Ce pourquoi les sportifs mettent toujours des préservatifs

Je ne voudrais pas donner l’impression que je suis en train de me vanter, mais lorsque vous grandissez et devenez adulte, je pense que l’on peut admettre que vous perdez en naïveté ce que vous gagnez en maturité. Puis vient un point où toute cette maturité se transforme en sagesse, dont vous avez l’obligation de transmettre à votre prochain. 

Suivant ce raisonnemnent, je peux affirmer qu’ayant vécu plusieurs vies humaines bien chargées, je suis certainement la personne la plus mature et la plus sage qui n’ait jamais existé. Certes, j’ai fait quelques erreurs (comme je suis revenu dans le temps, peut-on vraiment me les reprocher ?), cependant elles ne sont que minimes devant l’immense expérience que j’ai accumulée au fil de mes existences. 

Et maintenant, imaginez un peu comment se sentirait cette personne si elle revenait en maternelle. Imaginez un peu l’état mental d’une personne à la sagesse quasi bouddhique qui, après une rude soirée de beuverie, se coucha le soir et se mit à penser malgré elle à l’époque où elle apprenait les chiffres en maternelle. Essayez de vous figurer comment pourrait se sentir cet égal de Gandhi devant réapprendre à faire deux plus deux et des colliers de nouilles pour son père.

Je vous aide : elle passerait le meilleur moment de sa vie.

Inutile de vous dire qu’en maternelle, les exercices proposées n’étaient pas les choses les plus difficiles à résoudre pour quelqu’un qui a vécu plusieurs siècles. Je n’étais pas seulement le meilleur élève de ma classe : j’étais le meilleur élève du pays.

On me demandait de dessiner mes parents ? Je respectais strictement l’anatomie, les jeux d’ombres, les cheveux qui voletaient sous le vent, tout en expliquant à voix haute que mes inspirations principales étaient Goya et Cézanne. Il fallait additioner 2 + 2 ? J’y répondais par des fonctions exponentielles et des graphiques, demandant même un Power Point pour mieux expliquer. Comment, je dois mettre des figures en bois dans leur trou respectif ? Et bien… je les mettais. Mais avec classe.

Mêmes mes parents étaient soufflés, car il ne m’avait jamais appris ni le dessin, ni les peintres, ni les mathématiques et fonctions exponentielles (et je les remercie pour ça). Je crois même qu’ils ont pensé un court instant que je ne pouvais pas être leur enfant, et je suis certain qu’entendre à longueur de journée « Vous savez, parfois, le génie peut sauter des générations » n’aidait pas spécialement non plus.

Je passai à la télévision. Je rencontrai même le président. J’étais euphorique, j’étais au sommet, on me voyait enfin pour ce que j’étais réellement. Et alors on me fit un test de QI pour déterminer de qui, entre moi et Einstein, avait la plus grosse. Intelligence.

Et j’obtins 74. À cinq points près, j’étais scientifiquement considéré comme était mentalement en retard. 

Je l’avoue, cela me fit un sacré coup : les test de QI à cette époque étaient à ce point défaillants ! Imaginez le nombre de génies qu’on fit passer pour des attardés mentaux !

Et cela me fit réfléchir. J’étais incontestablement intelligent, et si les tests de QI étaient si erronés, alors cela voulait dire que le QI français en général était erroné. CQFD : ceux qu’on considérait comme les plus grands génies étaient donc probablement à peine au-dessus de la moyenne. 

Newton était juste chanceux : n’importe qui subissant la chute d’un fruit sur l’occiput pouvait en déduire l’attraction gravitationnelle ! Galilée n’a aucun mérite : bien évidemment que la terre est ronde, puisqu’il suffisait qu’un pauvre clampin marche droit devant lui pour faire le tour de notre planète et revenir à son point de départ ! L’humanité en général n’est pas intelligente : pourquoi ne cesse-t-elle pas de se faire la guerre, de saccager sa planète, de ne pas mettre les déchets en plastiques dans la poubelle jaune alors que toute l’histoire et les scientifiques n’ont cessé d’en démontrer les conséquences néfastes ?

L’intelligence est rare : il suffit de paraitre intelligent à un grand nombre d’idiots, et vous devenez un génie. Bonus si vous aviez une barbe et si vous êtes vieux ou morts depuis des siècles.

Cependant, moi, je ne suis pas mort, et je suis réellement intelligent : cela tombait sous le sens que j’avais des responsabilités. Je crois que c’est même pour cela que je suis venu au monde avec ces pouvoirs.

Alors je faisais de mon mieux pour rassembler le plus d’élèves possibles et leur expliquais des choses utiles comme la vie, la mort, comment cuisiner des plats Picards en faisant semblant qu’on a tout fait nous-mêmes ou alors forcer un beau frère à nous rendre les cent-vingt balles qu’on lui a prêté parce que bordel de merde ça fait déjà un mois et je m’en fous que tu sois au chômage fallait pas venir me voir d’abord prends tes responsabilités sale traître.

Mais personne ne voulait m’écouter, et en plus les professeurs n’étaient pas enchantés de voir dans la cour de récréation un petit de 5 ans expliquer d’une voix grave ce que signifie la mort d’un proche. Allez comprendre.

Mais je ne désespérais pas. Je remontais même plusieurs fois le temps, cherchant à chaque fois l’endroit et le moment exacts où les surveillants allaient me laisser faire mon travail. Et je n’étais même pas payé !

Pensant à mes élèves innocents, je compris alors qu’il y avait un sujet important qu’il fallait traiter à tout prix, celui qui allait occuper une place primordiale dans toute notre vie de primate soumis à ses pulsions primaires.  

À cinq ans et demi, je devins ainsi tout naturellement professeur d’éducation sexuelle. 

Je ne suis pas fou ! Il fallait être subtil pour que mes camarades naïfs comprennent ce qui échappaient à mes surveillants. J’utilisai alors une technique qui avait fait ses preuves depuis la nuit des temps : les métaphores avec la nourriture ou le sport. 

Certes, certains qualifient cela de « beauf » ou de « mauvais goût ». Pourtant il s’agit d’une trouvaille visionnaire. Le collégien boutonneux et aux dents plombés qui a inventé ces métaphores pour la première fois ne le faisait pas juste pour faire pouffer ses camarades : il avait bien perçu le potentiel pédagogique immense de sa découverte. Puisse-t-il reposer en paix.

Et c’est ainsi que je fis plusieurs cours sur entre autres l’entretien de son concombre ou encore l’art sacré de marquer un but. Bien évidemment, cela avait ses défauts. La moitié des élèves préferaient faire autre chose et allaient (ironiquement) s’amuser à mettre des formes en bois dans des trous. D’autres pensaient réellement que je faisais des cours sur la cuisine ou le sport. J'ai l'impression que les seules personnes qui comprenaient réellement mes cours étaient celles qui je voulais à tout prix éviter : les adultes.

L’école commenca à recevoir des plaintes. Apparement, certains parents appréciaient moyennent le fait que leurs enfants refusaient de « manger des concombres sans préservatifs » ou encore qu’ils avaient peur « d’attraper le SIDA du tir à l’arc ». Et je les comprends : mes élèves avaient encore mal compris mes cours. Il était grand temps de commencer les exercices pratiques.

Mais je n’eus ironiquement pas le temps. 

« Qu’est-ce que tu es fort, Lucas ! »

Ces douces paroles avaient été prononcées par la non moins douce Alex. Aujourd’hui, je me rappelle juste ses nattes rousses, ses yeux timides cachés par des lunettes carrées et une voix toujours emplie d’admiration. 

Je l’avais impressionné par mes cours. Non par leurs contenus malheureusement, mais par la présence et l’assurance que j’avais. Il ne fallait que cela pour qu’elle tombe follement amoureuse de moi.

Tout homme que je suis, j’étais plutôt charmé de ses attentions envers ma personne. Même si j’aurais preféré qu’elle m’avoua tout cela un autre moment qu’en pleine classe. Mais le léger petit détail problématique étant qu’elle avait 5 ans.

Et que j’en avais, psychologiquement parlant, bien plus. Bien trop.

Bien sûr, j’étais un adulte. J’étais assez mature pour ne pas paniquer bêtement quand une petite fille clamait en public qu’elle était amoureuse de moi. Ou quand elle me suivait partout. Ou quand elle s’accrochait à mon bras dès qu’elle était assez proche. Ou quand elle voulait m’embrasser...

J’ai donc paniqué.

Toute mon immense expérience ne m’avait pas préparé à vivre dans une situation où je rapprochais bien trop de la definition d’un « pédophile dangereux». Il fallait que je me sorte de là.

Je ne pouvais compter que sur moi-même. Mes parents rigolaient doucement quand je leur disais que j’avais « un problème d’amour », et me répondaient par une longue tirade qui commencait par « tu sais, moi, à ton âge… ». Mes professeurs, qui ne m’aimaient pas beaucoup, m’ordonnaient juste de « faire attention », ce qui me paniquait encore plus. Et les autres élèves de mes cours chatonnaient des « Ils sont amoureux ! » qui résonnait à mes oreilles comme une condamnation de prison à perpétuité.

J’essayais de régler cela en remontant dans le temps, avant que cette stalkeuse ne tombe amoureuse de moi, mais je decouvris l’étendue du problème : il s’avérait qu’elle était tombée amoureuse de moi il y a bien longtemps.  Mon charme est irrésistible, et c’est la première fois que je le pensais négativement. 

J’ai décidé finalement d’employer les grands moyens. Je suis allé la voir, et je lui ai dit que je ne pouvais pas être avec elle. J’ai pris pour excuse que ce n’était pas elle le problème, mais moi. Je pense que c’est la première fois dans toute l’histoire de l’humanité que cette excuse vaseuse était vraiment la chose à dire.

Alex réfléchit longuement, puis plus tard me répondit qu’elle était impressionnée par ma modestie et que cela la faisait encore plus, je cite, « bouillir ». C’est un autre terme que j’avais établi dans un de mes cours, et encore une fois elle fit cette déclaration devant toute la classe.

Moi aussi je me mis à bouillir, mais pas dans le sens positif du terme. Je revins dans le temps pour effacer cette bourde, et je lui expliqua que j’étais un enfant à problème, parce que je ne mangeais jamais mes petits pois, j’étais nul en sport et que je perdais toujours mes crayons.

Alex me dit que cela la touchait que je m’ouvrais autant à elle. Elle me promis qu’elle m’accepterais tel que je suis et que « je prendrais tout cela pour moi ». Encore une fois, elle le dit devant tout le monde. Après cela, je fus grondé par ma professeure, qui m’ordonnait d’arrêter de faire craquer cette pauvre fille, que ce n’était pas sain. Elle ne savait pas à quelle point elle avait raison.

Finalement je revins dans le temps, cette fois-ci avant même qu’Alex ne participa à un de mes cours. Dès qu’elle s’approchait, j’arrêtai le cours et m’enfuis. Non seulement cela m’empêchait d’éduquer mes chers élèves, mais en plus Alex n’abandonnait pas. Elle finit par m’attraper, avec l’aide de trois amies, en m’acculant dans une impasse déserte. De loin, on aurait dit qu’elles allaient juste me racketter. Si seulement.

Alex prit une grande inspiration, rougit, et clama son amour et mon crime. Elle expliqua qu’elle était tombé amoureuse de moi dès la rentrée, et que mes fuites répétées ne l’avaient encore plus fait craquer, car elle aussi était très timide, et que cela la rassurait que j’étais comme elle.

Elle continua sa déclaration avec une serie de phrases très mielleuses qui m’auraient peut-être fait rougir si ses deux amies ne me plaquaient par à terre et une troisième était assise sur mon torse.

Il ne me restait qu’une seule solution. 

Je revins dans le temps, et devins une vrai ordure. J’étais absolument odieux, le pire des élèves, la honte de la gente masculine, un criminel en puissance. Je dessinais exprès en-dehors des lignes des dessins. Je mettais mon carré de bois dans le trou en forme de cercle. Je répondais à « deux plus deux ? » par « Si vous me posiez la question, peut-être que vous devriez recommencer votre scolarité Madame » avant de m’enfuir en sautant par la fenêtre. 

Je devais à tout prix repousser cette demone aux cheveux roux.

Et un jour, elle vint me voir, et m’avoua qu’elle était folle amoureuse de moi parce que j’étais, je cite, un « vrai bad boy ».

Il ne me restait plus qu’une seule solution : essayer de revenir dans le temps avant ma naissance, et prévenir le monde de la conception d’un effroyable être humain.  

Mais je n’eus ironiquement pas le temps.

Le proviseur me convoqua le même jour à son bureau. Le visage grave, il m’annonca qu’il avait décidé mon expulsion définitive de son établissement. Apparemment, mes cours d’éducation sexuelle et mon attitude déplorable n’étaient pas les bienvenus dans l’école. Il ne put m’en dire plus car je lui avais sauté dessus pour l’embrasser. Il dut demander l’aide d’un surveillant pour me faire sortir du bureau, tandis que je le remerciai en larmes et que je lui promettai de faire un cours gratuit à ses enfants s’il me le demandait. 

À partir de cette histoire, je retins la leçon importante de ne pas organiser des cours d’éducation sexuelle pour des petits de cinq ans. Aujourd’hui, je me demande ce qui m’a pris : ils sont bien trop jeunes, trop innocents pour leur inculquer des choses si matures et problématiques, que même les adultes ont du mal à gérer ! Non, ce n’est pas de leur âge, et je l’avais bien compris à mes dépens.

J’en déduisis qu’il fallait attendre leur six ans plutôt.