Grande plaine royale – Carrefour de Delphes – Promontoire
« Je t’écris ces mots sous les soleils ardents qui martèlent l’atmosphère embrasée, tel le marteau de Héphaï sur sa forge de basalte.
J’ai l’espérance que les vestiges de cette bataille génocidaire, stigmate d’une erreur royal menant un glorieux peuple vers les abysses de la mort ne soient pas vains.
À toi, Morgiane, illustre reine dont le cœur rongé par l’orgueil à mener ton peuple vers la grande faucheuse, j’ai espoir que tu sauras me pardonner ce que je m’apprête à faire.
Au plus profond de ton cœur tu le sais. Mes témoignages lors de nos rencontres te sont connus. Et pourtant, mes paroles n’ont jamais fait écho dans ton esprit. Alors laisse-moi d’abord te remémorer mes souvenirs. Ceux-là mêmes qui hantent mes pensées et repeignent mes nuits de cauchemars sans fin.
Au fil du temps, mes yeux ont contemplé de multiples batailles. Des guerres dont les issues funestes continuent de dévorer ma conscience.
J’ai assisté impuissante au déclin de puissantes civilisations telle que la tienne. Des nations entières disparaissant sous la hargne destructrice du clan des ombres.
J’ai vu de nombreuse fois les vivants poussés leurs derniers soupirs, face aux destructeurs noirs, que ton peuple appelle la sombre messe. Entendu leurs cris et leurs hurlements, souffrance de milliers d’âmes, dont la vie arrachée dans la plus grande des violences, résonnent encore dans mon esprit.
J’ai ressenti au fond de mon être, les arcanes de sortilèges, noirceur insondable s’immisçant glaciale, aussi noire que ma propre existence.
J’ai veillé tellement de monde noyé sous les ténèbres, disparaissant dans les nuits éternelles.
Et pourtant, sache que ma lumière guidera ton peuple si d’aventure tu acceptes mon aide.
Dans quelques heures, le volcan sacré de Orda repeindra le ciel d’une totale obscurité. Mais ça, tu le sais déjà, je t’ai fait part de ma vision.
Les soleils hauts dans le ciel, illuminent l’azur d’un intense rougeoiement. Continuant lentement leur course vers le crépuscule, leurs rayonnements entraînent avec eux l’éther enfiévré, dans une constellation de flammes orangées.
L’aquatique coloris bleuté des cascades aériennes se pare de traînées rouge sang, me rappelant les gelées de fruit draconique, horreur sucrée dont tu raffoles tant.
Tournoyant dans le ciel, leurs plumes chatoyants dessinant des arabesques carmin aux reflets dorés, les phénix de tes légions foncent tels des prédateurs ayant aperçu de leurs yeux perçants l’objet de leur appétit.
Le volcan de Orda au loin, fumant d’une nuée ardente, se prépare à laisser éclater son courroux volcanique. La montagne de feu est en colère. Sa force destructrice brille telle un joyau dans la rougeur de son magma. Bouchon scintillant à même son orifice, telle un rubis sur sa couronne de pierre, elle se perd dans les tourbillons mélancoliques des brumes. Hurlante et parcouru de tremblements, elle semble flottée parmi les nuages.
La grande forêt, collier de verdures regorgeant de milles vies, s’est transformée en brasier intense. Une mer de feu engloutit les arbres. Ces titans millénaires aux troncs tendres qui de leurs cimes s’élèvent vers le ciel. Eux qui apportaient auparavant une ombre bienfaisante sur les falaises enclavant la grande plaine, disparaissent sous les flamboiements ravageurs. Les taches rougeâtres des multiples foyers embaument l’air d’épaisses émanations qui se mêlent à la masse flamboyante de la montagne de feux. Les colosses cotonneux éparpillent leurs brumes chimériques sur l’orée de ton monde, soufflant avec eux un vent chargé d’odeurs de guerre et de brûlé.
La grande plaine, vaste étendue sauvage, devenue rivière de sang, est maculée des cris de tes soldats, couvrant le grondement incessant du volcan. Entachée par les cadavres de tes troupes et de créatures voraces, elle attend désespérément un miracle.
Je contemple impuissante la défaite de tes troupes au sol. Bien trop de sang a coulé en cette première journée de combat. L’arrivée tardive de la nuit ne leur laissera aucun répit. Ton monde brûle Morgiane. Bientôt une nuit éternelle va recouvrir son manteau gelé sur les vivants et ton ego n’y changera rien. »
Discret, l'air penaud et la présence timide, le général Dassos, contemplait l'auréole de lumière qui se dégageait de la divinité. Fragile, telle une pièce de porcelaine, le masque de guerrière impassible qu'elle tentait de maintenir se fissurait sous le vacarme silencieux de ses pensées. Il s'avança doucement, tendant une main hésitante vers elle. Ses pas étaient hésitants. Sa nervosité était palpable. Il espérait apaiser la tempête intérieure qui la tourmentait. Leurs regards se croisèrent. Un éclat de compréhension dans son regard rencontra le morne reflet d’une infinie tristesse. La profondeur de ses peurs et les espoirs qu’elle nourrissait étaient clairement visibles.
— Altesse, que fait tu ? Lui demanda-t-il.
— J’écris un message à ta reine afin que la petite le lui remette. Ses émotions se mêlaient dans un tourbillon lumineux.
— Comptes-tu nous abandonner ? Le général s’agenouilla. Il prit la main de Lostris, la renfermant dans la sienne. La peur au ventre, il lui révéla la lutte intérieure qui la consumait.
— Non, je vais rester jusqu’à la fin de la guerre. Lentement, elle baissa les yeux, sentant le poids accablant de cette guerre qui ne reflétait que désespoir et funeste destinée.
— Elle changera d’avis. Il prononça ces mots vides de sens.
Il ne croyait plus en la sagesse de sa reine. Cette pensée ajouta une couche de fragilité à son âme. Il se mit à trembler
— Je crains qu’il ne soit déjà trop tard Dassos… Elle se releva. Malgré tout, une lueur de détermination brillait encore, prête à se battre pour un avenir incertain.
Volcan de Orda
— Repoussez-les ! Ne les laissez pas descendre sur la plaine ! Le général Foïnix, son épée en main, poussait sa monture quelque peu effrayée par le déferlement de créatures de pierre.
Le chemin menant sur le premier pallier du volcan de Orda, vaste boulevard de pierre brunâtre enclavé de pics rocheux, enfumé par la chaleur venue des entrailles volcanique, devenait imprenable. L’immense lac de sources chaudes bouillonnait. Ses eaux cristallines encerclaient le pied du piton brûlant. Devenue rouge sang, ses émanations projetaient dans l’air embrasé, l’odeur sanguinolente des cadavres. Les premières lignes du bataillon flottaient dans l’étendue aqueuse. Les cadavres se mêlaient aux corps mutilés des phénix délogés violemment de leur nid.
Ce n’est pas l’œuvre des golems ! Même s’ils sont devenus violent suite au passage de l’ennemi, ils ne peuvent gravis les pentes fumantes de la montagne. Autre chose se cache dans les entrailles rocheuses.
— Archi-mages, quelle est la situation ! Cria-t-il
Les mages en renfort étaient dispersés sur les pics rocheux. Auréolés de diagramme bleuté et complexe, les mains tendues devant eux, ils se concentraient. Ils lançaient de nombreux sortilèges, dans l’espoir que l’un d’entre eux permette d’immobiliser les créatures.
— C’est peine perdue général ! Aucun sort n’a d’effet sur eux ! Il faut envoyer l’escadron aérien ! Le mage évita de justesse le jet d’une pierre.
La montagne se mit à trembler dans un grincement plaintif. Les hommes se bouchèrent les oreilles. Un cri de colère s’échappa du cratère. Une nuée de pierre dévala la pente. Foïnix, sauta de sa monture et s’accrocha difficilement à l’une des arêtes rocheuses. Il vit impuissant, sa monture disparaître en hennissant de douleur sous la poussière et les pierres meurtrières Les hurlements des soldats, prisonniers du boyau tortueux résonnèrent. Dans l’étourdissant fracas, il crut percevoir au milieu des cris, le craquement des os et de la chair qui éclate.
— Mon général, prenez ma main ! L’un des mages l’aida à se hisser sur le sommet de la pierre.
— Ils ont réveillé la montagne ! Les yeux levés vers le ciel, les deux hommes attendaient la fin du séisme.
— Ils sont acculés. Si l’Isis a vraiment arrêté l’homme du panthéon, alors ils savent que leur plan est compromis. De plus, maintenant que la montagne se réveille, la victoire nous est acquise ! Il lui tendit une gourde.
— C’est nous qui sommes sur ses pentes, si elle entre en éruption, alors nous sommes définitivement perdus ! Le général planta l’une de ses nombreuses dagues dans la pierre.
— Non pas forcément, nous devons nous rendre dans la grotte de Ephaï, nous y serons à l’abri. Il lui indiqua un promontoire à quelques mètres d’eux.
— Et comment, en forçant le passage ? Les golems nous arrêterons avant.
— Escaladons le promontoire c’est notre seule chance général ! Le mage lui tendit sa main.
— C’est du suicide ! Si les tremblements reprennent, nous chuterons ! Le souffle court, le général scruta l’épais tapis de poussière qui masquait l’unique passage vers le volcan.
— Que préférez-vous ? Tentez notre survie ou mourir sous les roches incandescentes ? Le mage commença son ascension.
Le général se décida. Il posa son pied sur une petite crevasse. Il leva son corps à la force de ses bras et se hissa à l’aide de sa seconde jambe qui reposait sur une excavation. Connaissant parfaitement bien les arêtes rocheuses du flanc de la montagne, lui et son compagnon arrivèrent sur un prolongement étroit qui courait le long de la falaise. Déstabilisé par le poids de son armure, il se délesta de son plastron et de ses gantelets. Il se saisit de ses dernières dagues, les plongeant violemment dans la paroi. Le métal s’enfonça dans la roche dans un bruit métallique. Il regarda une dernière fois le funeste passage en contrebas. La poussière était retombée, offrant la vue d’une mer de pierre ensanglantée. C’est alors qu’il la vit. Une étrange créature noire, accolée à la pierre, le regardait de ses yeux perçant.
— C’est cette chose qui a anéanti les phénix dans leur nid ? Le mage plissa son regard, murmurant une incantation.
— C’est étrange, elle ne semble pas pouvoir grimper alors comment ? Ses pensées devinrent confuses. Jamais il n’avait contemplé pareille engeance.
Un nouveau séisme frappa. La montagne vibra violemment accompagné d’un cri. Un grincement irritant dont la force se fit entendre jusque dans la plaine ou les combats s’acharnaient.
Le général rattrapa de justesse son compagnon, qui déstabilisé par les tremblements avait glissé. Les jambes dans le vide, retenu par un bras, le regard craintif, il se laissa hisser et s’accrocha à l’une des dagues plantée dans la roche. Le volcan se réveilla et dans une explosion de chaleur, une fumée danse et cendreuse vint tapir d’un gris manteau l’entrée du cratère. Le lac d’eau chaude entra en ébullition, projetant une fumée blanchâtre qui vint alourdir l’atmosphère.
— Nous devons avancer ! Le cri du général, couvert par la sonorité volcanique de la montagne en colère fut perçu difficilement par le mage.
Les deux survivants de l’unité continuèrent à progresser sur le chemin étroit avant de s’arrêter pour sauter sur une arête face à eux. La roche de forme rectangulaire, lézarder de fissures, ne résista pas longtemps avant de s’effriter. Les deux hommes à hâter le pas. Au bout du chemin, une grande fissure les accueillit. Haute de plusieurs mètres, assez large pour laisser passer un homme, ils s’y engouffrèrent.
Traversant le massif rocheux vers la source d’eau chaude, la crevasse ressemblait davantage à une prison. Les cendres, premier signe du réveil du volcan tombait autour d’eux. Respirant dans le tissu de leur tunique arraché pour l’occasion, il progressait lentement. Leur vision devenait difficile. La tempête grise devenait plus violente à mesure de leur progression. Le mage glapit. Le général suivi son regard. Sur le promontoire au-dessus d’eux, se tenait une dizaine de ces monstres, leur corps noirâtre ondulant sous les rayons solaires.
La grande plaine
Les débris de l’îlot militaire jonchaient la route. Au milieu des débris, les combats incessants transformaient la plaine sauvage en boucherie sanguinaire. Les troupes magiques peinaient à faire reculer l’invasion bourdonnant des créatures voraces. Malgré la destruction de certains portails, l’afflux massif des monstres ne faiblissait pas. Les archi-mages en position sur les rochers, noyaient la route de leurs sortilèges de feu. Les flammes vacillaient sous le vent. Elles brûlaient dans d’infernaux crépitements les chairs insectoïdes. Les odeurs de sang se mêlaient à celles de la chair brûlée. Les soldats en contrebas s’asphyxiaient. Leurs boucliers scintillaient faiblement sous la lumière du jour. Ils ne suffisaient pas à les protéger des fumées nauséabondes.
Le général Ackua et ses troupes avaient tenté une percée. Ils avaient débusqué des soldats ennemis qui se tenaient en retrait derrière une barrière magique. L’unité scindée en deux avait chargé. Galopant à toute vitesse entre les créatures, ils s’étaient séparés au carrefour naturel qui jouxtait la grande plaine et la forêt.
Les cavaliers sur les hauteurs, avaient fait demi-tour à l’orée du bois. Ils étaient revenus sur leur pas, empruntant les collines verdoyantes pour rejoindre l’armée principale dans les gorges abruptes. L’explosion provoquée par la disparition de la barrière de l’îlot militaire, avait soufflé sur des kilomètres les créatures et quelques portails. L’armée ennemie s’en retrouvait affaiblie.
Le massacre des monstres qui se déchaînaient, offrait aux oreilles des généraux restés en retrait, une symphonie horrifique. L’herbe tendre, qui autrefois ployait délicatement sous les légers assauts d’un zéphyr parfumé, n’était plus que des flaques de boues alimentées pas le sang.
Un campement monté à la hâte, caché dans les falaises menant à la grande prairie, avait été capturé par l’armée d’Elysia. Transformé en dispensaire, l’afflux de soldats blessés dont l’esprit avait sombré dans la folie, épuisait les mages guérisseurs. Lostris avait tenté avec bienveillance d’apporter son aide, mais les ordres de la reine Morgiane étaient sans appel. Malgré la détresse dans leurs regards figés par la terreur, les mages et les soldats l’avaient chassé, lui sommant de ne pas intervenir.
Grande plaine royale – Carrefour de Delphes - Promontoire
Le chaos. Cette force puissante et incontrôlable se défiant de toute tentative de maîtrise. Une tempête violente, aux meurtrissures déchirantes et aux cris hurlants. Il s’insinuait dans les esprits. Il martelait les corps de son funeste ouvrage, et laissait derrière lui un sillage de désespoir et de désolation. Les cris et les pleurs résonnaient dans la grande plaine. Ils se mélangeaient au fracas de la bataille qui se jouait sous ses yeux. L’air qu’il respirait était chargé d’une lourde tension. Un poison sinueux qui asphyxiait ses pensées. Entre l’infâme et cruel carnage se déroulant en contrebas et les relents d’hésitation qui se dégageait de la tente, Hélios se sentait perdu. Il attendait, le regard vide et l’aura magique terne. Il attendait que sa divinité se décide. Rester ou abandonner ce monde. Intervenir ou laisser le clan des ombres victorieux. Tel était le poids de la guerre qui pesait lourdement sur les épaules de Lostris.
Il se tenait derrière elle, les yeux s’attardant sur l’infime aura magique qui émanait de son Isis. L'aura était délicate, éthérée. Elle pulsait doucement dans l’air avec une lueur douce et apaisante. Elle semblait danser tel un voile de lumière argentée sous un doux vent. Le contraste avec le chaos environnant était subtil. Et pourtant, sous cette sensation de calme et de sérénité qui couvait sous sa chaleur, une tempête intérieure grondait. Hélios ne connaissait que trop bien le danger qui s’apprêtait à surgir. Il connaissait les émois du cœur de son Isis, ses doutes et ses hésitations. Les émotions conflictuelles qui tourbillonnaient dans l’esprit de Lostris, créaient une tension latente. Il la savait prête à éclater à tout moment. Chaque pulsation qui se dégageait d’elle, de son être de lumière l’apaisait et exacerbait ses tourments.
Lostris reposa sa plume. Ses yeux argentés rencontrèrent le brun de ses pupilles. Elle sondait son âme, à la recherche de la plus insignifiante trace de doute. Car lui aussi doutait. L’issue de cette guerre lui était connue. La fin de ce monde se profilait. Malgré tout, leur présence sur cette terre vouée à la nuit éternelle était incompréhensible. Lostris ne pouvait répondre aux questions silencieuses de son Medjaï. Elle ne pouvait assumer les actes qu’elle allait sous peu commettre. Répréhensible, moralement discutable, des actions qui marqueraient à jamais l’âme de jeune homme innocent. Ses mains tremblaient légèrement. Son cœur saignait. Sa magie la brûlait. Le regard de son Medjaï était fixé sur elle.
— Que veux-tu ?
— Les enfants, le général et son prisonnier, sont bien arrivés au campement ! Les gardes n’étaient pas contents, mais la reine semblait soulagée de les voir. Il restait debout, au garde à vous, attendant promptement un quelconque ordre.
— Un message ? Lostris resta assise, cachant ses mains prises de tremblements dans les poches de sa veste.
— Non, elle n’a rien dit. Elle ne m’a même pas adressé un regard. Lui dit-il le ton acerbe. Il se retourna subitement, intrigué par un couinement étouffé. « D’ailleurs, notre prisonnier se réveille !
L’air ambiant changea subitement. La lumière se fit plus forte, presque éblouissante. Hélios sentit la vague de tension qui avait envahi la tente disparaître. Lostris se redressa. Sa magie dansait vigoureusement autour d’elle. Son visage se para d’une excitation presque malsaine. Elle se tourna brusquement vers Hélios, son regard maintenant fixé sur lui avec une vigoureuse intensité.
— Le sort à cesser son œuvre ? Bien il est temps de renvoyer notre ami. Dit-elle d'une voix froide et déterminée.
— De le renvoyer ? Mais où ? L’étonnement sur son visage, il la regarda se parer d’un sourire. Il comprit que la situation venait de prendre une tournure bien plus sérieuse.
Barlen, le visage ruisselant de sueur, attendait couché sur le sol en position fœtal. La douleur qui parsemait son corps luttait avec le mal de tête que le sortilège avait implanté. Reprenant difficilement ses esprits, encore embrumé par les lampées magiques qui l’avaient plongé dans un état végétatif, il gémissait. Comme si des milliers d’aiguilles l’avaient traversé durant des années, il se souvenait parfaitement des piques lui transperçant les muscles, d’une céphalée douloureuse et de chaque ébullition de son sang. Les images de ses proches, disparaissant dans la clarté en hurlant, cri horrifique d’être se mourant dans la lumière, valsaient dans son esprit. Puis le silence, devenant peu à peu angoissant, avant que ne reprenne le cycle de douleur, encore et encore, l’affaiblissant mentalement à chaque nouvelle salve lumineuse.
Elle, elle va me tuer… Pitié qu’elle mette un terme a ma souffrance ! Qu’elle détruise mon âme, que je puisse ne plus avoir à subir les tourments d’une nouvelle vie.
Il se releva, difficilement, douloureusement et entrepris de ramper, tentant d’échapper à l’aura magique qui se dégageait de la femme face à lui. Le regardant avec amusement, elle s’avança doucement, pas à pas tandis que lui reculait
— Tu as peur de moi ? Mais à quel point as-tu peur de ton maître ? La tête haute, elle s’avança vers avec un sourire glacial.
Barlen se figea. Que voulait-elle dire ?
— Peur ? Nous avons tous peur de notre maître ! Il est notre guide ! Celui qui nous mènera vers la destinée de notre peuple ! Il cracha en direction de Lostris.
— Destinée ? Elle s'arrêta et le regarda comme s'il était fou.
Lostris souffla et étouffa un bâillement. La dernière heure sur ce monde touchait à sa fin. Elle n’avait pas dormi depuis des jours, et maintenant que l’excitation d’oser une nouvelle fois défier son pire ennemi se profitait, elle sentait la lassitude la gagner.
— Le seul destin que je vois pour vous est le néant ! Jamais ton peuple n’obtiendra vengeance ! Seule la loi divine prime et celle des humains sera réduite au silence. En parlant de silence, viens me voir mon enfant ! Sa main se para d’une douce aura de lumière. Elle la leva, empoignant magiquement l’homme à terre.
Lostris se garda de sourire en voyant la terreur dans les yeux du prisonnier. Elle allait simplement murmurer à son oreille, lui partageait la cruelle destinée qu’elle lui réservait. Il lui était aisé d’insinuer dans l’esprit des créatures humanoïdes des ordres unique et distinct. Elle ne le frapperait pas de mutisme, elle l’encouragerait et manipulerait son esprit et son âme. Elle allait le pousser à trahir une fois de plus son propre peuple, en échange d’un doux rêve qui n’arriverait jamais. Trahir et manipuler étaient des actes qui couvaient bien trop souvent dans le cœur de ces créatures. Elle maîtrisait désormais ces outils avec une froide détermination grâce à l’entraînement de feu son mentor le Seigneur Alkan. Elle avait compris que pour atteindre son but, embrasser ces aspects sombres des humanités était plus que nécessaires.
Barlen émit un couinement alors que ses jambes quittèrent le sol. Flottant dans les airs, il se sentit attiré. Se tenant face à Lostris, il la regarda, le regard terrifié.
— Tu vas passer un message à ton maître. Notre dernière rencontre fut brève. J’ai hâte du jour ou nos chemins se croiseront à nouveau, si d’aventure il ose se montrer à moi sous sa véritable apparence. Va maintenant, l’ombre et la lumière l’attendent. Elle plaça entre ses mains le cœur qu’elle lui avait arraché.
Étincelant sous le soleil haut dans le ciel, le cristal rougeâtre pulsait entre ses mains. D’un geste de la main, Barlen se volatilisa dans un nuage ardent.
— Quand as-tu croisé son maître pour la dernière fois ? Il fronça les sourcils en entendant la question. Ses mains se crispèrent légèrement.
— Il y a cinq mille ans. Elle se détourna d’Hélios, réprimant un rire.
Il écarquilla les yeux, surpris par sa réponse.
— T’as pas jugé bon de le préciser ?
— Non, j’essaie de semer le doute dans leur esprit. En omettant ce détail temporel, j’ai bon espoir qu’ils pensent que leur maître savait pour ma présence parmi eux. Le destructeur ! Quel nom pitoyable à ajouter aux autres ! Elle éclata de rire.
Hélios secoua sa tête, un soupir exaspéré s’échappant de ses lèvres. Ses nombreuses missions à ses côtés lui avaient appris que les actions divines se jouaient toujours des humanoïdes. Ils n’étaient que des pions sur l’échiquier divin. Leurs vies entre les mains d’êtres aux pouvoirs incommensurables d'une nature si enfantine.
— Le bluff ne te sied guère Altesse !
Elle haussa les épaules, puis croisa ses bras, prenant une posture plus assurée.
— Ainsi est l’art de la guerre ! Ce n’est qu’un jeu parmi tant d’autres.
Grande plaine – Prairie d’Asphodèle
Le sang maculant son armure assombrissait son humeur. Morgiane, l’âme en peine, se déplaçait aux chevets de chaque blessé. Lorsqu’elle apposait sa main parée d’une douce lueur rougeâtre sur le corps meurtri d’un soldat, elle y insufflait la chaleur de son énergie. Morgiane ne pouvait ignorer le poids croissant du désespoir qui envahissait l’esprit de ses compatriotes. La guerre en dehors s’éternisait, et elle savait qu’elle allait la perdre. Elle allait perdre également le soutien de son peuple.
Elle tentait d’occulter les murmures des blessés et des guérisseurs qui se mêlaient aux bruits lointains de la bataille. Morgiane se força à maintenir un sourire rassurant. Les regards de ses hommes, se remplissaient de haine à son encontre, recherchaient réconfort et espoir. Ses convictions s'affaiblissaient. Les erreurs passées et les mensonges de la royauté emplissaient son esprit d’une multitude de contradictions. Le roi Priam, son ancêtre, avait juré fidélité à Lostris. Il lui avait promis le dévouement du peuple d’Elysia dans la grande guerre à venir. Mais Morgiane, consciente de l’insulte envers la mémoire de ceux qui jadis avaient combattu les armées divines et les dieux, continuait de s’enfermer dans une profonde négation. Son égo se fragilisant d’heure en heure, ne voulait rien changer à ses décisions. Elle avait ordonné, rejeté l’infâme vérité sur l‘univers les entourant. Elle avait fait disparaître ceux qui souhaitaient ardemment qu’elle courbe l’échine devant l’Isis des Neuf Royaumes. Balayé d’un revers de main cette aide si précieuse que la divinité lui avait proposé. Morgianne ne souhaitait que la liberté pour son peuple, l’indépendance envers les lois divines d’un autre âge. Ne pas devenir un vassal contraint de partager son pouvoir avec des êtres venus d’ailleurs. La grande guerre qui se profilait ne concernait pas son monde. Le passé avait déjà trop coûté à son peuple.
Au milieu des murmures, Morgiane savait que l’égoïsme de ces décisions les menait maintenant vers l’anéantissement. La cruelle réalité qui s’épanouissait sous les massacres et les destructions ne changeait rien. Seule Elysia était, seule Elysia devait combattre. Pour l’espoir et son futur.
Elle continua à déambuler dans cet hôpital de fortune, qui monté à la hâte devenait à mesure de sa progression, un mouroir. Les gémissements, les cris, l’odeur du sang, lui montait à la tête. Les archi-mages qui assistaient les guérisseurs, se relayaient sans relâche, triant les blessés. Au fond de la tente, poser sur une paillasse à même le sol, ceux qui allaient mourir, attendait la visite de leur monarque avant de rendre leur dernier soupir.
Un soldat blessé agrippa soudainement sa main, et elle se pencha vers lui, ses yeux reflétant une détermination féroce malgré la douleur qu'elle ressentait. Face à la mort inévitable du jeune homme, elle s'efforçait de garder bonne figure. De rester sa reine.
— Reposez-vous, murmura-t-elle d'une voix douce mais ferme. Nous nous battrons jusqu'à la fin, pour chaque homme, femme et enfant de notre peuple.
Elle se redressa, ses mains toujours enveloppées de cette lueur rougeâtre. Étant prête à continuer son œuvre, Le sacrifice était immense, mais elle savait qu’elle ne pouvait pas abandonner, pas tant qu’il restait une once d’espoir.
Marlin à ses côtés, saisit de nausées, la suivait au beau milieu des lits de fortune.
— Dans quelle circonstance as tu fais la rencontre de la divinité ? Elle se pencha et offrit un sourire au soldat couché. Lui prenant la main, elle déversa sa magie de guérison dans la plaie qui maculait son torse.
— Nous étions réfugiés dans les arbres, tentant de battre les créatures en contrebas. Soudainement, la forêt s’est illuminée. Puis les créatures sont tombées, tuées par un sortilège de glace. Marlin, les yeux rivés sur le visage désormais paisible du soldat, se rappela l’horreur qu’elle avait vécue. Elles continuèrent leur route.
— Elle vous a donc aidé ? A-t-elle dit pourquoi ? Morgiane se dirigea vers un archi-mage, dont la robe déchirée, cachait à peine la blessure qui lui avait coûté une jambe. Les bandages autour de son genou sanguinolent, étaient imprégnés du liquide vital. Morgiane entreprit de changer le bandage et de stopper l’hémorragie avec sa magie. Le regard de compassion qu’elle lui offrit, calma l’homme qui s’endormit.
— Oui ma reine ! Elle a dit qu’elle ne pouvait pas laisser des enfants se faire tuer ! Alors elle nous a mis à l’abri, nous à donner à manger, a pansé nos blessures et nous a laissés nous reposer avant de nous renvoyer ici. Elle tendit un rouleau de tissus fin servant de bandage de fortune à la reine. Marlin n’avait pas encore étudié la magie de guérison dans son cursus et se sentait inutile.
— A-t-elle été envoyée par quelqu’un ? Elle prit le bras de la jeune femme, et ensemble se dirigèrent vers la sortie.
— Elle n’a rien dit dans ce sens majesté. Juste qu’elle se promenait dans la forêt !
— Elle se promenait ? Il n’y a qu’elle pour faire une promenade au beau milieu d’une guerre. La reine entraîna la jeune fille vers la sortie de la tente.
Le phénix de la reine, attendait sous le soleil cuisant. L’animal majestueux, déploya ses ailes aux plumes carmin. Sa queue en panache fouetta l’air soulevant un nuage de poussière.
— Je te dispense de cette guerre. Ton courage à permis de sauver la vie de ton camarade et tout comme lui, je te renvoie vers ta famille. Tu seras désormais préposé à la sécurité des cavernes de Delphes. La reine aida Marlin à s’asseoir sur la selle de cuir brunâtre. S’attachant, les pieds dans les étriers, elle regarda la monarque avant de laisser l’oiseau prendre son élan et s’envoler. Fendant l’air, elle baissa la tête et contempla le champ de bataille se rétrécissant à mesure qu’elle prenait de la hauteur.
Région forestière – Forêt sacrée de Drya
Les centaures s’étaient figés. Encerclant la cabane, leurs massues et armes aux poings, ils attendaient, leur stature chevaline au garde à vous. Le combat rapide qu’ils avaient offert aux intrus s’était terminé, depuis que le crépuscule avait laissé sa place à l’aube. L’imposante cascade qui alimentait le lac, scintillant sous la lumière du jour, apportait la fraîcheur des plateaux enneigés de la falaise. La faune sauvage piaillait allégrement dans les bois jouxtant le bosquet sacré, qui se réchauffait sous les rayons lumineux.
Le centaure créature imposante, fusion parfaite entre homme et cheval s’impatientait. Son corps puissant et musclé tremblait, mue par un irrépressible sentiment d’alerte. Sa robe de couleur brun foncé, presque noire, luisait du sang de l’homme qu’il avait combattu un peu plus loin dans la forêt. Ses sabots martelaient le sol avec autorité. Ses yeux perçants, d'une couleur ambrée, brillaient d'une lueur de défi. Ils scrutent les environs avec une vigilance constante. La tension palpable qui imprégnait l’air lui fit perdre patience. La sérénité de la nature qui s’éveillait et la gravité de la situation étaient angoissantes. Le centaure grogna, dérangé par l’attente funèbre. Les intrus s’étaient réfugiés à l’intérieur du petit temple. Les parois teintées du sang du malheureux tombé sous leurs coups avaient séché, dessinant des zébrures sur le bois craquelé. Il projeta son casque orné de plumes et de symboles de guerre, contre la paroi du petit temple.
Un bruit sourd le sortit de sa torpeur. Ouvrant les yeux difficilement, il fut saisi d’une douleur prenant d’assaut sa poitrine. Arlan essaya de se redresser, les bandages enserrant son torse se teintèrent de rouge. L’esprit encore embrumé, il tenta difficilement de se souvenir. Lui et les autres avaient été attaqués par des créatures sortit des bois. L’éclat d’une arme l’avait aveuglé, puis la force d’une attaque l’avait projeté en arrière, l’envoyant finir sa course dans l’eau gelée du petit lac. Puis ce fut le trou noir. Qui l’avait attaqué ? Quelle créature avait eu assez de puissance pour s’en prendre à lui ? Les questions qui accaparaient son esprit lu firent oublier l’essentiel.
— Enfin réveillé ? La voix nasillarde du capitaine le ramena à la réalité.
— Varlen ? Ou ? Il s’passe quoi ? Une quinte de toux le saisit, raidissant son corps.
— Des centaures ! Ils sont sortis du bois après nous avoir envoyé la tête d’un de nos soldats. Le dos tourné à quelques mètres de Arlan, il terminait de tracer les signes d’un portail.
Une dague à la main, il la plantait dans son propre poignet, laissant son sang coulé sur le bois poussiéreux. Se servant d’un tissu, il dessinait de complexes et étranges symboles.
— L’gamin ? Arlan braqua son regard sur le dos de Varlen.
— Mort ! Quel dommage, il n’aura pas fait long feu dans cette guerre ! Même pas eu le temps d’invoquer ces limaces ! Varlen se tourna vers lui, le tissu rougeâtre dans la main. Son teint pâle, reprit quelque couleur, lorsqu’il utilisa sa propre magie pour guérir son manque de sang.
— La guerre ? Barlen à échouer ! L’explosion du panthéon n’a pas eu lieu, et impossible de joindre les soldats en charge de sa surveillance. J’ai envoyé une autre unité dans les souterrains de l’île militaire. Ils ont réussi, l’ennemi a perdu une bonne partie de son armée. Varlen souffla avant de baisser la tête.
— J’comprends pas, le destructeur ? La douleur dans sa poitrine le fit grimacer.
— Non, aucune trace de lui. Mais une tierce personne s’est jointe à la guerre. Ni ennemie, ni alliée, elle semble faire comme bon lui chante. C’est tout ce que je sais. Les informations ont du mal à nous parvenir. Le vaisseau ne communique plus.
— Pourquoi j’peut pas bouger ? Varlen ? Qu’est que tu fais ? Il se sentit léviter.
Varlen relâcha sa magie et le déposa au centre du portail. Se saisissant d’une dague, il s’agenouilla à ses côtés.
— Abattre les ténèbres, invoquer le démon, déclencher l’apocalypse et mettre Elysia à genou, telles sont mes ordres. Dans les ténèbres qu’occupe ma vie, la lumière ne peut exister, et pourtant seul un homme a su incarner cette lueur d’espoir que mon cœur loue tant. Le maître, cette chandelle intense qui brille intensément, apportant les forces nécessaires à l’accomplissement de nos missions. Louange d’une âme dégénérée à la noirceur absolue dans laquelle nous avons entrevu la lumière. C’est pourquoi nos êtres lui appartiennent. Nos vies sont futiles et remplaçables car nous vivons pour lui et à travers lui. Nous ne sommes que des pions sacrifia destinés à nous donner pour la grandeur de notre peuple.
— Bordel, tu fais quoi ? Cria Arlan.
— Le gamin est mort ! Il était jeune et vigoureux, sa force vitale était plus forte que la tienne ! Quel dommage de perdre un homme de ta valeur ! Mais soit reconnaissant, je parlerais au maître de ton courage ! Tu recevras tous les honneurs pour ton sacrifice ! Il incanta. Son corps se parant d’étranges glyphes noirâtres, ses yeux se révulsèrent et sa voix devient rauque.
Toi qui vis dans les entrailles les plus sombres de Yuans Huai, viens à moi ! Afflige ces terres bénies de la lumière ! Repeins le jour d’une nuit sans fin. Que ton ombre s’abatte sur les vivants, qu’elle les condamne à l’errance éternelle. Bajie !
Arlan, les yeux écarquillés compris subitement qu’il allait servir de sacrifice pour l’invocation de Varlen. Il vit la dague se lever puis s’abattre.
A suivre.
saches que j'imprime les textes qui m'intéressent je n'aime pas lire sur écran... ce chapitre est trèèèès long lol.
je le lirai bientôt.
Bye