Véronique reparut derrière ce que je pensais être l’une de ses supérieures. Les trois femmes (L’infirmière, sa chef et ma mère, pour ceux qui reprennent l’histoire en cours) discutaient de la marche à suivre. Le fait que ma mère était écoutée montrait qu’elle avait une certaine légitimité dans le domaine médical. J’attendais, Camille s’en foutait, cela serait sûrement le cas jusqu’à la fin du Prince de Bel Air. Une fois leur petite conférence terminée, elles se tournèrent vers moi. Je ne me sentais pas si serein, j’avais l’impression qu’elles allaient me faire ma fête. Elles réunirent le matériel nécessaire et j’eus rapidement trois femmes à mes pieds (dans n’importe quel autre contexte, j’aurais adoré). La situation me mettait quelque peu mal à l’aise, comme lorsqu’un abruti vous regarde faire votre créneau : vous voulez faire abstraction de sa présence pour vous concentrer sur la manœuvre mais vous ne pouvez pas vous empêcher de vous demander si ses mouvements de tête signifient que vous êtes en train de vous planter ou non. En face de moi, j’avais une horrifiée, une fascinée et une attentive (jouez à qui est qui, réponse en fin de volume). En bonus, Camille (qui avait fini de regarder la télévision et porté son attention sur nous) était les trois à la fois.
Je préfère vous épargner les détails mais, pour résumer grossièrement, j’ai douillé. L’infirmière en chef laissait faire la jeune dont les gestes n’étaient pas tout à fait assurés (ceux qui se sont fait piquer le bras dix fois de suite avant qu’on leur trouve une veine comprendront). Je me mordais donc les lèvres en essayant vainement de me souvenir du numéro de SOS Enfants Battus que j’avais pourtant consciencieusement appris par cœur dans mon enfance en cas de besoin (exemple de situation d’urgence : ordre de ranger sa chambre, interdiction de quitter la table avant d’avoir fini son assiette, réprimande pour une note un peu trop juste, punition pour avoir tenté de faire du skateboard dans le couloir de l’appart, heure de coucher scandaleusement précoce, …). Je pus me remettre à respirer quand ma jambe fut immobilisée avec en plus une chevillière pour s’assurer que rien ne bouge. Ainsi momifié et double béquillé, j’étais prêt pour partir vers de nouvelles aventures.
Maintenant qu’il était soigné (il avait fallu rappeler fermement à mon infatigable colocataire qu’on n’écrit pas de petits mots sur un bandage contrairement à un plâtre), l’Homme (enfin la Fille) pouvait enfin se dresser sur ses jambes (l’orchestre de la bande sonore jouera à ce moment Ainsi parlait Zarathoustra de Strauss avec ses coups de tambours mythiques : Bom bom bom bom bom booom). Je fis quelques pas façon Culbuto mais je maîtrisais la technique sans trop de difficultés : l’avantage (si j’ose dire car je m’étais bien éclaté dans les escaliers ce jour-là, gisant au sol en couinant comme une fillette ce qui était à bien y réfléchir peut-être une sorte de prémonition de ce qui allait m’arriver) était que je sortais d’une période d’immobilisation durant laquelle j’avais été contraint à l’utilisation de ces instruments. La mémoire du corps, ou plutôt de l’esprit qui contrôlait ce corps, fit que je réussis à me déplacer avec une certaine aisance, sous les encouragements ardents de cette mère et avec Camille scandant « Hey » à chacun de mes pas (cette coquine, d’ailleurs, devait se croire en concert car elle rythmait de plus en plus espérant me faire accélérer. Heureusement que je n’ai pas l’oreille musicale car j’aurais pu être tenté de la suivre ce qui aurait eu de fâcheuses et hilarantes conséquences).
« Bon, nous n’avons plus qu’à partir alors, conclus-je avec entrain (car je commençais à en avoir ras le bol de cet endroit, c’est pas que je m’ennuie).
-Tu n’oublies pas quelque chose, mon cœur ? (Oui, il est temps de rétablir la vérité : les parents ne se souviennent jamais du nom de leurs enfants), demanda ma mère. Tu ne vas pas sortir comme ça. »
Je voulais lui répondre : « Mais Môman, je suis une grande, j’ai 12 ans ! », mais je me rendis compte qu’elle devait plutôt faire allusion au fait que j’étais toujours vêtue de la blouse légère de l’hôpital. Elle reprit :
« Tu dois te changer, il fait très froid dehors. Nous sommes en plein décembre et il fait nuit, tu vas attraper la… »
Elle s’était arrêtée avant de dire « mort » sans doute. Le traumatisme de cet accident était encore frais pour elle dans sa mémoire. Comme toujours, je ne voulais pas ajouter à sa peine et je lui pris affectueusement la main en disant simplement :
« D’accord. »
Elle sortit une valise d’un placard et la posa sur le lit à côté de moi. Elle commença à en sortir différents vêtements sous mon regard médusé. Mais elle était de meilleure humeur car elle chantonnait (je reconnus « j’en ai rêvé » de la Belle au Bois Dormant ©Disney, je ne vous passerai pas l’extrait car j’estime que les éventuels bénéfices de ce livre couvriraient à peine les droits pour 3 ou 4 notes de la chanson. A défaut, vous pouvez vous rabattre sur le ballet de Tchaïkovski qui est libre de droit) en sortant pêle-mêle : hauts, bas, dessous, dessus, gauche, droite, diagonale. Rien dans mon style et surtout beaucoup trop féminin. J’admets que, petit, j’avais essayé une fois les chaussures à talons de ma mère mais ce fût ma seule expérience en matière de travestissement. Après avoir fait sa sélection, elle me soumit ses choix. On se serait cru à un après-midi shopping entre filles. Alors que j’observais une robe avec circonspection, la tenant du bout des doigts comme une serpillère sale (alors qu’elle était objectivement assez mignonne mais pour une fille), je remarquai que les deux (ma mère et Camille, bien sûr) attendaient avec empressement que je procède à l’essayage mais j’en vins à attraper la pile et sautillai dans la salle d’eau pour « faire la surprise ». Je dois dire qu’elles me mettaient une pression pas possible.
Une fois assis en sécurité (sur le siège des toilettes avec le verrou fermé), j’examinai mes options : pour le haut, rien ne m’attirait, je choisis ce que je trouvais le plus neutre à savoir un sous-pull à manches longues blanc et un sweat à capuche gris (on m’avait dit qu’il faisait froid dehors) arborant le nostalgique logo Champions (il y avait un soutien-gorge dans le tas, mais je l’avais tout de suite éliminé en me disant que je ferai sans : je sais, avec une grande maestria, les dégrafer mais je n’ai presque jamais eu à les agrafer et encore moins sur moi et encore moins sur … elle, donc hors de question) ; pour le bas, il fallut faire des compromis : il y avait bien un jean mais cette Cerise portait du 4 ans ou quoi ? Il semblait tellement étroit et serré que je ne voulais prendre le risque d’y insérer ma jambe blessée, j’allais devoir me rabattre sur une jupe longue bleu ciel ; et enfin, une … culotte. Ô mon Dieu ! Je ne savais pas depuis combien de temps elle portait celle que j’avais. Je me demandais s’il me fallait en changer. Je n’avais aucune idée du rapport à l’hygiène de Cerise mais, moi, j’y suis bien attaché et je pris le parti de faire le changement (c’est maintenant). Je pris une longue inspiration et en un geste rapide mais sans précipitation, j’ôtai celle que j’avais, la jetai dans un coin et en enfilai une autre. J’expirai, je me sentais comme après cette épreuve de Fort Boyard où l’on cherche la clé dans des pots remplis de substances répugnantes. J’avais tout de même fait attention à ce que le petit nœud sur le sous-vêtement soit devant car rien n’est plus inconfortable qu’un slip porté à l’envers et je voulais éviter d’avoir à manipuler la pièce de tissu autant que possible. Cette courte expérience fut la plus terrible de cette nouvelle vie. Je me pris à espérer de tout mon cœur que Cerise reprendrait sa place avant d’être de nouveau obligé à la subir.
Alors que je me disais que j’avais fait le plus dur, un nouvel obstacle se présenta à moi (résumé de l’épisode en cours : je m’habille). Je m’en rendis compte en attrapant le col de ma blouse pour la retirer (comportement somme tout masculin parait-il, car les femmes croisent les bras et empoignent le bas du vêtement pour le faire passer par-dessus leur tête. Elles se retrouvent donc toutes bêtes avec leur haut à l’envers et ensuite, vous savez quoi ?, elles le mettent au lave-linge. Alors que si elles faisaient comme nous les hommes, elles pourraient facilement le reporter le lendemain. Quel gâchis !). J’allais donc me retrouver presque nu, ce que, si vous avez bien suivi jusque là et je pense avoir été clair là-dessus, je voulais éviter. Pour préserver ma, enfin, sa pudeur, j’eus de nouveau recours à me technique secrète ninja : l’extinction de lumière. Je vous explique, étape par étape : d’abord, vous tendez votre doigt, beaucoup préfèrent l’index mais les plus audacieux peuvent tenter l’auriculaire, repérez le carré en plastique sur le mur et, avec conviction et précision, pressez le bouton se trouvant au centre (si vous appuyez à côté, ne vous découragez pas, reculez votre doigt, utilisez-en peut-être un autre avec lequel vous êtes plus habile au cas, c’était peut-être un peu tôt pour utiliser un doigt trop exotique ; si vous ressentez de forts picotements, vous avez mis votre doigt dans la prise électrique, nous vous conseillons de rapidement le retirer et de tenter le carré en plastique qui se trouve à côté). Instantanément, j’entendis la voix de ma mère me demander si tout allait bien, je la rassurai en lui promettant de sortir au plus vite. J’enfilai donc à toute vitesse, tee-shirt, sweat et jupe (en me repérant avec la petite étiquette pour distinguer le devant du derrière) et je sortis, façon « toc, toc, badaboum, me voilà ! ». Je cherchais ainsi à éviter l’embarras suprême de son intrusion et s’apercevoir en plus que j’avais verrouillé la porte ce qui était encore plus louche. J’avais un autre raison à cette rapidité : j’avais autant hâte que vous de me voir quitter cet hôpital et si je mettais autant de temps juste à m’habiller, qu’est-ce que cela donnerait pour d’autres actions aussi anodines ? « Aujourd’hui, dans la tome 4 du Temps de Cerise, Cerise mange un yaourt, une odyssée épique et fantastique sur 300 pages (avec comme twist final : le yaourt n’était PAS au citron !) ».
Le regard circonspect de Maman et Camille ne laissait aucun doute quant au fait que je ne ferai jamais carrière dans la mode (« Ma chérie, ma chérie, ce n’est pas possible ! Tu n’es pas magnifaïque du tout! »). Néanmoins, je leur fis comprendre qu’il était hors de question que je me change de nouveau.
« Bon, je crois qu’on peut y aller maintenant !, m’impatientai-je. »
Maman hocha joyeusement de la tête mais c’était sans compter avec le dernier boss de la zone.
« Tu t’en vas déjà ? »
Je me retournai vers la petite voix dont les trémolos ne faisaient aucun doute sur l’état de sa propritaire et me retrouvai en face de grands yeux humides : mon point faible, une fille qui pleure.
« Ca va aller, tu vas bientôt sortir, toi aussi., me défendis-je.
-Mais tu avais dit que tu serais comme ma grande sœur…, attaqua-t-elle. (Rassurez-moi : je n’avais jamais dit ça, non ? Relisez les chapiitres précédents. Cette petite filoute devait être une sacrée manipulatrice avec son joli minois de poupée. C’était sans aucun doute pareil avec le copain Xavier dont elle m’avait parlé. Si ces deux-là devaient continuer leur relation après l’école soit ils se marieront, soit l’un des deux aura tué l’autre.)
-Camille, je ne peux pas rester éternellement…, parai-je.
- Je vais rester toute seule…, agressa-t-elle de plus belle
- Ne t’en fais pas, on pourra se revoir à ta sortie, on pourra… »
A 10-12 ans, on pourra faire quoi, en fait ? Pas boire un verre, pas manger au resto, pas aller en boîte, pas se faire un bowling ou un ciné, un après-midi Barbie alors ?
« Ecoute, je peux te donner mon 06 (Mais ça n’existait pas encore, non ?) ou plutôt mon numéro de téléphone. Tu pourras m’appeler ! Puis-je lui donner, Maman ?
- Je n’y vois pas d’inconvénient. »
Elle sortit un crayon et un morceau de papier de son sac et me les tendit. Une fois en main, je restais immobile, la pointe du stylo suspendue. Je dus les rendre en murmurant, quelque peu honteux :
« Pourrais-tu l’écrire, s’il te plait ? Je ne le connais pas, ne m’en souviens pas, mentis-je. »
Elle me considéra avec la compassion et la pitié qu’on a pour un petit oiseau blessé :
« Ma pauvre chérie… »
Je repris la feuille, essayant au passage de mémoriser les 8 chiffres, et la donna à ma petite amie (parce qu’elle est petite et est mon amie, gardez vos pensées impures pour vous-même !). Elle l’attrapa sans cesser de renifler. Je pus enfin m’enfuir au prix d’un ultime câlin et d’une série de coucous de la main.
Je ne connaissais pas la technique de l'habillage dans le noir. Sous la couette oui, j'étais une experte et sans courants d'air.
Bon, encore un petit chapitre.
Bon, allez, encore un, tu as raison..
J'ai bien apprécié ce chapitre, même si je t'avoue que de mon côté l'humour prend un peu le pas sur l'histoire. Vu qu'il est très bon, je suis à l'affût de la prochaine pique avec impatience. C'est très drôle, tu vas dans pleins de domaines différents (musique libre de droit, jeux de mots...).
Le passage avec la culotte est bien retranscrit, j'imagine que j'aurai un peu les mêmes sensations^^ Et la comparaison avec Fort Boyard était top !
Ce qui m'amuse aussi beaucoup c'est les remarques que le narrateur fait sur Camille ! C'est toujours très drôle. Le passage où elles se disent au revoir vu comme un combat acharné c'était une super idée.
Allez je te mets mes deux passages préféré pour clore ce commentaire :
"Aujourd’hui, dans la tome 4 du Temps de Cerise, Cerise mange un yaourt, une odyssée épique et fantastique sur 300 pages (avec comme twist final : le yaourt n’était PAS au citron !)" xD très bien celle là !
"petite amie (parce qu’elle est petite et est mon amie, gardez vos pensées impures pour vous-même !)." xD
Deux petites remarques sur la forme :
"Je fis quelques pas façon Culbuto mais je maîtrisais la technique sans trop de difficultés : l’avantage (si j’ose dire car je m’étais bien éclaté dans les escaliers ce jour-là, gisant au sol en couinant comme une fillette ce qui était à bien y réfléchir peut-être une sorte de prémonition de ce qui allait m’arriver) était que je sortais d’une période d’immobilisation durant laquelle j’avais été contraint à l’utilisation de ces instruments." phrase un peu longue, il faut suivre.
"ce que je trouvais le plus neutre à savoir un sous-pull" virgule après neutre ?
Un plaisir,
A bientôt !