quittant la grotte-garderie.
- A... attends !
Il faut qu’elle le rattrape. Mue par cette pensée, l’Artiste se redresse, attrape son instrument et sort à son tour. Arrivée à une intersection, elle parvient à repérer les pattes de l’animal qui se faufilent entre les visiteurs. Son pas s’accélère alors qu’elle traverse un spectre qui lui adresse des insultes en une langue inconnue, et l’Artiste crie une excuse pressée mais sincère avant de suivre le chat dans une nouvelle artère. Leur course se poursuit assez longtemps pour que la foule se clairsème, ne laissant plus qu’elle et l’animal dans un couloir poreux.
À bout de forces, la Sculptrice s’est arrêtée, reprenant son souffle. Lorsqu’elle se redresse, elle prend enfin conscience du vide du couloir dans lequel elle se trouve, éclairé très sommairement par quelques petites torches. C’est la première fois qu’elle se retrouve seule depuis qu’elle est est entrée dans la Foire et l’impression est si curieuse qu’elle se demande un instant si elle n’a pas fait faux bond.
Pourtant, quelques mètres plus loin, il y a ce chat qui l’attend.
Une inspiration, deux inspirations, l’Artiste rajuste son étui et s’approche de l’animal. Le couloir finit par déboucher sur une petite grotte dont les murs sont parés d’étagères où sont rangés des dizaines de bocaux. À l’intérieur, des lueurs phosphorescentes illuminent le visage de la Sorcière qui, assise derrière un large bureau, accueille le chat bondissant sur ses genoux.
- Tu es donc venue.
La Sculptrice acquiesce et s’approche, obéissant lorsque la femme lui fait signe de prendre place.
- Je ne te demanderai pas comment tu vas, je sens que la route a été longue.
- Pourquoi installer votre stand aussi loin ?
Un sourire mystérieux étire les lèvres de la femme.
- Mes clients savent où me trouver.
La réplique se perd, avalée par un silence gênant. Brisant le charme, la Sorcière reprend :
- Je sais ce que tu es venue chercher : il n’y a que chez moi que l’on trouve les meilleures âmes.
La Sculptrice hoche la tête alors que son interlocutrice poursuit :
- Mais tu n’es pas sotte, tu sais que marchander avec une Sorcière est risqué. Qu’as-tu à me proposer ?
L’Artiste prend une inspiration, avant de se lever. Redressant l’étui, elle en ouvre la fermeture et en tire une contrebasse de bois verni, aux cordes usées. Le regard de la Sorcière change, se fait comme acéré alors qu’elle aide sa cliente à déposer l’instrument sur le bureau. Et, de ses mains manucurées, la voilà qui palpe l’objet, yeux fermés.
- Cette contrebasse... tu en as joué.
Elle ne cherche pas réponse, pourtant l’Artiste hoche la tête. Tout en continuant de parcourir l’instrument, l’enchanteresse reprend :
- Elle te l’a été offerte par... ton père. Le Musicien. Celui qui a fait la fierté de Santerra. Et...
Sa voix se perd, ses mains s’arrêtent. Alors que ses traits se font plus grave, la Sorcière reprend avec douceur :
- ... tu n’en as plus joué, à sa mort. Tu l’as laissée dans un coin de l’Atelier et tu as versé toutes les larmes de ton corps en repensant à la Musique que vous produisiez.
Un silence, brisé par le bruit infime d’une larme qui tombe sur le bureau. Alors que la vision de l’Artiste se brouille et que ses mains agrippent le tissu de son pantalon, la Sorcière reprend d’une voix étranglée :
- C’était un grand homme, qui t’a toujours soutenue dans tes projets.
Sa voix se tait, et l’Artiste se rend compte qu’elle pleure aussi.
Il y a un temps, un flottement empli de choses que l’on tait. Puis, doucement, la Sorcière rouvre les yeux et s’éloigne de l’instrument, tout en gardant ses mains sur le bois.
- Il faut que tu saches... c’est un objet de grande valeur. Si je te le prends, tu ne pourras plus en jouer.
Incapable de parler, la Sculptrice hoche la tête.
- En es-tu bien sûre ?
Elle hésite, l’espace d’un instant. Et ses mains s’approchent des cordes, cherchant un réconfort là où il n’y a plus qu’absence. C’est alors que l’Artiste se rappelle de ce qui était, ce qui est et ce qui sera, au sein de l’Atelier.
Son chef-d’œuvre qui attend.
Sa voix résonne, tremblante mais avec clarté :
- J’en suis sûre, Sorcière.
L’ensorceleuse lui adresse un sourire chargé d’une tendresse étonnante, avant de se lever et se retourner. Sa main parcourt les bocaux luminescents, qu’elle fait tinter tour à tour, doucement.
- Je sais ce que tu cherches, Sculptrice... mais je dois te mettre en garde. Rien ne garantit que cette âme sera compatible avec la tienne, ni qu’elle sera ravie de ton projet.
Un temps. D’un geste rapide et triomphant, la Sorcière s’empare d’un bocal où bat une lueur bleue.
- Celle-ci a des chances de te convenir.
L’Artiste - debout à son tour - tend les mains et, avec ferveur, se saisit de l’objet. Une douce chaleur se presse contre ses paumes, lui apportant un réconfort insoupçonné. La Sorcière, revenue à son bureau, passe à nouveau ses ongles sur les cordes.
- J’espère que ton chef-d’œuvre en vaudra la peine et que ton idéal ne t’aura pas trompée.
Tout en glissant le bocal dans sa besace, la Sculptrice essuie ses joues humides.
- Ça en vaudra la peine, j’en suis sûre.
La Sorcière lui répond d’un léger rire.
Un temps d’absence, qui s’installe à peine avant d’être chassé.
- Est-ce que ton père savait ?
L’imparfait lui fait mal, mais l’Artiste tente de combattre le vide d’une réplique :
- Il savait, et il était si fier de moi. Je l’ai finie après qu’il... disparaisse. J’aurais voulu qu’il la voie.
- Je comprends.
Nouvelle pause. La Sorcière fait le tour du bureau et attrape l’étui. Un regard en direction de l’Artiste, sourire d’adieu alors qu’elle énonce avec malice :
- Suis mon chat, si tu veux atteindre la sortie.
***
Le chemin du retour est moins dur à trouver. Dès qu’elle sort de la Foire, l’Artiste dit adieu au chat et s’embarque dans le train noir qui vient d’arriver. Malgré sa fébrilité, elle s’endort une fois à l’intérieur et ne sera réveillée qu’à Santerra par le contrôleur ailé.
Il fait nuit, lorsqu’elle arrive dans cette ville qu’elle connaît. Et dès que son pied frôle le sol, la Sculptrice se met à courir à en perdre son souffle. Dans les rues, à travers la grande place, le long des couloirs de l’Académie et jusqu’à l’échelle qui mène au grenier. Quand elle arrive, un rayon de lune éclaire les sculptures qui la suivent de leurs yeux morts alors qu’elle foule de ses pas déterminés le sol qui craque.
Jusqu’à arriver devant la statue cachée, qu’elle dévoile d’un geste précipité.
Un instant, la beauté de la silhouette qui se présente à ses yeux l’arrête dans ses gestes. Immobilisée dans une attitude qui suggère l’attente, la femme de marbre est si réaliste qu’en comparaison, toutes les autres statues perdent leur vague humanité. Éclairée par la lueur de la lune, elle ne semble attendre qu’une chose : la lueur vive qui se débat dans le bocal fermé.
Si je la réussis, ce sera la plus belle œuvre jamais créée.
La Sculptrice avait menti à moitié : elle l’avait finie, mais ne s’en était plus satisfaite. Il lui en avait fallu tellement plus qu’elle en avait trop rêvé et avait le sommeil.
Se plaçant en face de la statue, l’Artiste sort le bocal de son sac. Elle n’est pas ignorante, se rappelle des instructions gravées sur le couvercle. Dessus, il est écrit qu’il faut faire vite, pour ne pas laisser l’âme s’égarer.
L’Artiste entame le procédé.
La voilà qui dévisse le couvercle et, d’un geste ferme mais empli de douceur, applique l’ouverture contre la nuque de la statue.
Aussitôt, une forte lumière se dégage du bocal, si violente que l’Artiste doit en fermer les yeux. Puis retentit alors un cri terrible, empli de douleur et de vie. Paniquée, la Sculptrice lâche l’objet et fait un pas en arrière : et si elle avait fait une erreur ? Et si la Sorcière l’avait dupée ?
Mais le cri se tait, la lumière bleue se fane et laisse place à celle d’une peau lactée.
Il ne reste plus que l’Artiste et, en face d’elle, l’être qui, avec une douceur inouïe, s’anime.
D’une voix chargée d’émotion, la Sculptrice articule un unique :
- Tu...
Mais sa voix se coupe alors que des bras l’enserrent, apportant avec eux la chaleur d’une vie nouvelle, chef-d’œuvre animé par la magie d’un sacrifice. S’abandonnant à cette étreinte, la Sculptrice ferme les yeux et à son tour, enlace sa bien-aimée.
À Santerra, on répète souvent que les statues ne peuvent pas bouger.
Ce dicton a disparu quand Pygmalion a donné vie à Galatée.
C'est fou comme l'univers que tu développes dans cette petite nouvelle est riche : j'ai envie de visiter la foire, l'académie…
J'espère que leur amour va bien marcher <3
Il nous reste encore quelques cartes à tirer, je pourrais peut-être réutiliser cette univers à cette occasion ! Je suis contente qu'il t'intrigue en tout cas, c'est toujours délicat de ne pas noyer les lecteurices sous les infos dans une nouvelle tout en disant assez !
Merci pour ton commentaire ♥
- Ton vocabulaire est très étendu et tu l'utilises vraiment bien ! Tu prends garde de ne pas tomber dans le piège du thésaurus, c'est toujours appréciable.
- Il t'arrive d'utiliser le passé antérieur quand le passé composé aurait mieux convenu, je l'ai vu deux fois. Cela dit, tu exploites très bien l'écriture au présent, et c'est assez rare pour être souligné !
- Tu as tendance à utiliser trop de virgules. J'en ai vu quelques-unes qui étaient fausses d'un point de vue grammatical, et une poignée qui hachaient le rythme au point de me perturber quelques secondes. Cela dit, à part ça, ton rythme est très bon aussi !
- J'aime beaucoup l'atmosphère paisible, étrange, mais un peu triste que tu maintiens tout le long du récit.
- Attention quand tu utilises "C'est + adverbe + action et fin de phrase" comme structure : cela complexifie un peu inutilement ta phrase, puisque "c'est" est une expression considérée comme faible. Je pense que dans ce genre de cas de figure, c'est mieux d'enlever le "c'est" et de remanier la phrase comme il se doit en conséquence, comme ça quand tu utilises des tournures complexes "plus justifiées" elles ressortent mieux !
- Attention, il se pourrait que tu utilises parfois des pronoms sans antécédent (le "l'" dans "elle te l'a été offerte", il me semble, je ne vois pas à quoi le "L'" fait référence mais je peux me tromper)
- Je trouve que ce commerce d'âmes est très original comme idée !
- La chute m'a énormément plu.
Voilà. C'est mon premier commentaire sur PA, j'espère que je n'ai pas trop mal fait ça. J'ai hâte de lire d'autres oeuvres de ta part !
Tu as du prendre du temps pour l'écrire, ce commentaire ! Merci pour ton dévouement.
Je ne pensais pas que mon style avait autant de petits défauts, il faudra que je revoie ça ! Merci d'être passée et contente que la lecture t'ait plu dans l'ensemble :)
Merci beaucoup pour ta lecture et ton enthousiasme :) c'est très possible qu'à l'époque, j'aie été inspirée par Chihiro (ce texte est une grosse réécriture d'une idée que j'avais eu il y a quelques années), j'aime tellement les films de Miyazaki que ce ne serait pas surprenant.
Concernant l'univers, j'y réfléchirai ! Mon projet principal actuel est loin de se passer dans un monde comme celui-ci, mais qui sait ? Peut-être le prochain le sera :)
J'ai mis plus de temps que prévu, mais je suis passée quand même !
J'ai repéré quelques maladresses de structure (je pense), notamment avec la première partie en compagnie des enfants. Je comprends qu'elle est là pour poser le mystère et présenter le personnage, mais je ne la trouve finalement pas essentielle, dans un genre qui a besoin d'être précis, concis, et ne pas prendre de détour.
Mis à part ça, j'ai vraiment adoré ! J'ai vite compris le rapport à Pygmallion et j'ai adoré cette idée de réviser le mythe ! Tu as une écriture très rythmée et dynamique, et tu joues vraiment bien sur les longueurs des phrases.
Attention ici : "Le garçon qui - à son tour, s’est approché - se blottit soudain contre le tablier de l’Artiste."
La phrase entre tiret est une incise, le principe de l'incise c'est que, si on la supprime, la phrase doit quand même avoir du sens. Ici ce n'est pas le cas, ton élément de ponctuation est donc mal placé. Normalement ce devrait être : "Le garçon qui - à son tour - s'est approché, se blottit soudain...".
En résumé : Un très beau mythe, bien écrit et rythmé, qui mériterait peut-être qu'on le simplifie pour le rendre encore plus percutant.
J'ai vraiment beaucoup aimé... c'est le genre de truc que tu devrais nous raconter autour d'un punch, à la prochaine IRL :p
Je suis d'accord avec toi (et d'autres) pour la première partie : en y repensant, j'ai ressenti beaucoup moins d'enthousiasme à l'écrire, mais je l'avais attribué au fait que c'était le début du texte et qu'il fallait bien se remettre dans le bain x')
Merci beaucoup pour l'explication sur l'incise, j'adore l'utiliser (quand je relis, elle forme une "pause" plus longue que la virgule, je ne sais pas si ça fait sens) mais j'avais mal compris son principe. Chaque jour est un jour d'école, comme dirait tu sais qui.
Merci pour ta lecture et ton commentaire constructif. Vivement qu'on se retrouve autour d'un (ou quinze) verre(s) de punch !
Je suis passée voir ton récit, et je n'ai pas du tout été déçue ! Alors je n'ai strictement rien suivi au défi, vu que j'ai le nez dans mes corrections, mais j'ai trouvé ton texte très poétique et très touchant. J'aime beaucoup le rythme de tes phrases, je ne sais pas comment l'exprimer, mais c'est très agréable à lire.
Et forcément, les histoires avec un chat intriguant, ça me plaît ;-)
Deux petites choses en passant :
"Ils sont susceptibles. Si vous ne vous écartez pas sur leur passage, ils risquent de vous traverser et prendre un peu de vitalité au passage." : répétition de passage.
L’Artiste ne répond rien, bien que le frisson qui escalade ses vertébrés en cet instant -> vertèbres.
Au plaisir de lire d'autre chose de ta plume !
Merci d'être passée entre deux corrections :) je suis contente que cette histoire t'aie touchée, c'était le but premier ! Le rythme et la fluidité du texte font aussi partie de mes priorités donc je suis ravie que tu les aies remarqués.
Merci beaucoup pour les "coquilles" aussi, je vais corriger ça.
Bravo à toi d'avoir relevé le défi ! Ton texte est très riche de détails. Tu as pris le temps de développer un petit univers très intriguant.
Merci pour ce joli texte :)
J'ai eu de la chance : les détails de cette histoire me traînaient dans la tête depuis longtemps déjà, je suis contente que tu les aies apprécié. Merci pour ta lecture et ton commentaire :)
A un endroit tu as une expression très familière, ça détonne pas mal dans le niveau de langue.
J'ai préféré la deuxième partie (après le départ des enfants) au début. Je la trouve plus "finie", plus onirique.
Merci pour cette lecture !
Merci beaucoup pour tes remarques judicieuses !
C'est vraiment super touchant ! L'histoire de la contrebasse, et la fin, particulièrement !
C'est très bien écrit, tu m'as embarquée dans ton univers, la lecture était fluide et agréable.
C'était une idée vraiment très originale, bravo !!
"Rouvrant les yeux, la jeune femme avise un chat noire à pattes blanches" → noir ^^
Je suis contente que mon histoire t'aie touchée et que tu aies pu la lire sans encombre. Merci pour la coquille aussi, c'est corrigé !