Celle qui avait une vraie conversation

Par Bleumer

Nous reprenons notre histoire au lendemain de l’événement raconté au chapitre précédent précédent.

A sa grande surprise, Karima récupéra son carnet vierge de toute punition. Je sentais qu’elle devait un peu moins me détester, en tout cas, ses démonstrations d’hostilité se firent plus rares. Je ne pouvais pas dire que nous étions amies, ce genre de processus prend du temps. Mais, oui, un jour, elle sera mienne !

Avançons encore un peu plus dans le temps jusqu’à la mi-janvier. Les conseils de classe venaient de passer. Et vous mourez d’envie d’en connaître les résultats, n’est-ce pas ? Personnellement, je m’en foutais, mais, vous savez, la curiosité et tout ça… Vous êtes sûrement plus intéressés par le résultat des dernières élections et quel qu’il soit, vous râlerez de l’incompétence des autorités politiques, même si elles appartiennent au parti auquel vous avez fait allégeance, parce que personne n’est jamais content, personne n’obtient jamais le résultat qu’il escomptait. Et bien, le résultat du conseil de classe, c’est un peu pareil. Quel que soit l’appréciation finale, ça ne changera pas grand-chose à votre vie.

Ce matin, les garçons se rassemblèrent autour du représentant mâle de la classe et les filles autour de Karima, ce qui était la seule fois où elle était la cible d’autant d’attention (autrement que pour l’emmerder). Ses notes à la main, elle annonçait à chacune le verdict et les éventuelles remarques des professeurs. Toutes pourront ainsi anticiper la prochaine distribution des carnets au cours de la prochaine réunion parents-professeurs du samedi suivant.

Voilà les résultats de nos principaux protagonistes pour vous donner une idée :

- Karima : les Félicitations, pas de surprise, je m’y attendais aussi.

- Bastien et Tam : les Encouragements, plutôt pas mal.

- Clarisse et Shirley : Rien, on est dans la moyenne, plutôt limite quand même

- Hanane : Avertissement de travail, ça ne va plus, il faut redresser la barre, je vais peut-être devoir m’en mêler.

- Enfin, moi : et bien… Rien. La situation était assez complexe. Penchons-nous un peu là-dessus. Remarquons que j’ai toujours été un élève émérite et qu’une telle appréciation m’aurait valu une sévère punition et des heures au coin à pleurer (Ah ! Douce enfance !). Mais du point de vue de Cerise, il était initialement prévu Avertissement de travail et de conduite. Ouch ! On ne pouvait pas faire pire. Néanmoins, au vu de mon comportement et travail depuis mon retour, la peine a été allégée pour me donner une chance. La prof de maths voulait maintenir les Avertissements, soutenant que mes brusques changements n’étaient pas naturels et qu’elle n’était pas dupe sur mes intentions. Celle de Français soulignait ma maturité, ma culture et la finesse de mes analyses, considérant cet accident comme un déclic qui m’avait fait reprendre ma vie en main. Celui d’EPS s’était contenté de dire que c’était dommage, un vrai gâchis (personne ne comprenait ce qu’il avait voulu dire). D’une manière générale, les autres s’étaient plus ou moins accordés à mettre en avant ces changements. J’avais donc réussi à sauver les meubles. Je n’avais qu’à continuer ainsi et tout irait bien… Mais non, évidemment que tout n’allait pas aller bien ! Sur le plan scolaire peut-être, mais j’allais bien trouver un moyen de tout foutre en l’air et un élément auquel je n’avais jamais fait attention, trop concentrée sur ma petite personne allait m’être mis sous les yeux.

Quelques jours plus tard ou semaines, la routine m’avait quelque peu fait perdre la notion du temps, pendant une pause de midi alors que je m’étais posée dans un coin tranquille de la cour pour profiter du pâle soleil de février (alors, ça faisait bien quelques semaines, que le temps passe vite ! Je continuais à jouer à gentille fille à la maison, à éviter Sylvain à tout prix, à entretenir mon amitié avec Karima, à traîner avec le trio de filles sans les écouter et à me rendre compte que je ne parvenais pas à me faire d’autres amis, car il m’était difficile de m’intéresser à eux ; il n’y avait qu’avec Bastien que ça évoluait : grâce à mes connaissances en jeux vidéo rétro (mais contemporain de l’époque), je l’aidais à trouver les passages secrets dans Donkey Kong Country et lui donnais le code pour débloquer Goku et Tara dans Dragon Ball Z 2, ce qui me valut son admiration éternelle), une présence troubla ma retraite. Shirley avait déboulé du coin du bâtiment, seule. Ce dernier point étant le plus important, c’est que j’étais habituée à voir les trois copines toujours ensemble. Elle n’avait pas l’air particulièrement enjoué, même plutôt triste. Elle s’excuse rapidement et fit mine de partir, je la retins.

« Tu veux rester ? »

Elle vint s’adosser à la façade du bâtiment comme moi, elle avait une tronche à faire passer Princesse Sarah pour la dernière des déconneuses. Machinalement, elle tira une cigarette et se l’alluma (à 13 ans, quoi !!). Machinalement, je la lui pris et l’écrasai sous ma béquille. Avant qu’elle ne proteste et pour lui occuper la bouche, je lui posai la question qui vous brûle les lèvres (si vous n’aviez pas de question et que vos lèvres brûlent quand même, je vous laisse une minute pour les éteindre) :

« Où sont Clarisse et Hanane ? »

Dans un soupir, elle répondit :

« Clarisse, j’en sais rien. En fait, même avant, elle disparaissait toujours après manger et ne revenait qu’au premier cours de l’après-midi. Une fois, on a essayé de la suivre, mais on l’avait perdue dans le couloir de la salle d’histoire.

- Elle a dû rentrer dans l’une des salles justement.

- Pour quoi faire ? Et puis les profs ferment leurs portes le midi.

- Et Hanane alors ?

- Ben, depuis qu’elle sort avec Sylvain…

- Comment ? m’exclamai-je.

- Tu n’avais pas remarqué ? »

Je n’avais pas remarqué, non. Comme je l’avais précisé, je l’évitais au maximum et je n’écoutais pas ce qu’elles racontaient. Il était fascinant de constater qu’en groupe, elles n’avaient que peu d’intérêt, mais prises une par une, elles devaient être plus profondes que je ne le pensais.

« Dis m’en plus, s’il te plait, repris-je car je ne voyais pas le rapport entre sa solitude et le fait que la malheureuse Hanane se retrouvasse avec l’autre con.

-Et bien, elle passe maintenant toutes ses pauses et récréations avec lui et ses potes.

- Et toi ? Et Clarisse ? Je croyais qu’il était trop cool et que tout le monde voulait traîner avec lui. »

Elle baissa la tête pour réfléchir, elle tira son paquet de cigarettes de sa poche, le fit tourner entre ses doigts une ou deux fois et le rangea. Elle avait besoin d’un remontant, la conversation lui était éprouvante.

« C’était comme ça avant, mais quand vous vous êtes battus à la rentrée de janvier, on a vu comment il n’avait pas hésité à vouloir te taper et, Clarisse, ça l’a dég’ et elle voulait plus s’afficher avec lui et je l’ai suivie et Hanane avec moi. On a bien vu qu’il essayait de se remettre avec toi.

- Ouais ! Ce genre de type ne doit pas avoir l’habitude de se faire larguer. Visiblement, les relations homme-femme n’évoluent pas des masses avec l’âge. On retrouve le même schéma : un gars avec une belle gueule ou du fric n’aura jamais de problème à se trouver une nana et ce même s’il est connu que c’est une ordure, il est triste de constater que les femmes ne soient attirées que par ceux qui ont un capital physique ou financier. Et, de l’autre côté, il y aura toujours des pauvres gars adorables, prêts à tout pour toi mais qui n’auront jamais le droit à un regard parce qu’ils sont un peu trop quelconques. »

Elle me regarda avec des yeux comme des soucoupes, comme si j’étais une extra-terrestre (Vous l’avez ? Soucoupe – extra-terrestre. Elle est bonne, hein ?).

« Enfin, c’est ce qu’on m’a dit. Tu t’en apercevras bien assez tôt. Tu dois bien avoir ce genre de type adorable dans ton entourage ? »

Shirley réfléchit, rougit un peu et nia.

« En tout cas, je n’avais jamais pensé à tout ça, conclut-elle. »

Pas étonnant, ma belle ! Tu sors à peine de cet âge où tu t’inventes des histoires d’amour entre tes Barbie et tes Playmobil. Elle reprit néanmoins :

« Et toi, tu l’as ce garçon moche qui t’aime ? (je tiens à préciser que je n’ai jamais dit "moche", c’est elle qui extrapole) »

Ce fut son tour de me clouer sur place, un vrai coup de massue (Clou – massue : Humour !). Je n’en savais rien à vrai dire, imperceptiblement, depuis que j’étais une fille, mon entourage s’était féminisé, comme garçon, je ne fréquentais que Bastien, mais c’était un pote.

« Non, je n’ai personne comme ça.

- Et Bastien ? Tu passes plein de temps avec lui.

- Ouais, mais c’est juste un pote ! (je sais que je l’ai déjà dit, mais vous savez, la difficulté de la narration que les autres protagonistes n’entendent pas…)

- Fais gaffe, les garçons se font vite des idées.

- Euh, on parlait pas d’Hanane au fait ? recadrai-je.

- Je m’inquiète pour elle, ça l’a fait changer.

- Comment ça ?

- Elle est moins sympa avec nous. Elle cherche plus la merde avec Karima. On le faisait avant, ouais, mais on a arrêté, c’était nul. Et elle fait des conneries. Comme toi, avant…

- Mais vous êtes là pour elle, non ?

- Elle est influençable et pas toujours très… futée. Et quand on en parle, elle change de sujet ou répond pas.

- Qu’est-ce qu’on peut faire ?

- Pas grand-chose, admit Shirley avec résignation.

- Il faut faire quelque chose !

- Cerise ! On va pas l’obliger, elle fait ce qu’elle veut. On n’a pas le droit ! Et puis, je ne veux pas les perdre, aucune des deux, je les admire, Clarisse est si intelligente et Hanane si gentille, j’ai besoin d’elles. »

Clarisse attendait devant la porte de la salle d’Anglais. On s’était mise à marcher avec la progression de l’heure. Hanane arriva peu après. Une fois réunie, les trois filles se remirent à papoter de leurs futilités habituelles comme si de rien n’était. J’en venais à me demander si je n’avais pas rêvé cette dernière conversation (ce qui était inhabituel pour moi vu que, depuis cette réincarnation, je ne rêvais plus, si je commence certains de mes chapitres par la formule J’ai fait un rêve, c’est plus pour le style que pour la vérité). En tout cas, je les regardais différemment maintenant, je les avais toujours vues comme un tout sans me poser de questions sur leur individualité. Bien sûr, elles devaient chacune avoir leur histoire, leur personnalité (J’admets qu’à les voir comme ça, gloussant et sautillant, j’en venais à en douter, elles étaient redevenues ces charmantes idiotes tout juste bonnes à se compléter les phrases les unes les autres. Quant à moi, j’étais contrariée, j’avais l’impression de ne rien maîtriser. Trop de questions, pas assez de réponses. Merde, le monde des enfants est censé être simple, pur, limpide et pas se révéler aussi complexe que celui des adultes. Ne devais-je pas m’éloigner de tout ce bordel ? Non, je ne voulais pas m’éloigner de ces nouvelles amies.

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