Un petit chapitre (ou peut-être pas) pour vous parler de la fin de mes vacances. En effet, après cette ultime rencontre familiale, que certains qualifieront de malaisante mais que j’ai trouvé plutôt amusante pour peu qu’on veuille la prendre avec un peu de recul, il y avait bien peu à raconter. Je les terminais, bien loin de la fureur et du bruit. Et j’y connaissais un rayon sur la fureur ayant grandi dans un contexte social difficile, dans les bas-fonds des banlieues craignos peuplées de voyous, drogués, prostituées, gangs pour les meilleurs jours. Chaque jour où je devais me rendre à l’école pour avoir une chance de m’en sortir, je devais dissimuler mon sac de cours pour ne pas montrer que je cherchais à m’élever un peu pour échapper à un destin qui se finirait en prison ou à la morgue. Mon déplacement en Province après avoir rencontré ma femme me permit sortir de ce cercle infernal où le simple fait de savoir lire faisait de moi un paria. Je reprenais une nouvelle vie en la débutant dans un environnement sain. Cela allait-il changer quelque chose pour moi ? N’avais-je pas juste introduit un esprit définitivement souillé et corrompu dans le corps d’une jeune fille de la campagne pure et innocente ? Les quelques investigations m’avaient montré que le fruit n’était pas aussi sain qu’il n’en avait l’air.
Les jours passèrent, avec un concept inédit jusqu’ici : une ellipse temporelle. Je ne voudrais pas vous lasser, le train-train quotidien nous apparaitrait morne, notre relation s’étiolerait telle une somptueuse robe de bal dont le tissu s’use peu à peu, se détériore, la transformant irrémédiablement en loque. Par contre, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : vous n’êtes pas une loque, ni ma famille. La frénésie de ces jours retombaient comme un soufflé, un contrecoup de la fin des fêtes, sans doute, la préparation de ces événements est souvent plus amusante que l’événement en question, il me fallait juste un nouvel événement. Je n’allais pas rester inactif, juste un peu moins active. Mémé m’avait donné une mission mais je ne savais pas encore par où commencer.
Jusqu’ici, j’avais décrit assez exhaustivement mes actions (sauf quand je dormais, vous imaginez ? « Là, je dors, là, je dors toujours, puis je dors, je dors encore quand soudain, je dors, jusqu’à ce que je dors toujours.») afin que vous puissiez vous familiariser avec le personnage principal (moi, si à ce stade de l’histoire, vous ne l’avez toujours pas compris, vous devriez passer à autre chose, je ne vous en voudrais pas, promis) et le considérer comme un ami (le genre à qui on veut bien faire un prêt sans intérêt et sans poser de questions, si vous voyez ce que je veux dire, vous savez déjà comment me contacter, sinon écrivez-moi et je vous enverrai mon adresse, n’oubliez pas le timbre surtout).
Alors, voici pêle-mêle ce que j’ai fait de mes derniers jours de vacances :
D’abord, j’ai joué, profitant de la récupération inespérée de ma Game Boy, j’ai fini plusieurs jeux et défoncé mes records à Tetris (autant que faire se peut car à un certain niveau de difficulté, les pièces ne tombent plus, elles se téléportent et, pour rien, aucune preuve, vu que, vanité des vanités, lorsqu’on éteint la console, les scores ne sont pas sauvegardés).
Je profitais de l’intimité de ma chambre pour faire quelque chose qui aurait compromis ma couverture d’adolescente normale : lire mes manuels scolaires, je pris ainsi une avance considérable sur mes futurs coreligionnaires, sans compter le fait que mon esprit d’homme adulte n’avait aucune difficulté à comprendre les notions abordées du fait que je les connaissais déjà, la symétrie, les fractions, les questions de compréhension de textes dont il faut chercher la réponse dans le texte en lui-même, Histoire du Moyen-Age (qu’il était bon de ne pas encore entendre parler de la Deuxième Guerre Mondiale, non pas qu’il ne s’agisse pas d’une période importante de notre Histoire mais à partir de la quatrième, elle constitue une grande partie voire la totalité des programmes d’Histoire, à l’overdose). Je délaissais la géographie, elle m’ennuyait profondément, je ne trouvais aucun intérêt à savoir quelles étaient les régions céréalières de France, notion que je trouvais bien complexe pour des enfants de cet âge, j’étais également incapable de retenir mes départements et leur chef-lieu. L’Anglais, ça devrait aller aussi, étant un homme, je n’avais pas ce handicap purement féminin-français d’être incapable de parler une langue étrangère (Alors, check, je me fais détester par une communauté dans le chapitre, je l’ai ait car je sentais que vous commenciez à un peu trop m’aimer). Je conservais un doute concernant les matières artistiques, ma maîtrise de la flûte à bec n’était plus ce qu’elle était et, pour le dessin, j’en étais encore resté aux bonshommes bâtons. Enfin, pour le sport, était-il vraiment utile que je m’y attarde (à moins qu’il y ait une section handisport au collège). La gamine allait avoir besoin d’un sacré coup de pouce sur le plan scolaire. Je regardais ses cahiers : quelle orthographe ! Quelle grammaire ! Et ces notes ! Et le simplification des fractions ! Et 2+2 est différent de 2² (pardon, mauvais exemple, mais elle confond multiplication et puissance, ça, c’était certain). Ce serait de la triche, je le concevais, mais on allait redresser tout cela.
Je ne pus lui faire faire ses devoirs, rien n’était noté dans son cahier de textes depuis le jour fatidique où sa vie a basculé, entrainant la mienne dans son sillage. Je ne comptais pas la blâmer, je ne voyais comment elle aurait pu être responsable de quoi que ce soit. Quelle était sa politique à ce sujet, d’ailleurs ? Expédier ses devoirs dès le début des vacances comme avait fait ma sœur et sa copine ou, plus vraisemblablement, les faire en urgence le dimanche soir, veille de rentrée. Je consultais les autres pages de cahier, surtout pour la forme car je me doutais que n’y trouverais rien de récent, je feuilletais, trouvant ça et là exercices à faire avec les abréviations habituelles telles que 4p22 pour "Exercice n°4 page 22", leçons à apprendre ou contrôles à préparer.
J’eus un petit pincement au cœur à la page du samedi. Elle n’avait pas cours ce jour-là donc aucun devoir ne pouvait y être noté. Comme beaucoup, elle avait consacré cette section inusitée à un autre but. Certains y démontraient leur fibre artistique avec des poèmes ou des dessins, d’autres y développaient leur relation sociale, comme avait essayé de faire Cerise. Elle l’avait remplie de matrices de questionnaires d’amitié : Nom, prénom, âge, numéro de téléphone, adresse (super plan pour soutirer les coordonnées des jolies filles), couleur préférée, matière préférée et détestée, ce que tu aimes chez moi, message gentil. Ils étaient tous vierges.
Après cette déprimante découverte, je me mis à préparer mon sac, j’y glissais livres et cahiers de maths, Français, d’histoire-géo. J’insérais sur le côté ma trousse. D’après mon emploi du temps, j’avais aussi EPS et musique. Pour la musique, je fouillais mes cahiers, il avait un protège-cahier rose, ses pages alternant entre grands carreaux classiques et portées musicales. De petites notes y étaient inscrites avec leur nom en dessous pour les reconnaître plus facilement. Les autres pages contenaient de paroles des chansons étudiées en cours : Du Souchon, du Gainsbourg, un audacieux MC Solaar. Me faudrait-il une nouvelle flûte à bec ? L’ancienne ayant été brisée lors de mon accident, ses fragments étaient toujours sur ma table, je n’osais pas, sans savoir pourquoi, la jeter. C’était à elle, j’estimais que je n’en avais pas le droit. Pour l’EPS, au cas où, j’aurais besoin d’un pantalon de jogging, il me faudrait en choisir un dans mon armoire. Bon Dieu, le retour du coup de cafard. Allez, ma belle, on se détend. Ma belle ? Mon beau, je ne voulais pas oublier qui j’étais. J’avais envie de sortir, de respirer. Je me précipitai à la fenêtre, ouvris les battants, inspirai un grand coup. Je ne savais pas ce qui me prenait. C’était fun d’être là, mais je sentais que mes ennuis n’étaient pas partis, d’autres les avaient remplacés. J’avais besoin de cette rentrée des classes, de voir des gens de "mon" âge.
Le mercredi, Maman amena un homme dans ma chambre, avant que votre esprit mal tourné n’ajoute quoi que ce soit, je me devais de vous préciser qu’il s’agissait de mon kiné, il s’occuperait de ma rééducation physique. Il était donc tout à fait normal que je me retrouvasse couchée sur mon lit en petite culotte devant lui. Devant le corps médical, ce n’est pas sale. Il me tritura les jambes pendant une bonne demi-heure, ce que je supportai en mordant mon oreiller, alors qu’il me racontait des banalités comme un simple coiffeur auxquelles je ne répondais que peu (comme avec mon coiffeur en fait). D’une part, parce que, finalement, je trouvais un peu gênant d’être vue en sous-vêtement (pas pour moi, pour elle), d’autre part, parce que je douillais un max, mais quand il eut fini, je me sentis plus légère. Cela m’avait fait du bien qu’il me fasse du mal. Je laisse deux minutes aux esprits dérangés pour se déchainer, vous avez créé un Hashtag pour cela, je le sais, mais vu que je n’utilise pas les réseaux sociaux, je m’en fous ! Ils ne représentent que source d’ennui et ne sont que des panneaux à affichage de haine, de communautarisme, de calomnies, de harcèlement, je veux m’en préserver autant que je peux.
Je profitais de ces derniers jours pour apprendre à me déplacer avec une seule béquille, car on ne s’en rend compte que rarement mais utiliser ses mains est bien pratique. Mon entraînement se déroula en musique, au son de mon nouveau CD d’une médiocrité alarmante mais d’un kitsch délectable et des compiles à Diane que j’avais hâte de rencontrer bien que je ne savais pas à quoi m’attendre avec elle (#teasingputassier). Comme je ne peux pas vous faire partager mon son, je vous ferai une vidéo training montage avec mon bêtisier, mes plus belles gamelles avant d’assister à mon triomphe glorieux, le tout sur Eye of the Tiger et entrecoupé de vidéo de chats pour être à la mode et attirer plus de vues.
Il ne me reste plus qu’à vous évoquer mon réveillon du Jour de l’An en famille (sans Alice en soirée pyjama avec des copines) durant lequel Maman tenta (en vain) d’égaler ma prouesse culinaire de Noël. Si Dorothée et Carlos animèrent la première partie de notre soirée avec des shows musicaux interprétés par de nombreux invités, ce fut avec Arthur et Pierre Tchernia sur Les Enfants de la Télé que nous avons procédé au compte à rebours avant la nouvelle année 1995.
Et bien bonne année, si vous lisez ce livre en janvier. Et pour les autres, bonne année quand même, je ne crois pas vous l’avoir souhaitée.
Ce qui marque la fin de la première partie de ma nouvelle vie. Merci d’avoir lu jusque là, je vous félicite sincèrement, je ne sais pas si j’aurais tenu. Quoiqu’il en soit, on se revoit dans la suite qui devrait commencer à la prochaine page si l’imprimeur n’a pas fait de la merde. Si ce n’est pas le cas, votre livre a un problème, faites-le vous changer chez votre libraire. Dites-lui que vous venez de ma part, ça passera tout seul.
Sur ce, à tout de suite !