Je venais de raccrocher le téléphone quand ma mère beugla à travers l'appartement :
– CASSAAAAAANDRE !
Soupirant, j'envisageais une seconde de faire mine de ne pas l'avoir entendue, même si ce n'était pas très crédible. Puis il me sembla un peu stupide de risquer, au mieux une grosse engueulade, au pire une punition longue et sadique, du type aider Hippolyte à faire ses devoirs. Quoiqu'en ce moment, l'ambiance ne soit pas trop aux devoirs. Bref. Je décidais finalement à quitter mon lit, où j'étais confortablement avachie sur le dos, les jambes levées en l'air, les pieds appuyés au mur – on peut se mettre dans des positions très bizarre quand on téléphone.
– J'ARRIVE ! hurlais-je à mon tour, histoire de prévenir d'un deuxième cri de ralliement.
Je sortis de ma chambre, le téléphone encore à la main, et traversais le couloir en sautant par-dessus les chaussures qui traînaient un peu partout. Des tintements de casseroles divers résonnaient depuis la cuisine, dont la porte était grande ouverte.
– CASSANDRE !
Je grimaçais. Recevoir tant de décibels à moins de trois mètres de la source sonore, voilà qui ne faisait pas vraiment plaisir à mes oreilles. Cf. le dernier cours d'enseignement scientifique.
– Je suis là, annonçai-je en pénétrant dans la cuisine.
Ma mère s'activait à ranger d'impressionnantes quantités de fruits et légumes frais dans le frigo. Elle devait revenir du marché. Elle leva brièvement la tête à mon entrée :
– Tu parlais avec qui ? me demanda-t-elle, baissant heureusement d'un ton. Je t'entendais d'ici...
– Lyana, lui répondis-je.
Note à moi-même, essayer de ne pas parler trop fort quand j'étais au téléphone... et arrêter de déambuler et de faire n'importe quoi en parlant, aussi. Mais je n'avais eu de l'occasion de bavarder avec Lyana depuis un certain temps...
– Comment elle va ? demanda ma mère.
– Bien, fis-je, un peu évasive, la curiosité de ma mère quant à mes conversations avec mes amies me gênant toujours un peu.
– Et le confinement, elle le vit comment ?
Un kiwi sembla décider que finir au frigo n'était pas un bon projet d'orientation et tenta le suicide en sautant du haut de la table. Il roula jusqu'à mes pieds, et je me penchais pour me ramasser, un peu apitoyée par son sort.
– Donne-le, je vais le ranger, me dit ma mère. Va falloir que je lave par terre, un de ces quatre, c'est pas très propre... Oh, qu'est-ce que tu fais pieds nus sur le carrelage ? Va mettre des chaussons.
– Maman, on est en mars...
– Tu vas te choper un rhume, voire pire. Imagine que tu finisses avec le coronavirus !
– On attrape pas le coronavirus en marchant pieds nus sur le carrelage, tentais-je de protester.
– Ne discute pas, Cass. Tes chaussons, tout de suite.
Je n'eus d'autre choix que de partir en chasse parmi les nombreuses godasses qui encombraient le couloir. Maman avait beau râler pour qu'on range nos chaussures en rentrant, je n'y pensais jamais, mon petit frère shootait dedans « par accident », et mon père faisait la sourde oreille.
Je finis par trouver mes chaussons, dissimulés derrière le porte-manteau (comment avaient-ils atterri là ?) et les enfilais.
– Je peux prendre le kiwi ? demandai-je à ma mère en revenant dans la cuisine.
– Il n'est que onze heures, Cass, répondit-elle en vérifiant que j'avais bien les pieds couverts. On verra au dessert, d'accord ?
C'était ce qu'on appelait une question rhétorique. Vive les cours de français.
Bon sang, il allait falloir que j'arrête de penser aux cours tout le temps, sinon on allait croire que ça me manquait déjà. Mais on était mardi seulement. Cela faisait quatre jours qu'on nous avait mis à la porte du lycée à cause de cette sombre histoire de confinement et de coronavirus. Vous imaginerez sans peine la joie des lycéens, qui avait explosé sur les réseaux sociaux dès l'allocution du Président jeudi soir. Des vacances gratuites ! Vive le corona ! Vive Macron ! Bon, il y en avait bien quelques-uns pour suggérer timidement qu'on était dans la merde pour le bac... Mais qui s'en souciait ? Et puis les profs avaient promis d'essayer de maintenir les cours via Internet, et on avait hâte de voir ce à quoi pouvait ressembler l'école à la maison.
– Et du coup tu ne m'as pas répondu, à propos de Lyana, reprit ma mère.
– Elle et sa famille ont migré quelque part dans le sud... histoire de se confiner hors de la ville. On ne sait pas combien de temps ça peut durer.
Hier soir en effet, Macron avait fait une nouvelle allocution pour annoncer le confinement officiel dès mardi midi. Les sorties seraient limitées, contrôlées par des attestations obligatoires, sous peine d'amende. La joie. Ma mère, en apprenant ça, était catastrophée. Dès qu'elle avait entendu la nouvelle, elle s'était précipitée au marché pour faire le plein de fruits et légumes frais, et elle prévoyait déjà ses plans de rationnement pour soutenir la pénurie.
– Elle a bien raison, déclara-t-elle en passant un coup de torchon sur la table. J'aurais bien aimé ne pas rester coincée dans cet appartement. Hippolyte va devenir intenable à rester enfermé, ton père va m'interdire de rentrer dans la chambre parce qu'il y travaille. J'espère que tu te tiendras à peu très tranquille, toi au moins, ajouta-t-elle en me lançant un clin d'œil taquin.
Elle savait bien que rester enfermée ne me dérangeait pas le moins du monde. Au contraire, traîner en pyjama toute la journée, c'était tout ce dont je rêvais. Et ça aussi, elle le savait très bien.
– Tu veux que je t'aide à faire quelque chose ? demandai-je pour prouver que j'étais une fille modèle qui n'allait pas se contenter de buller indolemment dans sa chambre.
– Non, je ne crois pas... Mais c'est gentil de proposer. Tu peux retourner traîner sur ton ordinateur, si ça t'amuse...
Je tournais les talons pour retourner dans ma chambre, quand ma mère jura à haute voix :
– Ah, merde !
Je pivotais de nouveau, esquissant un pas de danse improvisé. Mes chaussons glissaient sur le carrelage.
– J'ai oublié de passer au Monoprix en rentrant, râla ma mère en retournant vainement son cabas. Je voulais acheter du papier WC avant que ça devienne la ruée vers l'or...
J'hésitais entre dire « Bah c'est pas grave, on a encore des réserves. » ou « Au pire, on se servira de mes vieux cahiers de maths. » Avant que j'aie pu me décider, ma mère me considéra avec l'air de me jauger.
– Ça te dérangerait d'y aller rapidement, Cassie chérie ?
Quand elle m'appelait comme ça, c'est qu'elle cherchait soit 1) à m'attendrir avec des surnoms enfantins, soit 2) me révulser d'horreur à l'entente desdits surnoms enfantins.
– Mais le confinement... fis-je, modérément enthousiaste.
– On s'en fout, la règle des attestations écrite n'entre en vigueur qu'à midi. Tu as largement le temps de faire l'aller-retour.
Tout en me faisant les yeux doux, elle me tendit un billet de dix euros :
– Tiens, tu prendras trois paquets et tu garderas la monnaie...
Non mais elle essayait de m'acheter en plus !
Je pris le billet d'un geste mou, tout en calculant qu'à deux euros le paquet, j'aurais quatre euros à glisser dans mon porte-monnaie en revenant (Qui a dit que j'étais nulle en maths ?!).
– Ok, lâchais-je en m'appliquant à faire transparaître mon ennui.
Puis je retournais dans le couloir pour mettre mes chaussures.
– Cass, t'es encore en pyjama, me signala ma mère.
Correctement habillée et chaussée, je sortis de chez moi avec l'impression d'être une hors-la-loi.
Dehors, il ne faisait pas spécialement beau ; malgré l'insistance de ma mère, je n'avais pas pris mon foulard pour me couvrir le cou, et je me regrettais un peu à présent. Tout en remontant les pans de mon manteau, j'avisais le tram qui arrivait à l'arrêt juste derrière chez moi, et après une seconde d'hésitation, me mis à courir pour l'attraper.
Il n'y avait pas grand-monde, à cette heure-ci. Et les gens évitaient probablement les transports en commun en ces temps coronavirusés.
Dans le wagon où j'étais montée, il n'y avait qu'une dame avec une poussette, où un petit bonhomme qui ne devait pas être bien vieux semblait passionné par le plan du réseau tramway au-dessus de lui. En me voyant, la dame me dit bonjour, et je lui rendis son salut. Je la connaissais. De vue. Je la croisais régulièrement dans le tram en allant au lycée, le matin.
– Il y a moins de monde qu'à sept heures et demie, hein ? me dit-elle en souriant.
– C'est pas faux, répondis-je.
– Quoi, c'est quel mot que vous ne comprenez pas ?
Je haussais les sourcils, un peu perplexe. La dame, assez jeune, grande, au teint mat, me regardait avec un éclat amusé dans ses yeux sombres, comme si elle attendait de moi une réaction.
Et puis soudain...
– Kaamelott, soufflai-je.
Elle hocha la tête, et nous nous mîmes à pouffer comme deux gamines.
C'était la première fois qu'on se parlait, malgré le temps qu'on se croisait, qu'on échangeait un regard et un « Bonjour ».
La voix automatique annonça mon arrêt. Quand le tram s'immobilisa, je saluais la dame d'un signe de tête.
– Bon confinement, me lança-t-elle d'un ton joyeux.
– Vous de même !
Et je descendis pour aller acheter mon PQ.
Hâte de lire la suite, même si j'espère qu'on aura pas a prolonger cette expérience plus que cela !
Normalement, le prochain chapitre et la troisième narratrice arrive demain ;)
Ahah ouais on espère que ça va vite se terminer, parce que moi je commence légèrement à saturer ^^ ça doit être encore plus la galère pour toi non ?
Bisous !
Yeees je serai derrière mon écran a guetter...
Aussi je sature... On c'est pris dans les dents une masse de devoirs, on n'a pas compris ! Oui mais pour vous aussi...les classes a examens croisent les doigts pour le contrôle continu là...
Bisous !
Peut-être... On verra ! Ah !!! La princesse de Clèves ? Tu vas rire mais c'est exactement l'oeuvre intégrale que l'on doit lire en ce moment (classe de première). Et tout le monde nous dit qu'on va pleurer ! *sueur*
On s'est clairement prit une masse de devoirs !!!
Salut !!!
Pas encore lu la princesse de Clèves mais c'est vrai que c'est une écriture a laquelle on est plus habitués en effet 😅 tuyau : chez Mme de Lafayette tout est dans l'implicite (aucun détail croustillant hélas...)
Donc oui possible que vous allez avoir envie de vous pendre. Bon courage ❤️
Au plaisir de relire tes incrustes !
PS: cette conversation de littéraire.. désolée 😂
Bon et bien je vais aller préparer la corde... Merci ;-)
A la prochaine !!!
PS : Ben quoi ? C'est pas bien les conversations littéraires *sueur* XD
PS : Lyra, si tu as du temps à perdre (bosser ses cours c'est tellement surfait...) le troisième chapitre viens de sortir ;p
A la prochaine !
PS: siiiii c'est la vie ! (L forever !!!)
Mais je t'assure toute la nouvelle est un gros délire de fanfiction sur des personnages historiques ! (TT)
Ce chapitre m'a fait rire aux éclats à plusieurs reprises XD
J'aime beaucoup les monologues intérieurs de la narratrice Cassandre qui est vraiment super drôle. Ses petites remarques oscillent entre un humour léger et un truc plus sarcastique, c'est typiquement le genre de blagues qui me plaît. La réf' à Kaamelott est au top. Et la formule "En ces temps coronavirusés" m'a fait rire comme une bécasse. Je trouve ça sympa d'enchaîner sur la fille dont on comprend qu'elle est l'amie de celle du premier chapitre comme ça. ^^ (oulà, ma phrase est tordue, pardon).
A bientôt et bon confinement ;)
PS : la grand-mère est trop cool.
Ce chapitre a été écrit par UnePasseMiroir...
Non XD, ta phrase est compréhensible, ce n'est pas grave !
A bientôt et bon confinement à toi aussi !