Ce qui est condamné

Par Luvi

Grande plaine royale – Carrefour de Delphes - Promontoire

— La guerre est un enfer. Elle détruit tout sur son passage. Elle sème la mort, la destruction et la désolation. Dans une symphonie macabre, les cris des blessés, les larmes des survivants et le fracas des armes résonnent dans l'air. Les cœurs se brisent. Les esprits se fragmentent. Les âmes se perdent dans l'obscurité. Les énergies se troublent, se parent de noirceur. Elles viennent irrémédiablement, souillées et pervertir la lumière. Chaque bataille laisse des cicatrices indélébiles. Les corps, les âmes, les terres se marquent à tout jamais. Les héros tombent, les innocents souffrent. Les humanités elles-mêmes vacillent au bord du précipice. La guerre est un enfer. Elle est un rappel brutal. Celui de la fragilité de la paix et des valeurs inestimables de chaque vie humanoïdes et divines. Lostris faisait les cent pas, incapable de calmer son esprit. Son medjaï en retrait la scrutait, prêt à intervenir pour calmer ses ardeurs.

Au loin, l’aura intense, que provoquait l’activité volcanique du mont Orda, réchauffait la terre. Sa force destructrice s’insinuait dans les failles terrestres. Les fumées denses qui tourbillonnaient au-dessus de la mer de feu, autrefois vallée resplendissante et forêts enchanteresses, embrasaient le peu de verdure encore hors d’atteinte de leur position.

Le champ de bataille n’était plus qu’une immense mer de sang. Les soldats, pataugeant dans une boue rougie. Ils se battaient vaillamment contre les invocations et les troupes ennemies. La configuration de la grande plaine, offrait l’avantage au clan des ombres. Bien que les glissements de terrain, ralentissent leur avancée, ils submergeaient les troupes d’Elysia. Le sol, humidifié par le liquide vital qui avait trop coulé, ressemblait à des sables mouvants. Les malheureux et les créatures étaient aspirés dans un piège mortel. L’énergie volcanique qui grouillait sous leurs pas, commençait à peine son œuvre, renforcé par les feux qui encerclaient la grande plaine. Lentement, le sol commençait à sécher sans que les combattants ne s’en rendent compte. De fines craquelures se multipliaient sous leurs pieds. La terre libérait des volutes de fumée et des souffles brûlants. Une chaleur infernale montait. L’air s’imprégnait d'une odeur de soufre et de cendres. Les combattants, concentrés sur leur lutte acharnée, n’avaient pas conscience du danger imminent qui se préparait sous leurs pieds.

Elle d’vient totalement folle ! Quels sont ses murmures qui parcourent ses lèvres ? Je n’ressens pas de magie émanant d’elle. Elle semble s’focaliser sur une présence ? Sur les flancs de la montagne ? Elle l’a appelé à elle ? Tu n’devais pas intervenir alors pourquoi est-il ici ? Son aura n’est plus ! Il est déjà reparti ? Je demanderais pas pourquoi ! Mais c’que je sais, c’est qu’s’il est intervenu sur tes ordres au détriment de sa mission, c’est que quelque chose d’important était à l’œuvre ! Tu n’en fais toujours qu’à ta tête. Qu’as-tu prévu pour c’monde ? Pensa le jeune Medjaï.

Il s’avança vers le précipice, les yeux rivés sur la montagne de feu.

— Quelle chaleur ! Hélios essuya la sueur qui coulait de son front.

— Ils ont perturbé l’énergie du volcan, son aura se propage dans la terre, réchauffant la planète trop rapidement. Cela à commencer par le bouillonnement et l’assèchement des lacs et rivières. Puis la faune a fui, et la flore s’est desséchée, d’où l’emprise du feu sur les forêts. Le mont Orda va bientôt hurler sa fureur sur ce monde.

— Que faisons-nous ? Il recula d’un pas son regard fixé sur elle.

— Rien, on attend. Elle se tenait droite, fixant un point invisible au loin.

Ses sourcils se froncèrent légèrement. Les mains serrées en poings, il fit quelques pas hésitants, comme s'il tentait de s'approcher d'elle sans perturber la fragile sérénité qui l'entourait. Il laissa subitement s’échapper un soupir silencieux, ses yeux parcourant le visage de la femme avec une profonde empathie. La femme devant lui, loin d’être une créature innocente, lui avait plus d’une fois démontré qu’on ne pouvait faire confiance au divin. Encore moins lorsque l’entité était loin d’être infaillible.

Ton aura bouillonne intensément. Le calme dont t’fais preuve ne reflète pas tes pensées. Je connais les cris d’ton esprit, ceux la même qui t’pousse à user d’tes pouvoirs pour aider autrui. J’imagine pas la souffrance qui parcoure ton âme, de n’pas pouvoir les aider. Ma magie n’est pas assez puissante pour r’ssentir c’que toi tu perçois, mais mon regard lui est assez affuté, pour voir qu’ton esprit s’bat contre l’envie qui t’ronge. Si ce monde est perdu, pourquoi reste-t-on ? Pourquoi t’infliges-tu pareille souffrance ?

Il se détourna de son Isis et regarda le sol, comme s’il recherchait une quelconque réponse dans la terre poussiéreuse. Ce fut mille images de ces anciennes missions à ses côtés qui ressurgirent. Se laissant aller à la tentation d’occulter la réalité du moment, il laissa ses pensées dériver sur souvenirs. Ses pensées tourbillonnèrent, luttaient sur chaque fragment de mémoire ne comportant que les actes et les paroles de Lostris. Hélios le ressentait, elle lui cachait volontairement la vérité. Il se remémora avec grande précision, la chute du royaume de Daya. Lostris avait manipulé et poussé deux rois à se faire la guerre pour obtenir ses faveurs. Ces deux souverains, bien qu’ayant juré allégeance au clan des Ombres, n’avaient su déceler la fourberie dans les actes de la divinité. Ils avaient été trop occupés à regarder la belle jouir des plaisirs de leur monde, pour qu’ils se rendent compte qu’elle se jouait d’eux. En y repensant, les batailles n’avaient pas duré bien longtemps. Lostris avait finalement décidé d’anéantir les deux souverains, laissant le choix aux soldats et aux peuples de se soumettre à son bon vouloir. Il réprima un ricanement à ce souvenir. Puis soudainement, une certitude le frappa comme un coup de tonnerre. On ne devait pas faire confiance au divin, on ne pouvait faire confiance au divin.

Sa respiration s’accéléra et il leva brusquement les yeux vers elle. La colère et la confusion se mêlèrent à son hurlement.

— Tu la manipules ? Tu l’as poussé à s’servir de cette magie ? Ce peuple meurt parce que toi tu t’refuse à accepter leur refus !

Il recula d’un pas, conscient de son impertinence. Le choc et la colère se lisaient sur son visage. Ses poings se serrèrent à nouveau alors qu’il luttait pour contenir sa rage.

Lostris, frappée par l’accusation, senti son propre sang bouillir. Son énergie se para d’une sombre aura. Son visage se durcit, ses traits devenant sévères. Elle s’approcha brusquement de son accusateur, et pointa son doigt vers lui.

— Comment oses-tu ? Gronda-t-elle.

Mon histoire avec Elysia, date d’une époque ou la paix régissait les Méros. C’est ma présence sur ces terres, qui à apporter le mal et la haine sur ce monde de lumière. Les dieux ont moyennement apprécié que le roi Priam me vienne en aide alors que je les fuyais. S’ils ont pu repousser les assauts divins, c’est parce que je leur ai offert un pouvoir bien trop grand pour être utilisé par une seule créature humanoïde, surtout si elle n’est pas utilisatrice d’une puissante magie. Regarde le champ de bataille ! Ce n’est pas le clan des ombres qui manipulent le feu. C’est Morgiane. Mais son être et son esprit sont bien trop faibles pour utiliser le Tis Fotia à bon escient ! Trop de haine tapisse son cœur et les ténèbres finiront par l’engloutir. Mais avant, elle va détruire elle-même son monde en cendre.

— Mais c’est ton pouvoir non ? Pourquoi tu l’récupère tout simplement pas ! Il abaissa son bras vers le précipice.

— Le récupérer ? Avec ou sans lui, ils sont condamnés ! C’est elle qui se refuse à mon aide ! Si je récupère ce pouvoir maintenant, alors toute cette attente n’aura servi à rien ! Elle se sert de ma magie pour tenter de sauver son peuple ! Elle connaît les risques ! À elle de prendre la bonne décision ! Elle se détourna de son medjaï.

— Si tu ressens tout ça, c’est que… Tu as lancé un sortilège ? Tu leur avais donné ta parole que tu n’interviendras pas ! Il se précipita pour l’arrêter.

Lostris se dégagea violemment de l’emprise d’Hélios. Un craquement se fit entendre. Elle venait de lui démettre l’épaule.

Crois-tu que les voir se faire massacrer me fait plaisir ? Ce n’est pas toi qui entends leurs cris de souffrance. Ce n’est pas toi qui ressens leur dernier soupir, leur peur, l’instabilité de leur aura magique. Une larme coula le long de sa joue.

Hélios, a genoux, se tenait le bras. Il prit une grande inspiration et remit son épaule en place. La douleur qu’il ressentit à ce moment-là, ne venait pas de lui. S’insinuant dans son esprit, Il se laissa engloutir par la peine de son Isis.

 

Région forestière – Grande foret

La fumée emplissait ses poumons. La morsure des flammes se propageait tout autour d’elle. Les buissons-ardents qui jonchaient le sol, tapissaient la forêt d’un épais rideau de feu. Le pouvoir dont elle s’était emparée la contrôlait, la subjuguait, l’empêchait de réfléchir. Il obscurcissait sa vision devenue trouble par les amas fumeux qui montaient en tourbillonnant jusqu’aux cieux.

Morgiane perdait la tête. Plus rien n’avait de sens. Elle n’était qu’une torche humaine perdue dans les méandres de sa propre folie. Le flamboiement de ses émotions tourmentées la consumait lentement. Il dévorait chaque parcelle de raison et de lucidité. Dans ses yeux brillait une lueur d'angoisse et de désespoir. Le pouvoir l’entraînait dans une danse infernale de souvenirs et de regrets. Son esprit, autrefois clair et déterminé, était désormais qu’un espace vide où les démons de sa conscience se livraient une guerre sans fin. Une folie meurtrière s’emparait de son être. Les marques rougeâtres sur son corps, tentacules infimes de magie, qui bientôt réduirait son corps en cendre, atteindraient sous peu son cœur, le consumant.

Ce que le pouvoir insufflait en elle, pulsait dans tout son corps. Ennemi ou allié ? Peu importe du moment qu’il brûle dans les flammes infernales. Douleur ou plaisir ? Peu importe ce que son corps endurait, tant que son monde disparaissait engloutit par les fougueux brasiers. Elle souffrait. Elle prenait du plaisir. Elle criait. Elle riait. Ce pouvoir était bien trop dangereux pour qu’un homme le manie. Elle avait voulu s’en emparer pour sauver son peuple. Elle périrait avec lui dans les flammes. Son périple la menait un peu plus vers l'abîme. Une chute inexorable vers les ténèbres l’attendait.

Tandis que la réalité se déformait autour d'elle, se tordant sous la chaleur de sa propre démence, quelque chose se brisa soudainement en elle. Elle ressentit l’énergie magique s’étioler, s’évaporer, absorber par une vague douloureuse d’énergie venue de nulle part. Reprenant ses esprits, elle se jeta au sol dans l’espoir de soulager ses poumons. Quelqu’un l’appelait au loin. Dans la fournaise elle ne distinguait plus rien que la végétation qui se consumait. Se sentant soulevé, elle tenta de se débattre. Ce qu’elle prit pour une vague de soulagement se transforma en une douleur la forçant à ouvrir la bouche pour hurler. L’air brûlant la fit tousser, puis le sol la ramena à la réalité. Devant elle, se tenait le général Dassos, son armure calcinée et son épée ensanglantée. La forme immonde qui se trémoussait à ses pieds prit feu dans un grésillement odorant.

— Allez majesté, il faut sortir de la forêt avant que les arbres ne nous ensevelissent. Il la força à se relever, et la tira par le bras.

Quelques archi-mages postés à l’orée du bois, manipulaient des sortilèges aquatiques pour tenter de créer un passage. L’odeur de la végétation calcinée lui arracha des haut-le-cœur. Elle comprit subitement qu’elle était à l’origine de ce cauchemar.

— Je, je suis… Les larmes inondèrent son visage.

— Inutile Altesse, tes choix nous ont amenés au désespoir. Maintenant calme-toi, nous devons rejoindre les autres et soignez ton bras.

— Mon bras ? Elle se laissa tomber à genoux et regarda sans un mot l’espace vide en dessous de son épaule. La créature l’ayant attaqué lui avait pris son bras gauche. Elle resta à genoux, en état de choc.

Des hommes de l’unité du général, qui s’affairaient à tuer les dernières créatures, la couchèrent sur un brancard de bois dont le tissu était gorgé de sang. Le silence, qui prenait place dans la grande plaine, ne laissait que les embruns ardents des incendies s’envoler dans des bruissements aériens. Elle vit des soldats en piteux état les dépasser. Ils couraient pour rejoindre le campement, qui se dressait au pied de la falaise. Dans leur course, les deux hommes qui la transportaient, la firent chuter dans les flaques boueuses, que les sortilèges d’eau laissaient sur leur passage. Elle s’était relevée, la tête baissée pour fuir les regards de colère et de haine de ses soldats. Ces fiers hommes qui se battaient pour leur liberté, ne semblaient n’être plus que des ombres au milieu de l’aura maléfique qui s’échappait de la terre fumante.

— Majesté, nous devons soigner ton bras. Le général Dassos lui parla avec douceur. Il lui offrit son bras.

Morgiane hésita un instant à prendre la main tendue. Ses yeux croisèrent ceux du général. Ce qu’elle y vit, l’invita à se ressaisir. Sincérité et inquiétude de la part du général, apaisèrent quelque peu ses tourments. Finalement, elle accepta son aide, et posa sa main sur le bras qu’il lui tendait.

— Merci général. Murmura-t-elle, une pointe de fatigue dans sa voix.

Ensemble, ils se dirigèrent sous la tente. Une table de soin avait été préparée pour soigner la reine. Les guérisseurs se pressèrent autour d’elle, leurs mains expertes commencèrent à traiter ses blessures avec douceur. Morgiane serra les dents.

Dès que leurs doigts touchèrent sa peau, une douleur aiguë la traversa. Elle hurla, frappant, griffant les soigneurs. Dassos vint leur prêter main-forte. Il se saisit des épaules de la reine et la force à rester assise. Ses hurlements de douleurs se turent. La chaleur de l’énergie du général, vint à nimber, apaisant la souffrance. Haletante, elle se laissa aller à l’apitoiement.

— Qu’ai-je fait général ? Je, je comprends maintenant les derniers mots de Téomache au sujet de sa bien-aimée. Elle, elle était forte, mais la force qu’elle abritait en son sein, ne la pas sauver. Elle s’est laissé consumer, car elle savait que rien ne pourrait la sauver. Et moi, je, j’ai été idiote de croire que je pourrais manipuler ce pouvoir. Elle trembla en s’entendant parler.

— Ou est-il ce pouvoir ? Dassos lui tendit une fiole de potion.

— Elle la reprit ! Elle nous a délestés de la seule chose qui pouvait nous sauver ! Ou est-elle ? Ou se cache-t-elle ? Morgiane renversa la table et bouscula les soigneurs.

Elle sortit en trombe de la tente. Ne prenant pas le temps de faire cesser l’hémorragie, elle se saisit de l’épée de l’un des soldats et se tourna, brandissant l’arme contre ses hommes.

— Ou ! Ou est-elle ? Elle déclencha son pouvoir et les malheureux qui tombèrent sous sa coupe se transformèrent en statue.

Le sol se mit à trembler. Un mugissement se fit entendre. Tous se figèrent. Ce qui sortait de la forêt, n’était pas l’éruption du mont Orda qui devait avoir lieu dans quelques heures

 

Grande plaine royale – Carrefour de Delphes - Promontoire

— Des ailes d’un noir profond se dressent au-dessus des cimes enflammées. Une main aux griffes acérées vint écraser la mer de feux. Son hurlement horrifique, note funèbre qui s’élève jusqu’au domaine divin, va continuer à résonner, pour accompagner les hurlements des vivants. Aussi haut que le volcan, tout en lui exulte la plus sombre des noirceurs. Auréolé de flammes incandescentes qui rivalisent sans mal avec le souffle d’un dragon des glaces, il va propager une onde destructrice, consumant toutes vies sur son passage. Son regard porcin, ceint d’une corne, couronne obsidienne d’une créature qui n’aurait jamais dû quitter son antre, sera la dernière chose que Elysia verra avant de sombrer. Ainsi est et sera la fin de ce monde.

Hélios et Lostris se tenaient au bord du précipice, les yeux rivés sur la créature. Le jeune soldat griffonnait en vitesse les contours de la créature sur son carnet. Lostris se concentrait. Elle tentait de masquer son aura de lumière rendue éblouissant par l’excitation.

— Tu sais ce que c’est ? Demanda Hélios.

— Un Bajie, un démon primordial des monts des roseaux céleste sur la planète Yuans Huai, monde interdit d’accès du troisième Méros. Ils sont complètement tarés ! Comment ont-ils fait pour en capturer un ? Elle leva sa main droite.

Elle sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. De sa main, elle traça des symboles aériens. Elle récita mentalement une incantation et se laissa aller à son imagination. Elle ferma les yeux une seconde afin d’apercevoir une vision apocalyptique de la créature. Elle se mit à rire en esquissant un sourire.

Le hurlement horrifique de la créature résonna dans l’air. L’âme de Lostris se mit à frémir. Hélios, abasourdi par la puissante énergie qui avait pulsé, se tourna vers Lostris.

  — Savoir comment ils ont capturé, c’ pas une priorité ! On ne d’vrait pas agir ? Il rangea son carnet dans la poche de son veston.

— Morgiane à dit qu’on ne devait pas s’en mêler ! Elle haussa les épaules.

— Alors pourquoi trépignes-tu ? Je sens ton pouvoir danser ! Il se laissa tomber au sol, et ramena ses jambes contre son torse.

— On ne bouge pas ! Pour le moment tant qu’il est invoqué on ne peut rien faire ! L’invocateur ne tiendra pas très longtemps. Une telle masse réclame une importante quantité d’énergie. Bientôt ce monstre se libérera de ses chaînes et pourra se déchaîner. Elle lui indiqua la grande plaine en contrebas.

Ils portèrent leur attention sur la bataille, ou les deux factions ennemies étaient en panique. La chaleur du démon avait fait s’évaporer l’humidité des sols et tenait soldats et créatures, prisonniers de la terre asséchée. Chaque pas du démon projetait une nuée de noirceur et de flammes. Les vibrations craquelaient la terre asséchée. Les ondes sismiques qu’il provoquait, d’une violence inouïe, meurtrissaient jusqu’aux îlots aériens, perturbant l’énergie magique circulant sur le monde. Le premier îlot à chuter tomba dans un amas de roche destructrice sur le bosquet sacré. Une faille se forma dans la prairie d’Asphodèle, engloutissant la végétation et les hommes dans un gouffre sans fin. Les falaises encerclant la grande plaine, ensevelissaient toute vie sous ses éboulis et ses glissements de terrain. Le chaos se propageait et se répétait telle les paroles d’une vieille comptine divine narrant les destructions belliqueuses des anciens dieux. Et le démon se libéra de ses chaînes. Son invocateur Varlen gisait inconscient sous les roches de l’îlot.

— Que soit juger les âmes impies. Qu’elles brûlent dans les flammes éternelles. Que le feu purificateur emporte ces êtres, et que leurs âmes rejoignent le flot sacré de l’énergie créatrice de toute chose. Lostris se tenait droite, les bras levés vers le ciel en signe d’adoration.

— C’est pas le moment de prier ! On doit faire quelque chose ! Hélios, bras tendu, maintenait une barrière protectrice autour du campement.

— C’est fait, ne gaspille pas ta magie pour rien ! On lève le camp avant que ce monstre ne jette son dévolue sur nous ! Elle claqua des doigts.

—  Rentrons-nous sur Asgard ? Hélios fit disparaître d’un geste de la main, le matériel présent.

—  Oui, nous devons préparer l’examen de magie, dans moins d’un mois, les épreuves commenceront. Je me dois de visiter les mondes habités. La sélection n’a pas encore commencé, et nous sommes en retard sur le programme. Elle se tourna vers une source de magie instable. Quelqu’un s’approchait du campement.

Lostris leva son bras pour arrêter Hélios, lui intimant de ne pas bouger. C’est une femme gravement blessée qui se présenta à elle. Son visage noirci par les cendres et ses yeux ternis, dont l’un d’eux semblant mort, dégageait toute l’horreur qu’elle avait pu voir. Ses cheveux autrefois flamboyants, étaient brûlés et collant du sang qui avait coulé à flots. Son armure brisée et ses vêtements déchires, tachés de boue et du précieux liquide écarlate n’était plus que guenille. Son corps meurtri et son bras gauche manquant, tout en elle ne reflétait plus sa prestance royale et sa puissance. Haletante, les traits tirés par la douleur, elle tenait sa blessure sanguinolente, luttant pour ne pas perdre connaissance. Elle s’arrêta et leva les yeux, fixant l’aura lumineuse qui gravitait autour de la divinité.

L’horizon au loin, porté par le flamboiement du démon et l’atmosphère en feu lui semblait si lointain. La chaleur diffuse qui se propageait autour d’elle, calme et apaisante, porté par l’aura divine si proche d’elle, acheva ses convictions. Elle sentit le regard froid de l’Isis sur elle. Lostris avait voulu les aider, et elle, noyé par la haine des affres du passé, avait refusé son aide. Son peuple en avait payé le prix, un lourd tribut qui la laissait honteuse.

Alors elle céda. Elle se jeta à genou et s’inclina. Les larmes de rage silencieuse qui coulaient sur son visage souillé et la toux violente qui se saisit d’elle, furent difficiles à contenir. Dans un élan de force elle cria à l’encontre de la divinité. Toute son désespoir et sa colère se mêlèrent à la demande qu’elle lui formula.

Elle me demande mon aide ? Alors que tout est bientôt terminé ? Bien, elle en aura mis du temps à se décider ! Elle qui grognait contre les dieux et leur abandon, va savoir ou est sa place ! Maintenant elle va connaître le véritable désespoir.

Face au mutisme de l’Isis blanc, la colère et la douleur de Morgiane résonnèrent sur le champ de bataille, apportant l’intérêt du démon sur leur position. Elle se releva, titubante, la rage et la colère projetant une aura incandescente autour d’elle. Elle se saisit de son épée et se dirigea vers Lostris.

— De qui te moques-tu Isis ! Le spectacle t’a plu ? Tu es aussi haïssable que nos dieux ! Tu te présentes à nous avec tes grands airs, ordonnant que l’on t’obéisse et maintenant que tu obtiens victoire tu nous tournes le dos ! Elle se figea devant le regard écarlate et froid de Lostris. Tout son corps se mit à trembler face à l’aura maléfique qui se dégageait de la divinité.

L’Isis blanc ne saurait guider les cœurs incroyants sur le chemin de la lumière

 

Le ton doucereux et glaçant qui résonna dans la tête de Morgiane la désarma. Le souffle coupé par la désillusion qui s’insinuait dans son esprit, elle éclata en pleur. Criant, suppliant pour que la divinité lui vienne en aide, elle se prosterna. Elle le savait dorénavant. Elle avait failli à son rôle de reine. Elle avait offert la vie de son peuple au clan des ombres. Morgiane en était sur aujourd’hui. Cette bataille laisserait des cicatrices indélébiles. Les corps, les âmes, les terres marquées à jamais du sceau de la guerre. Le paysage autrefois paisible serait éternellement défiguré par les tranchés, les bâtiments en ruine et la nature meurtrie. Les âmes des survivants porteraient des blessures invisibles, des souvenirs traumatisants qui hanteraient à jamais leurs nuits. Les corps, qu'ils soient des soldats ou des civils, porteraient les stigmates de la violence. Leurs blessures ne guériraient jamais complètement. La guerre ne laisse aucun être, aucun endroit intact. Elle transforme tout ce qu’elle touche, et laisse un sillage de douleur et de destruction.

En disparaissant dans un nuage de lumière, Lostris n’écouta pas l’appel de ce qui fût une grande reine.

A suivre.

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