Cauchemar

Je me rappelle toujours de mes cauchemars. Les rêves nous font passer un moment hors du monde vrai, douloureux. Je fais très peu de cauchemars, mais je m’en rappelle à chaque fois. Ils sont très précis et le souvenir reste vif jusqu’à trois, quatre jours après. Le dernier m’a fait peur parce que j’ai l’impression qu’il annonçait un événement qui se passerait vraiment. 

A l’adolescence, mon grand frère a commencé à être de plus en plus violent. La violence morale est tellement présente, sous des formes tellement diverses, qu’on n’y fait plus attention. C’est la violence physique qui est apparue. Pour lui, c’était un jeu, alors je me persuadais que c’en était un. Je ne le vivais pas si mal que ça, mais si aujourd’hui je pouvais remonter le temps, j’aurais tout changé. 

Dans ce cauchemar, je voyais son œil. Il n’est pas né avec cette colère, je pense que personne ne naît en colère. On le lui a donné ou on l’a fait grandir en lui, je sais pas. J’ai peur quand il est violent, parce qu’il pense que c’est pour mon bien. Je trouve ça absurde de dire qu’on fait du mal par amour. Si on aime, on cherche par tous les moyens à ne pas faire de mal. Mes parents aussi sont violents, mais eux c’est dans la tête, ils ne savaient pas qu’ils me faisaient mal parce que cette douleur, je la cachais. Je veux que personne ne souffre, mais c’est compliqué de leur avouer une différence que je trouve sans importance, mais qui change une vie pour eux. J'ai décidé de fuir : me noyer sous une masse de travail que je n’ai jamais réussi à gérer; faire en sorte de rentrer le plus tard possible, quand tout le monde est endormi. C’est aussi peut-être aussi pour ça que j’ai autant envie d’écrire et de danser : à la fois pour ne pas être présent, et pour tout sortir. 

J’ai tué mon frère en lui plantant un couteau dans la gorge. Je me suis réveillé immobile, les yeux écarquillés et le cœur qui battait à fond. Mais je n’étais étrangement pas surpris.