Carte 6 - Elle est belle la lune, hein ? • Carte 6 bis - L'Homme au chapeau.

Par Zig
Notes de l’auteur : Coucou ! Et oui, non pas une mais deux courtes histoires ! J'avais envie de tenter des variations, et deux idées que je n'arrivais pas à départager. Du coup je me suis dit : "jouons un peu, non ?". J'invite les personnes qui me commentent, à voter pour leur histoire favorite ! (et non, pas le droit aux deux, bande de canailles, c'est trop facile !). Bonne lecture. Récits inspirés par une carte issue de l'édition Odyssey du Dixit, illustrée par Marie Cardoua et Piero.

Carte 6 :

Un homme est assis sur une corde, en compagnie de sa bicyclette. Il porte un chapeau haut-de-forme, a un nez crochu et une silhouette filiforme. Le cyclo – qui s'appelle Ginette – est complexé par sa roue supérieure, bien trop grosse pour sa roue inférieur. Ça manque d'harmonie.

Sous eux passe la ville, en face vit la lune.

 

GINETTE, intriguée — Tu ne la trouves pas trop grosse, la lune, ce soir ?

L'HOMME AU CHAPEAU, après avoir observé la roue supérieure de Ginette — Non, je la trouve comme d'habitude, moi.

GINETTE — Mais pas ça, détraqué ! La vraie lune ! Là ! Juste en face de toi !

L'HOMME AU CHAPEAU — Doucement, ma belle. Inutile de multiplier les exclamatives. Tu vas faire sauter ton dérailleur.

GINETTE, vexée — Tu me reproches de dérailler ?

L'HOMME AU CHAPEAU — Mais non !

GINETTE — AH ! C'est toi qui exclamatives, maintenant !

L'HOMME AU CHAPEAU — Moins que toi.

GINETTE — C'est faux !

L'HOMME AU CHAPEAU — Si, tu vois ? Encore une.

 

Ginette boude, son cadre se plissant sous l'effet de la colère. Elle croise les extrémités de son guidon, pour bien montrer qu'elle en a gros.

Face à eux, la lune fait tomber un building.

 

GINETTE, sortant du silence — Non vraiment, je te dis qu'elle est bizarre.

L'HOMME AU CHAPEAU — Qui ?

GINETTE — Mais la lune, idiot !

L'HOMME AU CHAPEAU — Elle est idiote ou bizarre ?

GINETTE — Bizarre. Pourquoi serait-elle idiote ?

L'HOMME AU CHAPEAU — Tu l'as dit toi-même : « la lune idiot »

GINETTE — Oui, idioT, pas idioTE.

L'HOMME AU CHAPEAU — La lune n'est peut-être pas une femme. Ou une jeune fille. Ou une enfant. Ou une bébé.

GINETTE — On dit LA lune.

L'HOMME AU CHAPEAU — Et alors ? On ne lui a pas demandé son avis. Si la lune pouvait parler, peut-être qu'elle dirait « il ».

GINETTE — Pourquoi la lune parlerait-elle ?

L'HOMME AU CHAPEAU — Et pourquoi pas ? Il y a des choses bizarres, parfois.

GINETTE — Comme la lune qui grossit, par exemple ?

L'HOMME AU CHAPEAU — Elle ne grossit pas. Et puis ça ne se fait pas de dire des choses pareilles. Les fêtes se terminent à peine, elle a peut-être trop mangé, c'est tout.

 

Un nouveau silence se pose entre les deux ami.es, durant lequel l'homme au chapeau soulève son couvre-chef pour se gratter les cheveux. La peau reste sous ses ongles et des bourgeons sortent des plaques enlevées.

La lune détruit un collège.

 

GINETTE, agitant sa cocotte droite vers le bâtiment disparu — Mais regarde ! Ce n'est pas normal ça !

L'HOMME AU CHAPEAU, hausse les épaules. Le mouvement déplace de la poussière d'étoile — C'est vrai que c'est lamentable, de laisser tomber son éducation, comme ça. Où va un pays qui ne prend pas soin de ses jeunes, je te le demande ?

GINETTE — Mais pas ça ! Il était entier il y a cinq minutes !

L'HOMME AU CHAPEAU — Oui, le temps file si vite. Cinq minutes plus tôt c'est un collège, puis le temps passe et il tombe en ruine, c'est terrible.

 

Ginette tombe dans le silence, un peu abasourdi. Pendant ce temps la lune détruit tout un quartier.

 

L'HOMME AU CHAPEAU, rêveur — Comme la lune est belle, ce soir.

GINETTE — J'aurais plutôt dit « meurtrière ».

L'HOMME AU CHAPEAU — Tu es jalouse. C'est moche, la jalousie. Elle me plaît moins que toi, tu sais ?

GINETTE, le compliment fait rougir sa peinture, et elle en oublie la lune — C'est vrai ? Je te plais ?

L'HOMME AU CHAPEAU — Évidemment. Tu as quelque chose que les autres n'ont pas. Ce « je ne sais quoi ».

GINETTE — Cette drôle de voix ?

L'HOMME AU CHAPEAU — Parfaitement. Un peu ferreuse, presque rouillée. Ça donne du charme.

 

Ginette est si émue, qu'elle n'ose prononcer le moindre mot. La lune est maintenant tout près d'eux, et elle est si énorme qu'elle semble sur le point d'exploser.

 

GINETTE, la voix tremblante — M'épouseras-tu un jour ?

L'HOMME AU CHAPEAU, triste — Je ne peux pas.

GINETTE — Qu'est-ce qui t'en empêche ?

L'HOMME AU CHAPEAU — Tu es une bicyclette, moi un homme au chapeau... Notre amour est impossible.

 

La lune gagne de l'espace, et touche le bout du nez, de l'homme au chapeau.

 

L'HOMME AU CHAPEAU, retenant un éternuement — Ça me gratte, ce doit être les allergies.

GINETTE — Ne changes pas de sujet !

L'HOMME AU CHAPEAU, fronçant les sourcils et louchant un peu face à la lune — Dis... tu ne trouves pas que la lune est bizarre, ce soir ?

 

Le lune les frappe, et ils tombent.



***

Carte 6 bis :

Dans une chambre toute noire, aux murs pâles mais mangée par l'obscurité, dormait un petit garçon. Comme beaucoup d'enfant de son âge, il avait son doudou dans la main gauche, son pouce dans la bouche, et la couverture jusqu'au menton. Cette nuit-là, papa avait oublié la veilleuse, et maman fermé la porte en entier. Les yeux grands ouverts, le petits garçon fixait la fenêtre, juste en face de son lit, où se découpaient les ombres des arbre du jardin.

Mais il n'y avait pas que les végétaux, qui s'agitaient... Une grande silhouette maigre, avec un nez tordu et une bouche immense, le fixait de ses yeux rougeoyants. Le petit garçon voulait hurler mais il ne pouvait pas. Le petit garçon voulait fuir, mais il ne pouvait pas. Le petit garçon voulait pleurer, mais il ne pouvait pas.

Et le grand homme au chapeau haut, toquait à la vitre.

Et la bouche du petit garçon s'ouvrit enfin.

Poussa un cri.

L'homme disparut.

 

Dans une chambre minuscule, aux murs frappés par les rayons de lune, dormait une petite fille. Comme beaucoup d'enfant de son âge, elle avait son doudou dans la main droite, deux doigts dans la bouche, et la couverture sous le menton. Cette nuit-là, papa avait raconté une histoire, et maman allumé le ciel d'étoiles. Les yeux mi-clos, la petite fille somnolait, voyant encore un peu le mur.

Mais soudain, le mur ne fut plus vide... Une grande ombre maigre, avec des cheveux longs et une redingote, agitait ses doigts crochus. La petite fille voulait se lever mais elle ne pouvait pas. La petite fille voulait descendre, mais elle ne pouvait pas. La petite fille voulait pleurer, mais elle ne pouvait pas.

Et le grand homme en habit se désarticulait.

Et la bouche de la petite fille s'ouvrit enfin.

Poussa un cri.

L'homme s'évanouit.

 

Dans une chambre trop vide, où ne trônait qu'une armoire et un grand lit, dormait un couple. Comme beaucoup de couples, ils étaient tournés chacun d'un côté, le bras sous l'oreiller, luttant pour un bout de couverture. Cette nuit-là, l'une avait crié fort, l'autre pleuré. Les yeux rouges, ils fixaient l'un la fenêtre, l'autre le mur.

Mais il n'y avait pas que leurs émotions qui les hantaient... Une grande silhouette maigre, vêtue d'une redingote, les observait à travers les ténèbres. Il avait les cheveux longs sous son chapeau haut-de-forme, et cognait à la vitre en s'agitant. Ils voulaient se serrer l'un contre l'autre mais ils ne pouvaient pas. Ils voulaient s'excuser mais ils ne pouvaient pas. Ils voulaient s'aimer mais ils ne pouvaient pas.

Et le grand étranger dansait, macabre, derrière la fenêtre.

Et leurs corps finirent par se tourner pour trouver refuge.

Pousser un cri.

L'homme s'évanouit.

 

Sur un fil tendu entre deux maisons, un grand homme à chapeau et redingote, avançait en équilibre. Derrière lui la lune brillait, plus grosse que d'habitude. L'astre déchira une bouche dans ses cratères et demanda :

« Alors ? Ça donne quoi ? »

L'homme soupira, tira d'un balcon son grand-bi – qu'il avait caché là – et répondit :

« Rien.

— C'est tout de même fou, que personne ne puisse te prêter du sel ! »

L'homme haussa les épaules, la lune se tut. La nuit fit silence et l'on entendait que des cris.

_______________
 

Fun fact : Durant la paralysie du sommeil, une très grande partie des dormeurs déclare avoir vu un homme avec un chapeau. C'est cette petite anecdote qui m'a inspiré cette nouvelle !

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PetraOstach - Charlie O'Pitt
Posté le 24/06/2020
Je ne veux pas choisiiiiiiiir, je les aime toutes les deuuuuuuxxx ! ♥♥♥♥♥
Mais bon, comme dit Mary Poppins : "S'il le faut, il le faut", alors je mets un ♥ de plus pour la deuxième. J'ai un attrait bizarre pour la paralysie du sommeil, je déteste en faire et en même temps je trouve ça fascinant :D

J'aime beaucoup la variation dans le format, la pièce de théâtre pour l'un et le récit en prose pour l'autre. Ton style se marie parfaitement avec les deux.
Chacune des interprétations fonctionne très bien. Il y a du mystère, de l'étrange, de la surprise, et à la fin, on est conquis !
Zig
Posté le 29/06/2020
Coucou !

Moooooh. Chacun de tes commentaires me rebooste pour la journée, ça fait tellement du bien !

Cette seconde Nouvelle a bien failli ne pas exister, et c'est justement en écoutant un podcast de Inspiré de Faits Réels que j'ai eu l'idée de faire quelque chose sur la paralysie du sommeil ! Le fait qu'un grand nombre de victimes puisse voir un homme avec un chapeau... je trouve vraiment qu'il y a matière à faire quelque chose !
c'est le genre d'inconnue qui se glisse dans la trame de la réalité, pour permettre une sacré fiction !
Elore
Posté le 20/06/2020
*Débarque avec essoufflement* Je suis en retard, je suis en retaaaard ! D:

Après avoir lu tes textes, je suis encore plus contente que cette carte ait été choisie ! ♥

Le premier est absurde et semble "léger" de premier abord, mais je l'ai trouvé très touchant. C'est marrant, ton écriture me fait un peu penser à celle de Lemony Snicket (c'est un compliment). On y sent vraiment, à travers tes jeux de mot et figures de style, un amour de la langue. Je pense que c'est une des raisons pour lesquelles te lire est si plaisant !

J'ai beaucoup aimé le deuxième aussi, j'ai tout de suite pensé à la paralysie du sommeil. Tu as vraiment un rythme impeccable, notamment grâce aux répétitions qui pavent la nouvelle. Et la chute est NICKEL.

À ce qu'il paraît, je dois choisir alors je vais choisir : je préfère un peu la première nouvelle, mais les deux sont super.

Bravo pour ces chouettes textes ♥
Zig
Posté le 22/06/2020
Ah ce retard est inadmissible, attation ! Je veux un mot d'excuse des parents et un justificatif médical !

Haaaan, j'ai adoré Lemony Snicket pendant des années ! (avant que ça ne devienne un brin répétitif, peut-être). Il fait partie des auteurices qui ont marqué mon imaginaire et mon style, ça ne m'étonne pas trop qu'on puisse le retrouver dans mes textes !

Merci beaucoup pour les avis, commentaires et compliments ! J'espère que ça va me motiver à faire enfin la carte 7 ;_; (elle ne veut pas sortir de mon crâne, celle-là...)
_HP_
Posté le 16/06/2020
Coucou !

Ohh mais on est gâtés ! 😝
Je serais incapable de te dire laquelle j'ai préféré, elles sont toutes les deux géniales, et incomparables !! Elles sont dans des styles différents mais il y a toujours une pointe d'humour ^^
Je trouve ces deux nouvelles fantastiques, bravo ♥
Zig
Posté le 18/06/2020
Hello !

Gâtés ? Deux fois plus de lecture et deux fois plus de torture, oui ! Je vous oblige à me lire encore plus ! Je serai vous, j'irais porter plainte au syndicat des lecteurices... ça mérite punition, je pense !

Merciiii ! Et merci aussi de continuer à me suivre et mettre des petits mots !
Cocochoup
Posté le 15/06/2020
Coucou toi !
Tu doubles les plaisirs ❤️
Je suis fan de ginette. J'entend tellement sa voix en lisant le texte. Ce petit côté agaçant, stridant mais si touchant 😍
Et le coté un peu bêta de l'homme au chapeau ça fait un très joli duo !!
Zig
Posté le 18/06/2020
Hello !

Je sais à quel point on est gourmand.es par ici :p
Moi aussi je suis fan de Ginette... elle s'est trouvé une place dans mon âme et - qui sait ? - peut-être va-t-elle finir par ressusciter et venir hanter d'autres textes.

Ouiiii ! Moi aussi je l'imaginais comme ça, sa voix ! Nos radios sont connectées ♥
GreatFondue
Posté le 14/06/2020
C'est cruel de nous obliger à choisir...
J'aime beaucoup le style de la première, ce théâtre comique et humoristique.
Merci pour ces deux histoires
Zig
Posté le 18/06/2020
Je suis comme ça moi... je tue des enfants, je sépare des couples, je force les lecteurs à choisir... Attention, bientôt je vais débarquer chez toi pour faire une conférence sur le Trumpisme (avoue, ça c'est encore plus cruel).

Je n'ai pas l'habitude du théâtre, je crois même que je n'en avais même jamais fait ! J'avoue que j'ai bien aimé et que je ré-essayerai sans doute !

Merci pour ton petit mot, et tous les autres qui font plein de jolies lignes dans mon coeur ♥
GreatFondue
Posté le 18/06/2020
nooon pas le trumpisme x(((
Yvaine
Posté le 14/06/2020
Deux textes, ça fait deux fois plus de fun ! Je t'avoue que j'ai préféré le premier, pour sa forme et la personnalité de Ginette. Mais le deuxième est très bien aussi, tu racontes trois fois à peu près la même histoire mais les variations sont intéressantes (j'adore imaginer les vies des gens, alors ce deuxième texte m'a beaucoup plu sur ce point). Et puis la chute... Pour le premier texte, la mort (je suppose), brutale, mais romantique (tout de même tragique) ; pour le deuxième, de l'humour et la dénonciation de la peur de l'autre alors qu'il est inoffensif. Encore une fois, félicitations, et merci ❤
Zig
Posté le 18/06/2020
Ginette, mon amour... je rêve qu'il y ait une autre carte avec une bicyclette, pour pouvoir en raconter plus sur elle xD Quelque chose me dit qu'elle va passer dans mon univers de roman, la coquine !

Merci à toi pour venir me lire et me poster un commentaire à chaque fois ! Je sais le boulot que c'est de passer partout et prendre soin de mettre un petit mot alors vraiment, un gros merci !
C'est encourageant et motivant.
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