Ce connard.

Notes de l’auteur : Ce n'est pas la première fois que j'écris mais c'est la première fois que j'autorise d'autre personne que moi à me lire.

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours eu une enfance heureuse. Mes parents faisaient en sorte que je ne manque de rien. Matériellement parlant. Émotionnellement, c’était plus difficile.

Quand j’avais 14 ans, mon père a tabassé notre chienne. C’est ce jour là que j’ai compris qu’il nous faisait la même chose avec des mots à ma mère et à moi.

J’ai toujours détesté que mon père me prenne dans ses bras. Je ressentais du dégout, un mauvais frisson me parcourait tout le corps, une envie de me frotter à l’acide. Je prenais sur moi, ne surtout pas montrer ce que je ressentais. Parce que c’est pas ce qu’est censé ressentir une fille envers son père.

J’ai toujours eu de la pitié envers ma mère, quand elle vrillait complet ou qu’elle subissait toutes les paroles de mon père sans broncher. Mais je l’ai toujours soutenue en lui disant qu’elle était courageuse, parce qu’une fille est pas censé ressentir ça envers sa mère.

Sauf que dans un foyer soi-disant aimant, une fille est pas censé supplier sa mère du regard qu’elle la sauve. Elle me regardait en train de m’en prendre plein la gueule sans broncher en se pissant dessus de trouille. Mon père a toujours dit que j’étais une forte tête avec du caractère. Mais si je gardais la tête haute pendant que des immondices sortaient de sa bouche puante, c’est parce que je voulais pas qu’il touche à ma sœur. Jamais. Elle vivra pas ce que je vis. Je me le répétais en boucle. Si ma mère le fait pas je le ferais, un jour on s’en ira. Promis.

J’ai pas tenu ma promesse.

Je suis partie seule à 21 ans. J’ai laissé ma sœur avec mes parents. Ma mère a tenu 3 jours sans moi. Puis elle s’est barré avec ma sœur. Elles ont laissé mon père seul comme une merde. Le jour où ma mère m’a appelé pour me le dire, j’ai pleuré de joie. Enfin débarrassé de ce connard. Et quand j’ai raccroché j’ai maudit ma mère, elle aurait pas pu partir plus tôt cette connasse, quand j’en avais besoin ? Connasse, l’insulte préférée de mon père.

Ma mère donnera son diagnostic arbitraire de mon père : pervers narcissique.

J’ai l’impression de ne jamais être assez bien. Toutes mes idées et mes voix et mes doutes fusent en permanence dans mon cerveau. J’arrive pas à vivre pleinement le moment présent. J’arrive jamais à me lâcher. Il faut toujours que je sois en contrôle de tout ce qui pourrait émaner de moi. Je me sens toujours coupable de tout.

J’ai peur de ressembler à mon père. J’ai lu un jour dans un article que des déviances mentales pouvaient être héréditaires. Je relis toujours les messages que j’envoie, je réfléchis toujours à ce que je vais dire, je calcule toujours mes réactions pour que personne ne pense qu’un jour j’ai pu le manipuler. Sinon ça voudrait dire que je suis comme mon père.

Un des mes ex m’a dit que finirais comme mon père. C’est pour ça que c’est un ex.

Quand je vivais chez mes parents je désirais qu’un jour mon père meurt. Ce serais le plus simple pour qu’il dégage de mon chemin. Je soufflais mes bougies d’anniversaire et je voulais que mon père meurt.

Plus les ans passaient et plus mon anniversaire était glauque. De moins en moins de monde, plus aucune famille, plus d’amis, juste quelques voisins que mon père arrangeait bien en leur faisant des travaux, et eux fermaient les yeux quand il sifflait la bouteille de rosé à 11h du mat.

Un jour les muscles du bide de mon père se sont déchirés, il a faillit mourir. J’ai eu aucune réaction. Vraiment aucune. Je me souviens juste que l’hôpital me faisait peur. Je me souviens plus quel âge j’avais.

Mon père a eu un accident de voiture, j’étais déçue qu’il soit pas mort. À l’hôpital il a voulu me prendre dans ses bras, il répétait m’aimer. J’ai pris sur moi. Là je me souviens, j’avais 16 ans.

Je lui ai pas parlé pendant 2 ans après m’être barrée. Je voulais même pas entendre parler de lui. J’étais persuadé de ne plus jamais recroiser sa route. Puis ma sœur a commencé à me dire qu’il avait changé, il avait arrêté de boire pour de vrai cette fois.

Je pouvais pas y croire, il a réussis à s’en sortir seul. Il y est jamais arrivé quand on habitait avec lui. On devait pas valoir le coup.

Je lui ai envoyé un message, une fois. Quand il m’a répondu j’ai ressentit le même dégout qu’avant. Rien n’avait changé. J’avais juste tout mis de côté c’était plus simple. Alors je suis allée le voir. On a parlé de nos vies actuelles sans évoquer le passé ni rentrer dans les détails. Puis en partant il m’a pris dans ses bras. Dégout. Rien n’avait changé. Alors je me suis acharnée. Pendant 3 ans.

J’ai retrouvé un père. Qui m’écoute, se bat pour moi et ma sœur. Un nouveau père qui vit dans le monde des bisounours où chacun est libre d’être qui il veut tant qu’il fait pas chier son voisin. Un père sans alcool. J’avais jamais vu.

Je supporte toujours pas qu’il me touche mais j’ai compris que c’était pas de sa faute. J’ai juste peur de finir comme lui.

Un jour il m’a dit qu’il était désolé. Un autre il m’a dit qu’il espérait que je lui pardonne. Mais j’ai jamais répondu. Comment pardonner à un père de nous avoir détraqué ? J’en sais rien, je fais comme si.

Du plus loin que je me souvienne j’ai toujours eu l’impression de vivre à côté des émotions. Je les voyais dans les gestes des autres, dans leurs regards. Je reproduisais la même chose mais de loin. Comme si le son était baissé au minimum. J’ai des émotions, mais rien d’intense. Sauf la colère, la haine et la rancœur. Ma mère m’a dit que c’était de la faute de mon père. Moi je dis que c’est de celle de ma mère.

Aujourd’hui j’ai 27 ans.

Je suis avec un gars en ce moment. Je sais même pas si je peux l’appeler mon gars. On en a pas discuter. J’arrive pas à parler sérieusement avec lui. Il a tendance à m’énerver. Mais jamais en face, je m’énerve toujours dans l’ombre. Je parle pas sérieusement avec lui parce qu’il sait pas vraiment écouter, toujours la tête pris par autre chose. Puis si je parle, il finit par me parler de lui. Je parle pas sérieusement avec lui parce qu’il fait jamais ce qu’il dit vouloir faire. Parce qu’il change d’avis du jour au lendemain. Comme mon père.

Il est scorpion, comme mon père.

Sur les appli de rencontre j’ai toujours éliminé les scorpions, et les gars qui avait le même prénom que mon père. Trop glauque.

J’aime appeler mon père, ce nouveau père. On peut passer des heures au téléphone à se raconter nos vies et à cracher sur Pierre Paul Jacque. Je lui raconte tout. Je me sens plus libre de parler avec lui qu’avec n’importe qui. Comme si le fait qu’il est été une grosse merde la moitié de sa vie est libérateur. Du moins mes problèmes me paraissent légitimes avec lui. Et puis d’après ma mère c’est quand même de sa faute.

Il est la seule personne au monde avec qui je me sens suffisante. J’ai pas peur de le décevoir, c’est un raté. C’est pas moi qui l’a dit.

C’est aussi pour ça que je parle pas sérieusement avec mon gars. Parce que j’ai peur qu’un simple sujet de divergence le fasse fuir. Parce que je suis pas assez bien pour des efforts.

 

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Gracchus Tessel
Posté le 30/11/2023
Bonjour! Un texte pas facile à écrire je suppose mais qui se lit bien. On comprend la psychologie de cette famille par petites touches.
Il y a du style, du rythme, c'est vraiment bien écrit. Petit bémol, quelques fautes éparses (je voulais que mon père meurE, c'est pas moi qui l'AI dit, ressenti - sans t- etc.).
Bravo pour ce texte en tout cas!
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