Emma en boule, sous sa couette, la nausée, fichue gastro ! Elle sent, la lumière, les premiers rayons du matin, et quand elle ferme les yeux, ça ne fait quand même pas noir total. Elle entrouvre un œil, regarde son réveil, le referme aussitôt: trois heures du matin.
Soudain, porte de la chambre qui s’ouvre, ça grince -faudra mettre de l’huile, tiens-.
"Mfé pché nezo..."
En Emma de l’aube, cela signifie tout simplement: ME FAIS PAS CHIER ENZO !
Seulement voilà, c’est pas Enzo.
C’est pas Enzo qui se glisse sous la couverture avec elle, qui colle ses pieds glacés contre les siens, qui lâche un sanglot.
Emma hésite, se tourne, les yeux fermés, effleure la joue de la personne, murmure: "Chou, c’est toi ?"
Gémissement d’approbation.
Elle tourne son corps vers elle, colle son front contre celui de Sarah, brûlant, et pleures pas chou, je suis là, pleures pas je suis là.
"C’est tes parents ?"
Sarah s’agrippe contre elle, comme effrayée, Emma ne sait pas ce qu’il s’est passé, mais elle comprend: Sarah ne veut pas en parler.
Elle embrasse sa joue salée de larmes, serre doucement le visage de Sarah déformé par la tristesse contre son cœur, la berce, lâche une larme elle aussi: Chou tu sais, si t’es malheureuse je le suis aussi, mais de quoi t’as eu peur ? Qu’est-ce qu’il s’est passé pour que tu trembles comme ça, que t’essayes de ravaler tes larmes comme ça ?
"Chou trembles pas, je suis là. Pleures pas, pleures pas. Je suis là, il peut rien se passer parce que t’es là, t’es avec moi, et que ce matin, on va faire des cookies au caramel, je vais prendre soin de toi, tu pourras tout me dire, ou rien si c’est trop tôt pour l’instant, avec moi t’es en sécurité."
Sarah respire, ça siffle, comme un animal blessé. Elle sent, le parfum d’Emma, son savon au lait d’ânesse pour le corps, son shampooing à la grenade.
Inspire, s’en imprégne, chasse l’odeur du monstre.
Du monstre...
Soudain, tremblement, Sarah sent son cœur battre dans ses oreilles: et si il y avait... Plusieurs monstres ? L’avaient-ils v... À plusieurs ?
NON, NON NON !!!!!!!
Elle ne veut pas savoir, pas se rappeler, elle veut juste le parfum d’Emma dans son nez, sa voix qui fredonne un air improvisé dans ses oreilles, ses pieds qui réchauffent les siens, ceux que la nuit a congelé. Elle veut juste ses bras autour d’elle, juste un goût salé de ses larmes dans la bouche.
Sarah ne veut rien se rappeler.
Elle veut juste Emma.
Et jusqu’à midi, elles restent là, toutes les deux. Emma qui entoure Sarah de ses bras, protectrice, tandis que celle-ci dort à demi, et ne prononce qu’une seule phrase, sans ouvrir les yeux, les perles de sel en eau coulant de sous ses paupières.
Pendant des heures, contre Emma, une seule phrase, bouche fendue, dans une mélodie de voix brisée:
"Sous un saule pleureur."